Chapitre 23 : La deuxième fois.

10 minutes de lecture

  • Vous allez devoir lui dire…

Alicia releva la tête d’entre ses mains. Elle la secoua, en tenant un regard d’effroi dans celui de Billy. C’était la deuxième fois qu’elle se retrouvait dans cette position, coincée en sa compagnie. Ils étaient assis tous les deux au milieu de son appartement, chacun sur un fauteuil. Installé au bord du coussin, et à la recherche des réactions de la blonde, ce dernier venait de lui compter les aventures de son fils.

Elle avait poussé un épais soupir après avoir appris qu’il lui avait volé de l’argent, qu’il avait pris le risque de partir seul, mais surtout après que le chanteur et acteur lui ait expliqué qu’il avait interrompu une scène du film. Celle-ci devrait être recommencée. Mais aux yeux de Billy, là n’était pas le plus important.

Il avait tenu à lui expliquer comment Allan s’était rendu jusqu’à lui. Pour le savoir, il avait dû également lui tirer les vers hors du nez.

En effet, après son interruption, Billy avait réussi à négocier une pause avec son manager. La scène ne pouvait de toute façon pas être retournée à ce moment-là. Il expliqua à ce dernier qu’il était le fils d’une connaissance et il insista pour le raccompagner chez lui de lui-même. Forcé d’accepter, son manager lui précisa de redoubler de prudence. Il n’était jamais à l’abri des journalistes et d’un scandale. Mais il était arrivé sans peine chez Alicia, après avoir dégusté un McDonald dans la voiture.

Le ventre du gamin criant famine, il lui avait octroyé ce plaisir, en espérant bien le faire parler par la suite.

  • Talatata, I love in it !

Ravi, Allan avait croqué dedans à pleines dents.

Le chanteur en avait profité pour l’analyser. Derrière ce visage d’ange, se cachait une énorme force de caractère.

Il le questionna entre deux bouchées :

  • Alors, tu es fan de moi ? Ou tu es venu me voir pour une raison particulière ?

Billy nota la façon dont sa mère transpirait d’émotions comparé à la première fois qu’ils avaient discutés. Décidément, la provocation fonctionnait terriblement bien sur les membres de cette famille.

  • La fille dans ton clip ! C’est qui ?

Il ne lui restait plus qu’à lui annoncer que son fils avait déjà tout compris. Il avait essayé de noyer le poisson pourtant :

  • C’est une danseuse que j’ai…
  • C’est ma sœur ! J’en suis sûr !

La passion dans ses yeux était telle qu’il n’avait pas eu le courage de le nier. Ce qu’il regretta amèrement, Allan l’ayant bassiné durant tout le trajet. Depuis, ce dernier restait cloîtré dans sa chambre. Cela avait arrangé Alicia dans un premier temps. Mais elle sentait l’arrivée imminente de l’éruption.

Billy la fixa droit dans les yeux :

  • Il voulait savoir quelque chose.

Ces mots-là eurent bon de lui faire oublier comment on respirait.

Elle trembla :

  • … Quoi ? demanda-t-elle, courageusement.
  • Il voulait savoir qui était la fille dans mon clip. Et il s’en doute déjà.

Alicia ne bougea pas d’un iota.

Elle restait coi, la bouche entrouverte, le regard dénué d’énergie.

  • Il sait, dit-il, crûment, en chuchotant.

Cela réveilla son côté mordant.

  • Parce que tu lui as dit, c’est ça ??
  • Non, je n’ai pas eu besoin de le faire…
  • Je ne te crois pas ! Tu… !

Elle se retint d'élever la voix, son fils, sans aucun doute étant en train de chercher à entendre leur discussion.

Le restant de celle-ci se poursuivit à voix basse :

  • Comment aurait-il pu savoir…
  • Parce que c’est flagrant. Vous vous ressemblez tellement. Je n’ai eu besoin de rien lui dire. Il a lui-même décrété que Kimi était sa sœur et…
  • Chut, moins fort… !

Alerte, elle se leva et se mit à tourner dans l’appartement. Elle marchait aussi vite que son cœur ne lui commandait.

  • Et il a raison. Donc vous devez lui dire.
  • Non, je… j’ai besoin de réfléchir…
  • À quoi ?
  • À ce que je vais lui raconter.
  • Pourquoi pas la vérité ? Pour une fois ?

Billy la vit se figer dans le temps.

Stupéfaite, elle haussa les épaules :

  • … Bah oui, évidemment.
  • T-... Je comprends que ce soit difficile à envisager, mais comme c’est parti là, il va falloir que vous l’apaisiez et il n’y a que la vérité qui le fera. Je vous conseille de…
  • Tu me conseilles quoi ? De lui dire que je suis censée être morte, là où sa sœur existe ? Qu’il a un père quelque part, mais qu’il est malade et fou ? Qu’après l’avoir trompé, j’ai essayé de me suicider et…

Les larmes lui grimpèrent instantanément.

Il la trouvait également plus en vie.

  • … et que j’ai abandonné ma fille pour l'élever lui, loin de tout ?
  • Vous avez regardé la vidéo, n’est-ce pas ?

Alicia déglutit.

  • Qu’est-ce que ça vous a fait quoi de la revoir ?
  • Ce n’est pas le sujet…
  • Vous n’avez pas envie de présenter sa sœur à Allan, même si c’est au travers d’une vidéo ?
  • Je…
  • La seule chose qu’il attend c’est votre confirmation et vos explications.
  • Je le sais, mais…
  • Mais quoi ?
  • J’en suis incapable !
  • Si, vous l’êtes !

Le ton montait crescendo. Billy eut le temps de se demander pourquoi il se mêlait de leurs affaires familiales. Il observa la mère de Kimi, ses mains qui tremblaient autour de son visage fatigué et mortifié. Il la tenait.

  • Si vous choisissez de rester dans le silence ou de mentir, il finira par vous détester. Et je suis certain que vous n’êtes pas prête à perdre un autre enfant.

Cela lui colla un coup dans la poitrine. Alicia laissa tomber ses fesses sur la table de sa cuisine.

  • Répétez-lui tout ce que vous venez de me dire, mais avec les bons mots cette fois. Ou alors, interrogez-le sur ce qu’il croit et vous constaterez ce qu’il est prêt à accepter, ou non.

Elle le détestait. C’était la deuxième fois qu’Alicia avait affaire à Billy Makes et c’était la deuxième fois qu’il lui retournait le cerveau. Chamboulée, elle se vit capituler.

  • … Est-ce trop demander… que tu restes avec moi pour le lui annoncer ?

L'aîné des Makes lui sourit brièvement, compatissant, et pensa qu’il avait bien fait de la diriger vers son clip vidéo. Maintenant qu’elle avait redécouvert sa fille, Alicia ne devait plus pouvoir faire machine arrière.

  • Promis, je reste.

***


Une colère noire s’était emparée d’Allan Praats dès lors qu’on l’avait forcé à sortir de sa tanière. Assis à table, les bras croisés et les jambes écartées, il foudroyait sa mère du regard. Le petit caïd était déterminé à lui en faire voir de toutes les couleurs. Au moins, jusqu’à ce qu’elle se décide enfin à lui dire la vérité.

Il accordait également un coup d'œil fâché au chanteur de temps à autre.

  • … Billy m’a dit que tu voulais savoir qui est la fille dans…

Au moment où Alicia vit les yeux de son fils s’écarquiller, elle se frotta les mains, nerveuse. La mine malade, elle sursauta, quand Allan se pressa au bord de la table :

  • C’est ma sœur, c’est ça ??

Elle se décomposa en constatant à quel point l’idée l’enjouait. Ainsi, elle décida de suivre le conseil du chanteur.

  • Pourquoi… penses-tu cela ?
  • C’est toi ! Elle est comme toi !
  • … Tu sais, cela pourrait être une coinc…

Billy bouscula son pied au sien en dessous de la table. Elle se reprit alors, la tête remplie de picotements, mais Allan ne lui laissa pas le temps de réfléchir à la prochaine question.

  • Elle vit avec papa ?
  • Non.

Le ton sec qu’elle employa permit à son jeune fils de comprendre qu’il avait touché juste.

  • Donc, c’est ma sœur.
  • … Je n’ai pas dit que Kimi était…
  • Kimi, souffla-t-il, et les yeux plein d’étincelles.

Alicia s’en mordit les lèvres.

  • T’es qu’une menteuse ! Moi, je sais que c’est ma sœur. Et tu l’as regardé tous les jours dans la vidéo ! Pourquoi elle est pas avec nous ? Et papa ? Tu lui parles ?
  • Non, nous…
  • Il est où ?
  • Je ne sais pas…
  • … C’est un sale type ? demanda-t-il, tristement.
  • Non, ce n’est pas ça…
  • Alors pourquoi on est ici ! Et eux… Ils sont où ? Je veux savoir, je…
  • Allan, c’est compliqué…
  • Mais je veux savoir !
  • Dans ce cas, tais toi, et laisse moi parler !!

Le gamin de dix ans eut le bec cloué. Il se rassit à la chaise dont il s’était levé, échauffé. Alicia était essoufflée en contrepartie. Elle ferma les yeux un instant. Le temps de remettre en ordre chacun de ses souvenirs. Elle eut l’impression qu’il n’y eut qu’un battement entre ce moment et celui où elle les réouvrit. La mine de son fils ne reflétait plus aucune joie, plus aucune colère… Il s’était éteint en apprenant toute l’histoire. En apprenant que ni son père, ni sa sœur, n’avait conscience de son existence. Cela le remua tant, qu’il resta silencieux un long moment.

  • … Est-ce que tu comprends pourquoi je suis partie ? Et pourquoi je ne t’ai rien dit ?
  • … Oui, acquiesça-t-il, le regard planté sur ses genoux.
  • J’ai voulu recommencer une toute nouvelle vie avec toi, dit-elle d’une petite voix. Où nous serions à l’abri et heureux… Je regrette ce que j’ai fait…
  • Non.

Il lui restait une petite braise cachée quelque part au fond de ses prunelles.

Alicia se figea.

  • Tu ne regrettes pas ! s’écria-t-il, en claquant ses mains sur la table. Sinon, ça fait longtemps qu’on serait retourné là-bas !
  • Tu ne comprends pas que ce n’est pas aussi simple…

Ce dernier se leva.

  • Si ! Je comprends très bien ! Je comprends que j’ai une sœur ! Et que tu l’as abandonné ! Si tu veux pas la retrouver… Moi, je le ferai ! Sans toi !!

En le voyant s’accrocher à la porte de sa chambre, elle se leva à son tour et se hâta pour le rattraper.

Allan lui fit face, attaché à sa rage :

  • Tu peux dire et faire ce que tu veux, je m’en fiche !! C’est ma sœur ! Ma famille ! J’ai pas besoin de toi pour la retrouver !!

Et il lui claqua violemment la porte au nez.

  • Allan…

Alicia claqua ses poings dessus, ne sachant ce qu’il pourrait faire.

  • Allan !! Ouvre ! Tu…

Quand des mains vinrent entourer ses coudes, par l’arrière, elle s’arrêta de crier. En tombant dans les yeux de Billy, ses lèvres se retroussèrent. Il était désolé.

  • C’est comme… tu le disais, il… me déteste… Je n’aurais pas dû…
  • Si, tu as bien fait.

Il la tutoyait pour la première fois. Alicia se sentit comme une enfant, ainsi réconfortée. Ce gamin avait plus de sagesse qu’elle n’en avait récolté durant toute sa vie. Billy ne put faire autrement. Il déposa une main dans son dos.

  • C’est normal qu’il réagisse aussi fort, il est peiné et en colère. Ça fait beaucoup, il faut lui laisser le temps. Mais tu… as bien fait. Tu devais le faire, pour lui, pour toi…
  • À quoi bon… ? Je ne retournerai pas en Suisse.
  • Alicia…
  • Je n’irais pas ! Je ne peux pas… Jamais, je n’oserais la regarder dans les yeux après tout ce que j’ai fait !
  • Très bien. N’en parlons plus pour le moment, dit-il doucement.

Elle enferma son sanglot entre ses lèvres. L’idée de devoir confronter son fils pour ne pas avoir à confronter sa fille lui abîmait l’âme.

***

Billy avait prévenu son manager qu’il rentrerait à l'hôtel par ses propres moyens. Il lui avait également promis de ne pas veiller trop tard. En effet, le tournage débutait tôt le lendemain matin. Il était donc maintenant temps pour lui de tenir sa promesse.

Tout en bas de la cage d’escalier, au rez-de-chaussée, ce dernier saluait Alicia avec le sentiment qu’il la reverrait bientôt. Le dicton ne mentait pas : jamais deux sans trois.

Et il ne croyait pas si bien dire.

Après une soirée passée à discuter autour d’un café, il la quittait, en espérant que tout aille pour le mieux elle et son fils. Allan était une vraie tête brûlée, comme sa mère, du temps de son adolescence.

  • Est-ce que ça va aller ? lui demanda-t-il, les mains enfoncées dans son épaisse veste d’hiver.
  • Oui, je pense.

Elle avait les traits tirés.

  • … Je vais te donner mon numéro, dit-il après un temps de réflexion.
  • Ah, ce n’est pas la peine, je…
  • Si tu as besoin de discuter, ou que quelqu’un parle avec Allan, je ne suis pas très loin.

Sans broncher, Alicia accepta. Elle devait bien avouer que le savoir à Paris la rassurait. lls échangèrent donc leurs numéros dans le couloir et se dirigèrent ensuite jusqu’à la porte d’entrée. Quand Alicia s'occupa de lui ouvrir, elle frissonna. Le vent glacial souleva sa chevelure. Elle trépigna, en maintenant la clenche, le temps que Billy se faufile à l’extérieur. Sur le pas de la porte, ce dernier lui accorda encore une attention avant de partir : 

  • N’hésite pas à…

Mais il vit son visage se déformer. Instinctivement, la star attrapa l’arrière de la tête d'Alicia pour la coller à son torse. Les flashs s’écrasèrent dans son dos, mitraillant la nuit noire. À cet instant, Billy regretta de ne pas avoir pris plus de précautions. Il jeta un regard aussi sombre que la nuit aux journalistes qui l'avaient suivi. Son manager lui avait reprécisé une deuxième fois pourtant, d’être prudent. Car les scandales éclataient de rien, mais avec piment, quand il s’agissait de la chevelure blonde d'une femme dissimulée.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Redlyone ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0