Chapitre 26 : Visite surprise !

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Elle aurait dû lui demander des nouvelles de Billy…

Voilà ce qui traversa Kimi quand elle visualisait pour la énième fois le visage de son maudit frère. La honte de sa dernière discussion avec Sky la paralysait, bien qu’à cet instant, aucun effort, sauf celui de rester éveillée, lui était demandé.

Seule la lumière de la lampe de chevet illuminait sa chevelure dorée. Elle y ajoutait un coucher de soleil inattendu. À sept heures du matin seulement, Kimi maintenait fermement son téléphone au niveau de son oreille. Travaillé par le tracas, son regard affichait également de gros cernes.

  • Pourras-tu prévenir l’accueil ?

Dossan s'exprimait d’un ton précipité. En devinant chacun de ses gestes paniqués, Kimi grommela uniquement un : “Oui".

Interpellé par la courte réponse, ce dernier poursuivit :

  • Et toi, comment te sens-tu ?
  • Crevée.

Elle ne mentait pas. La nuit avait été mouvementée, et elle ne s'était pas attendue à un tel réveil. Mais malgré la fatigue, elle se tenait aux côtés de son frère, sa paume entourant son front brûlant. Celui-ci l’avait appelé, alors que le ciel matinal était encore noir, et avait procédé à l’extirper de ses cauchemars par la même occasion. Elle lui avait gentiment répondu par un grognement. La voix approximative de Leroy à ce moment-là l'avait poussé à sauter hors de son lit. Il n’appelait jamais, ou il se contentait d’être prompt et sec,...

Tout l’inverse de Dossan, qui, loin d’être dupe, insista :

  • Tu es certaine ?

Dans le lit, Leroy gesticulait lourdement. Il essayait d’ouvrir les yeux quand la lumière s’y écrasa. Kimi procéda à déplacer sa main sur ses paupières chaudes. Le geste l’obligea à les garder fermés tandis qu’elle luttait contre les siennes. Elle veillerait sur lui jusqu’à ce que Dossan arrive.

Irritée, principalement, par le manque de sommeil, elle jugea qu’au lieu de s’inquiéter pour des choses aussi futiles que son moral, ce dernier ferait mieux de se bouger les fesses.

Elle mit fin à la discussion d’un trait :

  • Oui. Dépêche-toi d'appeler le médecin.

***

Tût.

Elle lui avait raccroché au nez.

Sidéré, Dossan en oublia sa hâte, planté au milieu du couloir à l’étage. Le temps de constater que sa fille s’avérait drôlement sauvage, il se remit en route et ne fit qu’une bouchée des escaliers menant au rez-de-chaussée. Là, il attrapa directement le blazer pendu à la rambarde, et s’avança dans le salon avec la ferme intention de mettre Chuck au courant de son détour par Saint-Clair.

Il le trouva à sa place favorite, sur le coin de la cuisine, égaré dans ses pensées. Ravisé, il le contempla. La vue en valait le détour. Ce dernier avait pris le pli de s'installer tous les matins au même plan de travail. Étant surmonté d’une petite fenêtre, il appréciait planté son attention au-delà les haies du jardin tout en sirotant son café, un plaid ornant ses épaules. Celui-ci traînait jusqu’aux pieds du tabouret, de quoi parfaitement dissimuler son costume.

Allait-il bien ?

S’il lui posait la question, Chuck la contournerait sans aucun doute, et puis, ses yeux ne trompaient pas. Ils étaient plus las que le matin précédent, et ce, malgré la caféine.

  • À quoi penses-tu ? finit-il par demander.

Le tressaut qu’il eut fit tomber entièrement le plaid à terre. Chuck, alors à nouveau habillé uniquement de son costume. Depuis le tabouret, il se pencha pour le ramasser et évita, comme prévu, la question dans un premier temps.

  • Tu penses à la proposition de Madame Karen ?

Chuck marqua un temps dans son geste avant de se lever pour commencer à replier la couverture. Alors que tout son faciès marquait son envie de dire quelque chose, il garda les lèvres closes. Il réfléchissait. Puis, en abandonnant sa tâche, la couverture se réouvrant, il fit de même.

  • Oui, j’y pense.

Il plongea son regard, incertain, dans celui de Dossan.

  • À voir si cela peut t’être utile, répondit ce dernier, à la manière dont un corbeau croasserait. Je voulais te prévenir… Je vais chercher Leroy à l’école. Il est malade. À quelle heure est ta réunion ?
  • … à dix heures…
  • Parfait ! On se voit quand je rentre.

En se dirigeant vers le hall d’entrée, Dossan jeta une dernière fois un œil vers son ami, qu’il découvrit en proie à une longue réflexion. Il leva les yeux au ciel. Il fallait se croire plus malin qu’un Ibiss pour réussir à le berner. Cette expression était devenue une règle de société. Nombreux l'utilisaient. Beaucoup moins avait eu l’occasion de réellement l’expérimenter.

Madame Karen faisait partie de ces exceptions. À l’époque de Saint-Clair, la psychologue avait reçu tous les Richess dans son bureau. Tous, sans aucun compromis, et en bonne professionnelle, elle avait réussi à faire cracher des vérités de la bouche de chacun. À tous, sauf un seul.

Chuck Ibiss resterait l’un de ses plus grands mystères. Elle s’en était persuadée, tout comme le gap entre leurs deux mondes était gigantesque. Elle fut donc ravie de tomber sur lui à l'hôpital, de plus, en bonne compagnie. Car depuis, Madame Karen avait eu le temps de se risquer à l’art de déjouer.

***

  • … Dossan Dan’s et Chuck Ibiss. Cela me rappelle des souvenirs, s’était-elle laissé aller à la nostalgie en retrouvant le duo.

La voix bien connue de Madame Karen fit retourner les deux hommes avec stupeur, et étonnement, pour l’un, tandis que les poils de l’autre se hérissèrent. S’ils s’étaient attendus à la croiser, ils n’auraient sans doute pas choisi ce jour pour venir à l'hôpital. Accueillir la personne à qui ils avaient déposé tant d’émotions ne s’avérait pas forcément évident, même si dans le cas de Chuck, il avait peu déposé.

  • J’imagine que vous êtes venus rendre visite à Monsieur Xavier ? Allons, que se passe-t-il ? On dirait que vous avez vu un fantôme !

Malgré les années passées, Madame Karen avait peu changé. Sa chevelure brune, bien coiffée, se rangeait au niveau de son cou, une part calée derrière son oreille. Elle était habillée sobrement, ses bijoux pour touche de couleur et son sourire coincée entre ses pommettes en guise de sympathie. Cette habitude, d’étouffer un rire à la fin de chacune de ses phrases, hors thérapie, ne s’était pas envolée non plus. Et si le métier lui avait apporté des rides supplémentaires, celles-ci ne lui donnaient que plus de charme. Face à ce regard pétillant, Dossan ne put faire autrement que de répondre avec douceur :

  • Nous avons pris le café. Il y a longtemps que nous ne vous avions plus vu, comment allez-vous ?

Il sentit des éclairs s’abattrent dans son dos, en provenance de la côte Ibiss.

  • Merci de me le demander, je vais très bien. Et vous, comment gérez-vous cette crise ? demanda-t-elle en les observant avec attention, l’un après l’autre.
  • … C’est un soulagement que Monsieur Xavier ait…
  • Je parle de ce scandale autour du KY.E.SS ?, bien sûr.

En retrait derrière son ami, Chuck engloutit sa salive à l’approche de Madame Karen. Cette dernière s’avançait sans crainte, son sac pressé entre les mains.

À hauteur du Richess, elle le visa directement :

  • Avez-vous finalement trouvé de qui il s’agissait ?

Il la jaugea.

  • Si ce n’est moi ? dit-il, le menton haut.
  • Tu aurais décidé de ruiner tout ce que tu as entrepris jusqu’à maintenant en prenant le risque de monter un établissement illégal ? Voyons, plaisanta-t-elle. Tu es plus malin que cela. Je comprends. Vu la manière dont les médias traitent le sujet, tu ne dois pas avoir l’impression qu’il y ait grand monde qui te soutienne, mais… Nous sommes plusieurs à savoir que tout ceci ne te ressemble pas. Du moins, pas exactement.
  • Plusieurs ?

Madame Karen acquiesça avec un petit sourire.

  • De qui parlez-vous ? lança Chuck, d’un ton trahissant son impatience.
  • Je pense que…

Elle marqua un temps pour fouiller dans son sac.

  • Il pourrait être utile d’en discuter en tête-à-tête, proposa-t-elle, en lui tendant une carte de visite.
  • … Autant en discuter maintenant, dit Chuck abruptement en l’attrapant entre ses doigts. Y a-t-il quelqu'un qui pourrait me prêter main forte… parmi vos “connaissances” ?
  • Selon moi, la personne la mieux placée pour te tirer vers le haut, c’est toi-même…
  • Ne me faites pas une thérapie.

Le ton coupant qu’il avait employé apporta davantage de vie à Madame Karen. Cette dernière pencha légèrement la tête :

  • J’ai supposé qu’en pareille situation, même Chuck Ibiss pourrait manquer de confiance en lui. J’ai l’impression, continua-t-elle en le scannant, que je n’ai pas eu tort de le penser. Ma proposition semble donc opportune.
  • Soyez rassurée, la situation est entre de bonnes mains.

L’expression qu’elle portait insinuait qu’elle en doutait. Durant ce temps, le KY.E.SS fonctionnait à merveille.

Chuck se sentit grondé :

  • Et si je souhaitais me dégoter un psychologue, je… !

Il se tut en trouvant cette petite étincelle dans les yeux de Madame Karen. Comment avait-il pu laisser la colère l'emporter ? Il prit sur lui pour se replier, comportement qui obligea la psychologue à disposer.

  • Quoi qu’il en soit, la porte est grande ouverte. Pour l’un, comme pour l’autre. Dossan, l’interpella-t-elle en lui tendant également l’une de ses cartes.
  • … Merci ? fit-il, troublé.
  • À bientôt.

D’un mouvement de la main, aussi vague que ses paroles et ses intentions, Madame Karen les quitta, égayée. Elle avait remarqué. Comment les deux copains s’étaient regardés au moment des aurevoirs. Comment Chuck avait glissé la carte dans la petite poche à l’avant de sa veste. Certaine de le revoir prochainement, elle se dirigea jusqu’à la chambre de Monsieur Xavier.

Devant, elle marqua un temps d’arrêt où les secondes lui parurent durer une vie. Elle semblait enfin porter l’âge qui lui correspondait.

***

Toc Toc.

  • C’est pas trop tôt, je… !
  • Si tu hausses le ton, je garde ceci.

Face à son manager, stoïque, et habillé comme un voisin de palier, Billy se tut. Ce dernier avait la chevelure tirée en arrière à force d’attente. L’homme devant lui tenait un sac en papier à bout de bras. En se créant la place nécessaire, celui-ci se glissa dans la chambre d’hôtel et le déposa sur le bureau. Plusieurs fois, la star avait été forcée de changer de lieu pour éviter les paparazzis.

  • Vu que je ne savais pas quel modèle te plairait, j’ai pris…
  • On s’en fiche du modèle, bon sang !

Billy se dépêcha de lui ôter le sac des mains et en sortit une boîte en carton qu’il retourna dans tous les sens. Celle-ci contenait un téléphone portable qui avait l’air de dater de l’an quarante.

Il grimaça :

  • Enfin… Je retire ce que j’ai dit… Tu aurais pu prendre autre chose que cette vieille brique ??
  • Cette vieille brique te servira uniquement à passer des appels, répondit son manager, hautement satisfait de son choix. Rien d’autre. Rien de superflu. Vu la situation, je ne crois pas que tu aies besoin de passer du temps sur…
  • Oui, ça va, j’ai compris. Merci. Comment ça s’allume, ce truc ? lança-t-il en déballant la bête.
  • Il y a un temps de charge avant utilisation…
  • Quoi ??

Il suffit d’un silence pour que Billy comprenne qu’il était en train de dépasser les limites de son compatriote.

  • Désolé, je…
  • Je sais que tu es débordé mentalement actuellement. Je propose que tu te reposes le temps que la batterie charge.
  • D’accord, mais je dois vraiment…
  • Si tu souhaites entrer en contact avec ta mère, nous pouvons toujours le faire via mon téléphone.
  • Non, ce n’est pas…

Les traits de Billy se serrèrent. Il n’y avait rien qu’il souhaitait plus que de rassurer sa famille en ces instants. Le problème étant qu’il était presque devenu impossible pour lui de répondre à un appel, son téléphone vibrant toutes les secondes. Puis à plusieurs reprises, en voyant le surnom de sa mère passer, il s’était retenu d’appuyer sur la case décrochée, dévoré par la culpabilité. Que lui aurait-il dit ? Il n’y eut qu’à un seul coup de téléphone qu’il répondit. Le même qui lui apporta la réponse à cette dernière question.

Interrogatif, son manager le cherchait du regard :

  • Je sonnerai à ma mère quand je serai certain de ce que je peux lui avancer.

En effet, Billy ne pouvait pas décemment lui expliquer que la femme sur cette photo était en fait Alicia. Et dans le cas où il serait amené à lui mentir, il préférerait ne pas trop s’avancer en lui donnant des informations qui pourraient se retourner contre lui, ou pire, contre la mère de Kimi. Il n’imaginait pas le choc qu’elle recevrait en l’apprenant de cette manière.

  • La priorité, c’est que tu m’aides à reprendre contact avec Lana.
  • … C’est une mauvaise idée. Je t’avais prévenu d’être discret... Les médias n’y mettront pas un terme tant qu’ils ne t’auront pas entendu, ou elle, éventuellement…
  • Ils ne peuvent pas l’interroger.
  • Je ne comprends pas pourquoi ? Si c’est une vieille connaissance et que tu lui as ramené son gamin…

En le voyant pincer les lèvres, son manager devina qu’il lui cachait quelque chose.

  • Billy, qui est cette femme ? Si tu ne me le dis pas, je ne t’aiderai pas. Ni toi, ni elle, et aux dernières nouvelles… Les photographes entourent son appartement.

Billy blanchit.

  • Tu plaisantes ?
  • J’en ai l’air ?

Le chanteur trépigna. Il n’avait pas juré à Alicia de garder son secret, mais au fond, il avait décidé de s’y tenir pour un moment. Si son identité venait à être percée à jour…

  • Cela doit absolument rester entre nous.

Cet homme, sa mère l’avait engagé avec soin. Depuis, il ne lui avait jamais fait défaut, sauf peut-être en le piégeant habilement dans ses repas pour qu’il mange plus sainement. Il allait sans dire que Billy avait confiance en lui. La façon dont ce dernier acquiesça l’amena à lui raconter l’histoire d’Alicia. Ce fut sans surprise qu’il vit son visage devenir de plus en plus pâle. Il finit par hocher lourdement la tête.

  • Est-ce que tu vas m’aider… ? lui demanda Billy, dans ses petits souliers.
  • Je veux bien. Mais comment ?

Transpirant de sincérité, il se tourna entièrement vers lui.

  • Est-ce que tu as… un plan ?
  • Oui, j’en ai un, répondit-il à sa grande surprise. La personne qui lui a permis de changer d'identité m'a contacté.
  • … Billy, tu…

Il fut stupéfié par la flamme au fond de ses prunelles.

  • Tu n'essayerais pas un film d’espionnage la prochaine fois ?
  • Haha, pourquoi pas !

***

Madame Karen n’avait pas attendu de recevoir un quelconque signal avant de rentrer dans la chambre de Monsieur Xavier. Elle rencontra son regard, qui s'éleva du journal ornant ses cuisses, dès qu’elle ouvrit la porte.

  • Bonjour.

Elle avait lancé la salutation d’un ton formel, en observant l’homme qu’elle connaissait bien replier son quotidien et le reposer sur la table de nuit.

  • Je ne suis pas étonné de vous voir.

Comme si elle avait prédit ses mots à l’avance, elle lui répondit avec un bref soupir qui ne tarda à se transformer en sourire quand elle s’assit à ses côtés.

  • Peu importe de quoi ça a l'air, je vous assure que j'avais d'emblée décidé de vous rendre visite aujourd'hui. Dès que la nouvelle est tombée.
  • De quelle nouvelle parlons-nous ?
  • Vous ne me croyez pas ?

Monsieur Xavier la détailla rapidement. Lui, qui faisait toujours preuve de bonhomie, en manquait cruellement en cet instant. Il baissa les yeux.

  • Si, bien sûr. Je suppose que le destin est simplement bien fait.

La tristesse se refléta sur le contour de ses orbites, rougis par les nuits passées à l'hôpital. Ce dernier se lança directement dans une requête auprès de la psychologue :

  • Pensez-vous pouvoir vous rendre à Paris pour moi ?
  • L’idéal aurait été que je sois directement sur place. C’est un de mes rares jours de congé.
  • C’est embêtant… Je n'ai aucune envie de mêler Billy Makes à cette histoire.
  • … Si je ne me trompe pas, il semble déjà bien impliqué, dit-elle d'un ton lourd de sous-entendus.

Le directeur souffla :

  • Alicia s'est mis dans un sacré pétrin.
  • Certes, mais je suppose que vous avez déjà réfléchi à un moyen de l'en sortir ?
  • Il y a de ça…

Il garda longuement son regard planté dans celui de la psychologue. Rongés par un mal que seuls eux connaissaient, ils en vinrent à la même conclusion.

  • Eh bien, je suppose qu’il est temps de la faire revenir, répondit cette dernière. Faites donc ce que vous avez à faire et moi… je vais… me préparer… Bien qu'à l'avenir, je crois être celle qui aurait bien besoin d'une thérapie.

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