Chapitre 27 : Code couleur : noir !
Interdiction de s’approcher de la fenêtre.
Et encore moins d’ouvrir les rideaux ou de se rendre sur le balcon. La vue éloignée sur la tour Eiffel pouvait bien attendre quelques jours de plus que le trottoir en bas de l’appartement retrouve sa quiétude, si un jour, il la retrouvait…
La gorge sèche, Alicia agrippa son téléphone. Tout contre un mur, elle l’amena au niveau de sa poitrine.
C’était le premier appel qu’elle recevait depuis que la photo avait été divulguée. Les pires scénarios s’entassaient dans sa tête, son cœur transformé en sauts de grenouille. Elle jeta un œil en direction de la chambre de son fils. Il y était resté enfermé depuis. Les bonds l’étouffait à chaque nouvelle tentative du numéro. Si bien qu’elle finît par se jeter à l’eau.
Elle décrocha, la voix noyée par l’angoisse :
- Allô… Qui est-ce ?
***
Kimi avait relevé la tête brusquement de son oreiller. Avait-elle bien entendu ? La nuit noire lui ajouta un doute au fait qu’elle ait rêvé, mais les toquements qui se répétèrent à sa porte lui confirmèrent que oui, elle avait bien entendu. Il fallait alors traîner son corps lourd hors de son lit. Brièvement, elle essuya la bave au coin de sa bouche, et rassembla les mèches fouillis autour de son chignon avant de poser pied à terre. La lumière de la lune se reflétait dans sa chambre. Elle avait oublié de fermer les rideaux. Elle avait oublié comment et quand elle s’était endormie, tout simplement.
Tout ce dont elle se rappelait, c’était cette horrible discussion avec Sky durant l’après-midi. Entraînées par la rage, des pulsations habitaient sa poitrine. Elle s’en voulait terriblement de penser directement à lui.
Sa rencontre avec Faye, cependant, lui avait fait le plus grand des biens. Le repas du soir avait été plus facile à appréhender de cette manière. Elle était ensuite remontée dans sa chambre, léthargique de sa journée, et la voilà qui se réveillait en pleine nuit.
Elle jeta d’ailleurs un coup d’œil à son réveil :
- Hein, lâcha-t-elle, à voix basse.
Plus de deux heures du matin. Kimi plissa le front en se frottant les yeux. Si on ne lui faisait pas une blague, alors il ne devait pas y avoir trente-six mille possibilités sur la personne. Elle sentit une pointe d'agacement ronronner dans ses entrailles lorsque les coups reprirent de plus belle. Prête pour la riposte, elle changea de tête en ouvrant la porte.
- Coucou !
Sans surprise, elle tomba sur Laure. Cette dernière frétillait dans une tenue… à laquelle Kimi dû regarder à deux fois.
- … sérieux ?
Emmoulée dans une robe qui grimpait jusque son cou, et à l’inverse s’écourtait au niveau de ses cuisses, elle avait le look d’une espionne et les bras allongés par la matière élastique. Il n’aurait manqué plus que ses longues bottines fassent partie intégrante de la combinaison.
- J’en ai une pour toi aussi !
Elle récupéra de justesse un bout de tissu. Kimi se gratta l’arrière de la tête. Est-ce qu’elle était encore en train de dormir ?
- Laure… tu fais quoi là ?
- Je vous emmène en mission, annonça-t-elle, solennellement.
Comment ça, vous ? En se penchant, Kimi put constater qu’elle n’était pas venue seule. Loyd, évidemment assorti à sa tenue, lui lança un signe de paix qui n’eut pas pour effet de la rassurer. Cela la fit rire quand même, mais bien moins que la présence du couple qui l’attendait impatiemment dans le couloir. Un visage blasé vint remplacer la fatigue et l’incompréhension :
- Qu’est-ce qui foutent là Mr et Mme Smith ?
Sky et Jena portaient des tenues similaires. Lui paraissait décontracté et elle, cool, avec un cargo et un pull à col roulé. Tournés l’un vers l’autre, Sky replaça le bonnet de sa petite amie. S’eut le mérite de décidé Kimi :
- Je viens pas, c’est mort.
- Oh non, s’il te plaît ! J’ai besoin de toi, couina Laure qui rassembla ses mains en une prière.
- … Tu as besoin de moi, mais c’est eux que tu es allée chercher ? Tu es qu’une sale vipère, dit-elle en la dévisageant de haut en bas.
- Je t’ai sonné plusieurs fois et je t’ai laissé plein de messages, je te ferai remarquer ! Allez, viens ! Ça va être amusant.
- … Et qu’est-ce qu’on va faire, exactement ?
Le sourire qui grimpa sur les lèvres de sa meilleure amie ne lui dit rien qui vaille.
- Doublement mort, dit-elle en faisant demi-tour.
Laure retint la porte d’un mouvement sec. Elle avait une force étonnante pour sa stature. Kimi se mit alors à la pousser dans l’autre sens.
- J’ai dit non…
- Kimi Dan’s !
- Je suis fatiguée ! Tu me saoules avec tes plans foireux.
Leurs visages se rencontraient dans l'entrebâillement.
- Ce n'est pas un plan foireux, s’acharna-t-elle en forçant la porte avec son pied. C’est la phase deux de l’opération. J’ai besoin de l’aide de tout le monde, alors ramène ton…
“Cul”. Laure faillit tomber sur le sien. Kimi avait lâché prise sur la poignée. Les deux filles se regardèrent durant de longues secondes.
- On a pas toute la nuit, lâcha Sky, qui semblait s’être fait réveillé au même titre que toute l’escouade.
- Parfait ! s’en alla Kimi. Mais hors de question que je porte cette robe…
- Tu ne veux pas jouer la compet’...
Tirée de force à l’intérieur de la chambre, Laure se mit à glousser. Elle observa sa copine défaire sa crinière en un mouvement et la secouer d’avant en arrière.
- Grrr, tigresse !
Elle apprécia voir la façon dont le regard de Kimi s’étira à cette appellation. Cette dernière avait bien compris le thème et sortit un jean, un pull et ses bottines noires. Lorsqu’elle enfila la capuche sur sa tête, une enivrante sensation s’empara d’elle. Combien de fois avait-elle effectué ce mouvement à l’époque d’I don’t Care ? Elle avait été à la tête d’un gang, et à cet instant, elle redoutait d’affronter un bête type et sa petite amie ? Elle s’en persuada en checkant son allure dans un miroir : il était hors de question de se laisser intimider. En attrapant ses clés, elle tint tête à Laure, qui la jaugeait avec satisfaction, les bras croisés.
La Richess en tête, les filles sortirent l’une après l’autre dans le couloir.
- On est prêtes.
- C’est pas trop tôt ! lança Jena, qui chipotait à ses ongles.
Confronté à son regard, Kimi lui passa devant, un sourire faux-cul coincé entre les joues. Sky eut droit au même tandis qu’elle lui passait sous le nez. Elle était prête à partir à l’aventure.
- Alors, on va où ? demanda-t-elle, les mains sur les côtes.
Laure entoura le bras de son petit ami d’un air ravi. Le couple partagea un regard complice. Il n’y avait pas à dire, ces deux-là formaient une paire parfaite.
Rieuse, elle procéda par énigme :
- À ton avis ?
***
Les jambes d’Alicia étaient restées coton jusqu’à ce qu’elle apprenne qui se cachait derrière ces appels.
C’était un homme, à la voix assurée :
- Je suis le manager de Billy Makes.
L’ombre d’un soulagement la gagna.
- Vous savez, le jeune homme qui vous a enlacé et qui se retrouve à la une à cause de votre imprudence.
- Mon… ?!
Le reproche lui donna une impulsion. Les nerfs à vif, elle se mit à tourner dans le deux-pièces. Il y avait des jours entiers qu’elle n’était pas sortie, le frigo se vidait à vue d'œil, à contrario du trottoir en face de son appartement. Elle avait abandonné son atelier, ainsi que ses clients.
Et si l’un d’eux l’avait reconnu ? Si l’un d’eux était en train de se faire passer pour ce manager ? Elle vint à en douter.
- Son manager, vous dite ? Prouvez-le moi, répondit-elle, le ton aussi cassant.
- Billy m’a raconté votre situation.
- …
- Je sais que Lana Praats est également Alicia Polswerd, et que vous avez fui la Suisse, en abandonnant lâchement votre fille…
Son cœur s’emballa.
- Vous êtes qui pour… !
- Un homme qui souhaite protéger sa star. Soyez rassurée, maintenant que je sais à quoi m’en tenir, il est hors de question que je laisse quiconque savoir qui vous êtes réellement. Billy n’a pas besoin que ce scandale prenne une telle ampleur. Je vais donc vous aider à sortir de votre appartement.
- Pourquoi aideriez-vous une lâche ?
- Il me l’a demandé.
S’il lui demandait de sauter d’un pont, le ferait-il ? La proposition lui parut alléchante. Elle voulait à tout prix retrouver la paix et préserver son identité.
- Je peux savoir comment vous allez vous y prendre ? Juste au cas où vous ne l’auriez pas vu, il y a une tonne de journalistes devant ma porte.
- Je le sais, je suis dans le bâtiment d’en face.
- Quoi…
- Ne touchez pas aux rideaux !
Alicia calma son élan. Comment avait-il deviné que l’idée lui avait traversé l’esprit ? Elle ne l’aurait pas fait, mais…
- Écoutez-moi, nous avons trouvé une solution pour vous sortir d’ici. L’une de mes collègues va bientôt se diriger vers le bâtiment. Nous avons plusieurs de nos gardiens qui se sont mêlés à la foule. Ils feront en sorte qu’elle passe. Je vais rester au téléphone avec vous et vous dire quand vous pourrez ouvrir la porte principale. Je veille d’en haut à ce que tout se déroule correctement. Vous m’entendez ? Allô ?
Elle l’entendait bien, et Alicia avait l’impression d’être devenue l’actrice principale d’un film pour espions. La tournure des événements lui laissait un goût amer. Elle balaya son appartement d’un regard.
- Oui, je vous entends.
- Ma collègue vous apporte de quoi pouvoir sortir incognito.
- … Et après ? fit-elle, lasse, en se demandant par quels moyens cette femme pourrait bien y arriver.
- Prenez quelques essentiels dans un sac, répondit-il après un temps. Vous ne rentrerez plus chez vous.
Étrangement, cette réponse ne l’étonna pas. Elle s’attarda sur les tableaux et les peintures de son fils plutôt que sur le reste.
- Vous ne me demandez pas mon avis ?
- Non, et je vous déconseille d’essayer de trouver une autre solution. C’est la meilleure qui s’offre à vous.
- … Je peux au moins savoir de quoi il s’agit, exactement ?
- Vous allez rejoindre notre équipe et travailler pour Billy le temps qu’il finisse son film. Nous vous trouverons un poste discret. Puis, vous reviendrez en Suisse avec nous…
- C’est hors de question que je retourne en Suisse. Je ne peux pas abandonner ma situation ici, comment voulez-vous que je règle…
- Vous n’aurez rien à faire : Olivier Xavier se chargera de tout.
- … Comme c’est pratique, dit-elle amèrement.
Forcément, le vieux était dans le coup.
- Il a contacté Billy, à qui il a exposé son plan pour vous ramener en Suisse. Je crois que votre fils ne sera pas mécontent à l’idée. Si j’ai bien compris, il vous a fait quelques menaces…
- Ce n’était pas des menaces, juste un enfant qui souhaite rencontrer sa sœur, et je doute qu’il me suive docilement. Il ne veut même plus m’approcher, mais vous devez déjà le savoir aussi, ça ?
- Dites-lui que vous allez mener une vie sur les routes, aux côtés d’une star, et qu’une fois rentrés, il pourra revoir sa sœur.
- Non, je…
- Peut-être pas tout de suite, mais cela arrivera un jour. Ou alors vous ne comptez vraiment pas la rencontrer à nouveau ?
Cela arrivera un jour.
- Je peux tout aussi bien vous laisser dans votre appart jusqu’à ce que vous ayez trop faim et deviez sortir de chez vous. Là, il n’y aura plus aucune chance que votre secret soit gardé. N’est-ce pas mieux de lever le voile par vous-même, lorsque vous vous sentirez prête…
- C’est bon ! J’en ai assez de votre voix. Faites venir votre collègue, je vais prévenir mon fils.
Depuis son point de hauteur, l’homme aux lunettes laisse un fin sourire se dessiner sur son visage. Il avait réussi sa mission.
Quant au fait de convaincre Allan, cela n’avait jamais été aussi facile. Ce dernier sauta de joie à l’idée de rencontrer sa sœur :
- Merci, maman !!
Quand il fonça dans ses bras, Alicia sentit son cœur se torsionner.
- Tu as compris que ce ne sera pas pour tout de suite ?
- … Oui, répondit-il, en tentant de réprimer son excitation, alors qu’il se balançait de la pointe de ses pieds à ses talons.
- Je ne sais pas quand nous retournerons en Suisse. Une fois là-bas, ce ne sera pas non plus aussi simple que d’aller toquer à la porte de ta sœur… J’ai aussi besoin…
De temps.
Le manager de Billy lui rappela qu’elle n’en avait pas beaucoup. Elle entendit sa voix lui demander de se maintenir auprès de l’interphone. Alicia s’exécuta tandis que son fils retourna se cacher dans sa chambre.
- C’est pour bientôt.
Elle entendit des exclamations s’élever depuis l’extérieur.
- Que se passe-t-il ? demanda-t-elle, soucieuse.
- Maintenant.
- Quoi, je…
- J’ai dit, maintenant !
Alicia ouvrit l’accès au bâtiment. Les cris dehors s’accentuèrent, à l’instar de ses pulsations cardiaques. Elle gonfla les narines, alerte.
- Est-ce que ça… à fonctionner ?
Les coups à sa porte lui firent faire un bond. Ils étaient timides. De la même manière, Alicia ouvrit son appartement. Elle glissa un œil dans la fente.
- Oui, ça a fonctionné, répondit une femme, dont les joues roses notaient une course effrénée.
Cette dernière s’invita d’elle-même à l’intérieur.
- Nos gardes ont prétexté que vous étiez dans la rue et ils se sont tous agglutinés autour d’une de nos collègues blonde. J’ai couru à l’instant où ils se sont rendu compte que j’allais entrer. Ces gens feraient n’importe quoi pour rentrer chez vous, c’est fou ! Pauvre Gipsy, elle va sûrement se retrouver dans le journal, elle aussi. Alors, je vous ai amené ceci…
- Comment vous vous appelez ?
- Lorène, et vous ?
- … Alicia.
- Tiens, je pensais que c’était Lana, répondit-elle, confuse.
- Non, c’est bien Alicia.
- Autant pour moi ! Alors, Alicia, regardez donc un peu ce que je vous ai pris au supermarché !
Lorène sortit de son sac de course une boîte qu’elle agita. Elle la rattrapa de justesse entre ses mains.
- J’en ai pris deux, une pour vous, et une pour votre fils, dit-elle en fouillant son sachet plastique. Tout ce que les médias connaissent de vous, ce sont vos cheveux blonds. Avec ceci, impossible qu’ils vous poursuivent. Qu’y a-t-il ?
- … Du noir, c’est un peu…
- En réalité, c’est du brun ! Très foncé, je vous l’accorde, mais du brun quand même. Vous avez peur de perdre vos cheveux ou quoi ?
- Non, c’est juste que ça ne me ressemble pas.
- Je peux comprendre, mais… il faut qu’on vous sorte d’ici. Cela dégorgera. Puis, ce n’est pas définitif.
Alicia acquiesça, la mine abattue. Elle fit ensuite sortir Allan de sa chambre. Celui-ci adora l’idée de se colorer les cheveux.
Avec une crête-de-coq sur la tête, il se réjouit :
- C’est comme si on était en fuite !
En son for intérieur, Alicia lui répondait que c’était le cas.
***
Le soir venu, les policiers, habillés en civils, entouraient le bâtiment. Ils se réunirent auprès de la porte d’entrée.
D’un mouvement, l’officier fit signe à un de ses hommes de s’occuper de la serrure. Peu de temps après, ils entraient :
- Il fait noir, chef…
- Ta gueule.
Des rires s’étouffèrent dans la pénombre, en échos.
- … Ça résonne ? Éclairez-moi tout ça.
Les lampes de poches s’allumèrent l’une après l’autre et éclairèrent peu à peu l’immense endroit. Éparpillés, les homme se lancèrent des regards, abasourdis.
- Chef… Y'a rien ici, c’est vide.
L’officier Durand claqua sa langue contre son palais.
- Je ne suis pas aveugle.
- Comment c’est possible… Il y avait des lumières et du monde, il y a encore quelques heures… Comment on vide une boîte de nuit en quelques heures ?
En effet, le KY.E.SS ne donnait plus aucun signe de vie. Tout ce qui avait pu être retiré avait disparu. Il n’en restait plus que les contours, comme le podium, par exemple. En grimpant dessus, l’officier espérait trouver une réponse à cette énigme.
- J’en sais rien ! C’est… Qu’est-ce que c’est, ça ?
Il fit aller sa lampe de poche à ses pieds. Sa grimace fut éclairée par le geste maladroit d’un de ses camarades.
- Baisse-moi ça !
- Vous avez trouvé un truc ?
- Oui, c’est…
Rassemblés sur le haut point de la piste de danse, les hommes écarquillèrent leurs yeux. Une petite culotte noire et sexy se baladait entre les doigts de l’officier. Un petit carré en carton et aux couleurs de la boîte, l'ornait.
Il était inscrit en de belles grandes lettres : “Kiss”.
- Ça veut dire quoi, ça ? lança l’un des agents.
- Vous croyez que ça appartient à une de ses nanas qu’on avait vues sur les photos ? demanda un autre, criard.
Celui-là se tut tout de suite en voyant l’expression de son supérieur se refermer. Ils s’étaient tout simplement fait devancer et ce sous-vêtement n’était rien d’autre qu’une provocation.
- Je pense qu’il n’y a jamais eu de ces nanas, ici. On va tout fouiller pour en être certain, mais ce qui est sûr, c’est que cette personne joue avec nos pieds, et certainement avec ceux de Chuck Ibiss.
- Vous pensez pas que c'est lui ?
- Non, ça, ce n’est sûrement pas son œuvre, mais celle d’une femme, déclara-t-il.
- En tout cas…
Le petit rigolo des agents ne put s'en empêcher :
- C'est culotté !
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