Chapitre 32 : Chuck Ibiss.
Ça n’avait jamais été un secret. Chuck Ibiss et Marry Stein étaient faits du même calibre. En perpétuelle compétition, comparés, associés, les Richess ne se ressemblaient pas seulement. Ils rassemblaient les propos de l’opinion publique. Leur rivalité animait. C’était du vu et du revu, un jeu qui ne cessait jamais d’amuser. Quand l’un prenait le pas sur l’autre, l’autre reprenait le pas… Pourtant, quelque chose les séparait, et dans le salon de Dossan, ce quelque chose se mesurait en quelques mètres à peine.
Rangé dans son coin, Chuck avait eu toute l’après-midi pour observer Marry. Des heures durant, cette dernière avait fait preuve d'une telle concentration, qu’il n’intercepta qu’un ou deux seuls de ces regards.
Il la détaillait pour la millième fois : ses boucles blondes, relevées en une queue-de-cheval, ses jambes croisées sous la table, et ses orteils creusant la moquette,... Ceux-ci gigotaient à côté des talons qu’elle avait abandonnés à la mi-journée. La précision l’avait gagné à mesure qu’elle avait retroussé ses manches sur ses coudes. Ainsi, penchée sur le papier, son crayon gravitait, les dessins se multipliant. Acharnée, elle l’avait toujours été. Il y avait des années maintenant qu’elle maîtrisait l’art de concilier à la fois travail et vengeance et celui-ci s’exprimait dans le plus anodin de ces gestes.
Comme si elle l’eut fait sur une gâchette, elle tira sur son élastique et libéra sa crinière dorée. Des mèches folles se logèrent dans son décolleté, quand en s’étirant, elle remarqua qu’il n’y avait plus une once de lumière dehors. Où le temps s’était-il envolé ? ; à la recherche d’un indice, elle balaya la pièce du regard, et rencontra celui de Chuck. Ce dernier, avachi, cacha un tressaut derrière un battement de cils.
Le poing encastré dans sa joue, il guettait l’horloge du salon : Dossan n’était toujours pas rentré. Le gamin non plut. Quant à Kimi, elle n’en avait pas fini de se cacher. Il songea brièvement à la requête de son ami.
Décidé, il se leva de son siège à l’aide de ses deux mains. Sans doute un peu trop brusquement, car celui-ci crissa dans son dos.
- Qu’est-ce que tu voudrais manger ? envoya-t-il, au travers du silence grondant.
Sans réponse, il se retourna. Marry en avait profité pour le scanner de haut en bas.
- Tu viens voir ?
Le petit mouvement de tête qu’il lui adressa ressemblait de trop près à un ordre à son goût. Elle sourcilla, mais n’émit aucune résistance. À pas feutrés, elle se glissa à ses côtés, ses orteils bravant vaillamment le carrelage froid.
- Il y a du canard, soupira-t-elle.
- Assez pour toute la famille, reprit Chuck en analysant les étagères. Dossan prépare toujours les menus à l’avance, donc…. Faisons quelque chose de simple. Une omelette…
- Une omelette, releva-t-elle, avec une pointe de sarcasme.
- Oui, tu sais, avec les œufs qu’il nous reste.
Les rescapés reposaient dans un panier sur le plan de travail.
- Si c’est une question d’argent, je peux lui rembourser les courses.
Pour toute réponse, Chuck lui fourra un paquet de lardons dans les mains, les siennes alors prises d’un ravier de champignons, et du bloc de gruyère déjà entamé.
Un fin sourire se dessina sur ses lèvres :
- Ça ne fonctionne pas comme ça. Tu peux m’attraper le pot de tomates séchées ? Dans l’armoire, au-dessus, dit-il en refermant le frigo d’un coup de hanche. Merci…
Il l’ouvrit sous son nez.
- Qu’est-ce que tu en penses ?
- Ça sent bon, répondit-elle, simplement.
- Passe-moi un oignon, s’il te plaît.
D’un geste, il lui indiqua où ceux-ci se trouvaient. Avant même de s’en rendre compte, Marry se trouva en possession du légume. Pourquoi diable l’écoutait-elle ? Elle le poussa lourdement dans sa paume pour s’en débarrasser, et tandis qu’elle étirait les lèvres grotesquement, leurs doigts se rencontrèrent brièvement autour des pelures.
Chuck en profita pour la scanner de haut en bas.
- Et je m’occupe du reste,... souffla-t-il.
Aussitôt dit, aussitôt fait… Ce dernier l’abandonna pour les casseroles et les poêles. Marry fit de même pour le confort du canapé. Elle s’y laissa tomber, les bras rassemblés, et attrapa la télécommande. Tous ces bruits l'agaçaient, mais un tintement en particulier récupéra son attention. Chuck avait sortit la bouteille de vin blanc et déglaçait les oignons avec l'alcool. Elle haussa les sourcils.
Donc, il cuisinait.
Il cuisinait, et comme un chef. L’odeur des allumettes fumées et des chanterelles vint soulever ses narines. Cela sentait délicieusement bon, et il n’y avait rien de moins étonnant. Chuck était un fin gourmet. Une bouche aussi fine que la sienne pouvait seulement rendre un plat aussi banal, tout à fait délectable. Du bout du doigt, il jaugea la combinaison des épices avec lesquelles il s’était amusé. Son regard glissa dans le sien, empli de satisfaction.
Ils allaient pouvoir passer à table. Dès lors, tandis qu’il dressait les omelettes, Marry s’appliqua à le juger sévèrement :
- Où est le vin ?
- Tu parles, donc, releva-t-il, l’air étonné.
Mais il n’osa plaisanter davantage.
- Ne m’attends pas pour manger, je vais tenter une approche avec Kimi.
- Si tu veux, je peux l’appeler, moi, proposa-t-elle, en attrapant ses couverts. Ne me regarde pas comme ça… Je peux crier très fort, tu sais.
- …
Chuck répondit à ce ton, nullement innocent, en surélevant l’assiette de Kimi. Il décida de lui apporter directement dans sa chambre, et à son retour, il revint les mains vides, vainqueur. D’une manière ou d’une autre, il avait réussi à lui faire accepter son repas. L’adolescente lui avait même accordé un merci. Un mot qu’il n’espérait pas entendre sortir de la bouche de la blonde en face de lui, et ce, malgré l’état de son assiette.
S’il ne pouvait en dire autant de sa compagnie, il devinait au moins qu’elle avait apprécié le repas. La gourmandise, cependant, restait l’un de ses plus grands pêchés.
- C'était bon ? osa-t-il.
Marry était en train de replier sa serviette, quand, elle releva ses lourdes paupières en des battements de papillons. Elle la chiffonna, avec poigne.
- Oh, mais c’est toujours bon avec toi, Chuck, dit-elle, en la pressant au milieu de son assiette. Mais…
Elle s’attabla, ses phalanges croisées sous son menton.
- Il y a comme un goût d’infini, siffla-t-elle. Tu ne trouves pas ?
Au-dessus de son regard fixe, un de ses sourcils sauta. Il n’y avait pas beaucoup de monde capable de coupler le sifflet à Chuck Ibiss, mais Marry le pouvait. Cette dernière prit une grande inspiration.
- Je vais prendre ma douche.
Son congé fut marqué d’un temps, où elle l’observa de haut : il avait replacé ses couverts parallèlement. Chuck se mit à glisser machinalement son pouce sur ses lèvres. Elle n'avait pas claqué la porte en partant. Quelques mois auparavant, elle l’aurait fait. Il plissa les yeux… Quelques mois auparavant, il lui aurait répondu sans hésitation qu’il l’accompagnait sous la douche.
***
Des frisottis ornaient déjà la chevelure que Marry s’appliquait à presser dans un petit essuie. Entre les nuages de buée, elle s’attela à capturer son reflet. L’eau chaude avait effacé chacun de ses artifices. Elle avait noyé sa rage, mais pas la mine affreuse qu’elle portait.
Elle grogna en balançant l’essuie dans la manne à linge. Le chemin inverse jusqu’au salon lui parut pénible. Celui-ci s’était transformé. Elle découvrit Chuck, dans la lumière tamisée, en train d’ajuster ses oreillers sur sa couchette.
À cette vision, sa poitrine se souleva.
- Où vais-je dormir ? demanda-t-elle, d’un souffle court.
Chuck ne l’avait pas entendu arriver. Au milieu du salon, elle attendit une réponse, les bras ballants. Elle était toute en simplicité.
Il répondit lentement :
- Tu ne te sèches pas… les cheveux ? Dans mon lit, dit-il, alors qu’elle cherchait à comprendre l’intérêt de cette question. Je veux dire, tu peux dormir ici, et moi, j’irai dans celui de Dossan. Ce ne sera pas la première fois.
- Ha, ça, c’est sûr ! Tu as sûrement dormi plus avec lui qu’avec moi en…
Marry tut soudainement ce petit ton malin, et bourré de reproches. Elle se réfugia auprès de sa valise, de laquelle elle sortit un livre.
- J’aimerais me coucher, dit-elle, assez durement, en venant le contourner.
Son épaule manqua de claquer contre la sienne. Défait, Chuck l’observa s’installer là où il dormait habituellement. Elle parut confortable, le nez plongé entre les pages de son bouquin.
- J’ai un peu de lecture aussi… Si ça ne te dérange pas.
Elle humidifia son doigt, en le laissant prendre place dans le canapé accolé. Chuck s’adossa en ouvrant une vieille BD. La soirée prenait des allures d’un remake de l’après-midi, bien que les regards cette fois, devinrent bien plus nombreux. Ces quelques minutes s’écoulèrent telle une éternité.
En équilibre sur son pied, la pantoufle de Chuck témoignait de son agitation. À chaque fois, le regard de Marry s’installait de plus en plus lourdement dans le sien. Quand elle le changea de direction, une énième fois, il se réajusta dans le fauteuil en maintenant son coude sur le dossier.
- Marry…
Elle fit comme si elle ne l’avait pas entendu.
- S’il te plaît, dit-il, résolu. Tu m’as ignoré toute la journée. Je crois… que, maintenant, tu pourrais me dire ce pourquoi tu es venue ? J'aimerais qu’on discute, essaya-t-il, encore.
Mais elle ne réagit pas, bien que son nez gagnait en hauteur à mesure qu’il parlait, et évidemment, il le remarqua.
- C’est insupportable de t’avoir devant moi de cette manière…
Elle referma son livre d’un coup.
- Figure-toi que c’est le but !
Si son regard avait pu tuer… Elle n'arrivait plus à se contenir.
- Tu ne crois pas que celui qui me doit des explications, c’est toi ? Tu m’as laissé sans nouvelles pendant des mois !
Il abaissa doucement la tête.
- Pauvre bébé. Incapable de supporter une petite journée sans me parler ! Tu n'es qu'un lâche, dit-elle à demi-voix. Un lâche… Pour t’introduire dans ma chambre et me déshabiller, là, tu étais présent !
Réveillé par ses propos, Chuck chercha à le contredire :
- Ne crois pas que…
- Justement ! Je ne sais pas quoi croire ! Tu m’as laissée sans nouvelles… et…
Envahie par l’émotion, elle plongea sa tête entre ses genoux. Alerté, Chuck sauta de son fauteuil pour la rejoindre, assis, auprès de ses pieds finement décorés des ondulations de son pyjama. Il y glissa doucement ses doigts. Marry releva vers lui uniquement son regard. S'y reflétait la douleur emmagasinée durant ces longs mois : l'attente, l'incompréhension, le manque,... Comme s'il cherchait à en capturer plus, Chuck dégagea une de ses mèches cheveux. Elle ne le repoussa pas. À la place, elle attrapa sa main et la ramena auprès de son cœur.
- Tu m’aimes ?
Elle avait le don de le stupéfaire.
- N'est-ce pas ? Car moi, je t’aime, et après la nuit que nous avons passée ensemble, j’espérais... Pourquoi est-ce que tu m’as laissé dans le silence ?
Et de le rendre vulnérable. Cette question lui fit tourner la tête, ailleurs. Celle-ci donnait l'impression de pouvoir exploser, tant il hésitait.
- Chuck.
Sa voix grave l’interpella.
- Je veux être avec toi. Alors, fais ton choix. C'est soit Priss, soit moi…
- Comme si il y avait un choix à…
- Bien sûr, Chuck, tu n’as aucune affection pour elle, dit-elle en roulant des yeux. Si tu ne l'aimais pas, pas même un peu, tu aurais déjà trouver le moyen de te débarrasser d'elle. Je te connais, susurra-t-elle. Que se passera-t-il quand tu la quitteras ? Que fera-t-elle quand elle aura compris pour nous deux ? Je sais que tu as peur…
- Comme si j’avais peur de Priss.
- Peur de la blesser, j’allais dire.
Marry se mit à faire des grands gestes :
- “Comme si ceci” ; “comme si cela”…Tu peux faire croire n’importe quoi à n’importe qui, mais pas à moi. Je sais très bien quelle genre de femme Priss est derrière ses grands airs et ce qui t’a charmé chez elle…
Il prit du recul, instantanément.
- Ah oui, vraiment ?
- Tu l’as choisie parce qu’elle était plus fragile qu’elle ne voulait bien le faire croire et c’est exactement cette fragilité qui a fini par te conquérir. Ne cherche pas à me tromper, Chuck, je sais qui tu es.
- C’est elle que j’ai trompée, dit-il, en laissant échapper un mince rire.
- Et comme d’habitude, tu te caches derrière cet humour… Comme si rien ne pouvait t’atteindre, oh toi, Chuck Ibiss…
- Rigole. Ce n'est qu’un nom.
- Alors, c’est cette carte là que tu as décidé de jouer ?
- Oui, parce que ce n’est qu’un jeu ! Oh oui, je suis Chuck Ibiss ! Et pourtant, quand je rentre chez moi le soir, je… Comme c'est amusant. Je suis seul. Quand je rentre à la maison, personne n'est là pour m'accueillir, pas même ma femme, le soir où je l'ai trompée. Ma femme, qui me méprise, et que je ne culpabilise même pas d’avoir trompée !
- Ça, je n’y crois pas une seconde.
- Mais voyons, Chuck Ibiss ne culpabilise pas.
- Sauf que c’est faux, sinon pourquoi ne sommes-nous pas encore ensemble ? Je ne vois franchement pas d'autre raison... S'il y en avait une autre... !
Chuck se recueillit dans ses paumes.
- Ça me terrifie... de savoir qu’il pourrait y avoir une autre raison.
Il n’avait pas besoin de voir son visage pour capturer ses larmes naissantes. Elle avait souffert au cours de ces mois, les mêmes où il avait graduellement disparu dans son canapé. Et elle souffrait toujours. Voilà pourquoi elle était venue. Elle attendait plus qu'une explication.
- Plus tard, quand je l’ai vue, dit-il, doucement. J’ai pensé… Je ne sais pas vraiment ce que j’ai pensé, mais j’ai eu mal au cœur… Et entre-temps, enchaîna-t-il, j’ai découvert que ma fille n’avait aucune confiance en moi. Alors, oui, je suis Chuck Ibiss. Mais qu'est-ce que ça vaut à côté d'une fille qui me déteste ? D’une femme avec laquelle je ne fais que me disputer ? À quoi est-ce que me sert d’être si puissant, si riche, quand je n’ai rien… Pas même une famille heureuse ? Je m’en suis sans doute rendu compte un peu trop tard, mais... j'aurais peut-être été heureux que tout ça se déroule autrement. J'aurais voulu ne pas être si égoïste, mais je… t’aime, dit-il avec douleur. Je n’ai pensé qu’à moi, à toi. Durant toutes ces années, je n’ai fait que penser à ce jour où nous pourrions…
- Quoi ? Dis-le, s’éveilla Marry.
- Tu penses réellement que je ne veux pas être avec toi ?
- Arrête de me parler par énigmes.
- Mais c’est ce que je suis ! rugissa-t-il, en quittant le canapé. Je suis un homme énigmatique ! Personne ne peut imaginer ce à quoi je peux penser, ce que je peux préparer en secret, et d’ailleurs, tout le monde se satisfait de nous voir se déchirer. Que… Que penseront-ils quand ils nous verront ensemble ? Est-ce que même on arrivera à se tenir la main en public ?
Marry sauta sur ses deux pieds pour se planter à quelques millimètres de son visage. Elle émanait d’une colère noire.
- Tu aurais honte de nous ?
- Ha, vraiment,... Comment pourrais-je ? Et, dit-il en dégageant sa main, ne t'approche pas aussi près. Je vais encore finir par te déshabiller et disparaître.
- Eh bien, vas-y ! s’insurgea-t-elle, en poussant sa poitrine contre son torse. Qu’attends-tu ? Puisque tu es si primaire, et si désinvolte, monsieur, je n’ai aucun cœur, mais je culpabilise d’avoir trompé ma femme !
- Parce que ce n’est pas normal ?!
- Si ça l’est !! Comment crois-tu que je me suis sentie envers William ?! D’imposer ça à Alex…
Alors qu’il s’apprêtait à répliquer, Chuck arrêta son geste réprobateur.
- Tu l’as dit à Alex ?
- Bien sûr que je lui ai dit, c’est mon meilleur ami !
- Pourquoi… ?
- Ha, je ne sais pas ! J’ai pensé qu’un peu d'honnêteté ne me tuerait pas ?
- Non, tu ne comprends pas. Il a dû le dire aux autres… À nos enfants, les Richess, ses amis quoi ! Ça ne te dit plus rien ? s’agaça-t-il.
- Oh, mais oui, c'est sûr. Il a dû s’amener près d’eux en leur disant : “Eh oh ! Vous savez quoi ? Ma mère et Chuck Ibiss ont couché ensemble !”. Voyons Chuck…
- C’est exactement ce qu’il a dû faire, parce que c’est exactement ce que nous on aurait fait.
Marry croisa les bras :
- Je peux savoir pourquoi tu accuses mon fils…
- À cause de ça, dit-il en se retirant dans la cuisine.
En hâte, il sortit de sa housse d’ordinateur, un dossier. Celui-ci s’éparpilla quand il en tira une feuille, une photo imprimée plus précisément, qu’il amena au niveau du visage de Marry.
- Qu’est-ce que c’est ? fit-elle en la tirant d’un geste.
- Ça, c’est ce que les policiers ont trouvé au KYESS dernièrement. Le KYESS qui a été vidé de A à Z, comme par magie. Comme j’aime exactement faire les choses. Un bar, je te rappelle qui me fait vivre la misère depuis déjà des semaines. Un bar, splendide, luxueux, à la pointe de la mode, à mes couleurs,... Exactement comme cette petite culotte. Tu ne crois pas que… ?
Il trépigna tellement ça l'énervait.
- Que ça me ressemble parfaitement ? Je peux t’assurer que ce n’est pas Priss qui est derrière tout ça, alors qui d’autre, évidemment, que ma fille, qu’une Ibiss, pour me copier à la perfection ?
Marry détailla la petite culotte photographiée avec effroi. Elle était ravissante, sexy, sombre, scandaleuse :
- Oh, la salope.
- … Quand même Marry, c’est ma fille, alors…
- Chuck, ma prochaine collection, c’est une collection de sous-vêtements. Une collection sur laquelle mon fils travaille ! dit-elle en placardant la feuille sur son torse.
- Tiens donc, et ça, il ne doit pas l’avoir dit à ses amis non plus ?
- Bon sang.
Elle s'en serrait arraché les cheveux.
- Je te l’avais dit pourtant... Je t’avais prévenu qu’il fallait que tu fasses à ta fille !
- Oh, mais, désolé ! J’étais bien trop occupé à coucher avec toi !
Il pressa ses mains l’une contre l’autre.
- Excuse-moi, je n’aurais pas dû dire ça. C’est simplement que... Ça fait des semaines que j’essaye de me persuader que ce n’est pas elle qui m’a fait ça. Des semaines que j’essaye de prendre les bonnes décisions…
- Je parie que ne pas être avec moi fait partie de ces bonnes décisions.
- Ne dis pas de bêtises, comme si je pouvais arrêter de t’aimer.
- Des bêtises ? Alors que tu me sors des comme si à tout bout de champ ! J'en ai marre... Et je m'en fiche de ce que tu as bien pu réaliser ou non. Tu envisages un avenir avec moi, oui ou non ? Où tu comptes te laisser marcher dessus par ta propre fille ? Combien de temps tu vas la laisser salir ton nom ?
- Je t’ai dit que ce nom…
Enragée, elle l'attrapa par le colbac.
- Dans mon souvenir, Chuck Ibiss, tu avais des couilles ! Ton nom à toute son importance ! Si aujourd’hui tu te rends compte que les gens ne te jugent que pour ta façade, ce n’est pas mon problème.Tu l’as bien voulu, c’est ta faute !
- Si ce n'était pas ma faute, ça ne me torturait pas autant.
- Oh, ferme-la. Personne, pas même ton père, n’a su t’évincer, et tu abandonnerais face à ton adolescente ?
- C'est ce que mon père a fait.
- Mais tu n'es pas lui. Imagine si je m'étais fiée à ma mère ? Quelle femme horrible et égocentrique je serais devenue ? Chuck ton nom vaut des milliards, mais ce n'est pas pour ça que je t’aime… Je t'aime parce que, toi, tu es la meilleure personne que je connaisse. Combien de fois t’es tu sacrifiée pour les autres ? Cela continue de te jouer des tours.
- Je ne veux pas me battre contre ma fille.
- Ta fille a besoin d'un père qui la réprimande ! Comment crois-tu que je traite mon fils quand il fait une connerie ? Je vais le chercher par la peau du cul. Quand on veut quelque chose, Chuck, on va le chercher, et je ne connais personne, non personne, qui fasse ça mieux que toi. Alors…
Marry se rendit compte qu’elle avait entièrement déformé son col. Elle le replaça doucement, désolée.
- Soi toi-même, et tout ira bien… dit-elle, à voix basse.
- Tu me demandes d'être moi-même… comme si...
Il se reprit :
- ... Je pouvais faire tout ce dont j'ai vraiment envie ?
- Et de quoi as-tu vraiment envie ? demanda-t-elle, en venant lui caresser la joue, d’un doigt uniquement.
Chuck attrapa son visage, avec plus de douceur qu'il n'en avait jamais fait preuve.
- Je veux aller à la mer, avec toi. murmura-t-il. Je voudrais qu’on se ballade, le long de l’eau, sans penser à rien… Qu’il n’y ait aucun bruit, et personne autour de nous. Qu’on puisse s'embrasser sans avoir à se presser. Je veux ressentir la tranquillité au moins une fois dans ma vie, en étant à tes côtés… Je veux être avec toi.
- Et ça, répondit-elle, c'est quelque chose que Chuck Ibiss ne peut pas faire ?
Elle avait soufflé ces mots à son oreille. Leurs regards se croisèrent, de façon électrique. Marry profita de cette proximité pour croiser ses doigts aux siens.
- Tu devrais dire à Priss ce que tu ne lui as jamais dit. Et arrêter de te préoccuper de qui tu es. Quant à ta fille, je serais avec toi. Donc, ne la prends pas pour excuse, ni la mer, d'ailleurs, car ici,... Maintenant, nous sommes seuls. Il n’y a personne et il fait calme, tu peux…
Quand son nez se rapprocha du sien, elle relâcha l’étreinte de ses doigts.
- Tu peux…
Il n’eut qu’à tirer un peu sur sa nuque pour ramener ses lèvres aux siennes. Sans se hâter, il l'embrassa, avec profondeur, lenteur... Comme il ne l'avait jamais fait. Sans déchirer ses vêtements. Mais sans retenue, quand même, il caressa l'intérieur de sa bouche. Envoûtée, Marry quitta son torse, avec les joues chaudes, et les yeux remplis de lumière.
Chuck en apprécia le bleu, entre ses paumes :
- Tu m'aimeras… même comme ça ?
- Si tu m’avais déjà embrassé comme ça, je ne t'aurais jamais quitté.
- Attends qu'on fasse l’amour…
- Ch… !
- Merci, lui souffla-t-il, ensuite. D’avoir été plus courageuse que moi, en venant. Je t'aime tellement... J’avais peur de te perdre encore une fois.
Il y avait longtemps que cette peur avait quitté Marry. Elle essaya de l’embrasser aussi tendrement qu’il ne l'avait fait.
Cela le fit rire doucement.
- Aheum !
Occupé à ses lèvres, Chuck ouvrit un oeil. Il aperçut Kimi dans les escaliers. Cette dernière descendait les marches restantes.
- Désolée, euh… Chuck, c'est ton téléphone. On a essayé de t’appeler, alors… Je voulais te le passer…
- Ton téléphone ? s’interpella Marry, en jetant un oeil drôle à son amant.
Kimi s'exécuta, d’ailleurs, sans vraiment oser regarder la Richess dans les yeux.
- Qui était-ce ? demanda Chuck, en l’attrapant.
- Euh, ta femme, répondit-elle, en ayant l’air encore plus embarrassée.
- … Merci, Kimi. Tu peux filer.
Elle disparut, telle une flèche.
- Je me demande ce qu’elle a pu entendre, marmonna Marry, gênée.
Chuck était en train de fixer son téléphone.
- Est-ce que tu vas la rappeler ? demanda-t-elle.
- Vu l’heure, je suppose que ça doit être important, et puis...
D’une main, il l'amena à son oreille. L’autre lui servit à la rassurer.
- J’aurai des choses à lui dire.
- Ne romps pas avec elle au téléphone…
- Tu me prends pour un salaud ?
- J’aurai bien répondu à la positive, mais je vais m’abstenir.
Chuck sursauta et glissa son index entre ses lèvres.
- Priss, tu m'appelles tard… Tout va bien ?
- Tout dépendra de ta réponse. J’ai besoin d'un coup de main.
- Un coup de main ?
- Oui, s’il te plaît.
Chuck et Marry, dont l’oreille était baladeuse, eurent la même réaction : ils grimacèrent,... Elle avait dit s’il te plaît. Les amants se jaugèrent, curieux tout deux.
- C'est à quel propos ?
- En fait…
Depuis l’autre bout du fil, Priss marqua une pause.
- J’espère franchement ne pas parler à la vermine qui traîne en pantoufle chez son camarade de classe.
- Ha, et à qui souhaites-tu parler dans ce cas ?
- C’est avec Chuck Ibiss que je veux parler.
Une petite lueur naquit dans les yeux de l’homme aux cheveux bleus. En le constatant, Marry leva un sourcil de la même manière qu’il le fit. Ils se sourirent, main dans la main.
C’était vrai, ce nom avait toute son importance.
- Présent. Dis-moi tout.
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