Chapitre 33 : Come back home.

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La neige tombait sur le pare-brise :


  • Super, maugréa Leroy.

Avancé entre les sièges conducteurs et passagers, il glissa un rapide coup d'œil à leurs occupants. Kimi et Dossan ne s’étaient pas adressé un mot de tout le trajet.

Le moteur vrombissait, à l’arrêt, et ce dernier n’avait toujours pas décollé ses mains du volant. Les matins de ce type-là n’étaient pas sa tasse de thé ; la fatigue se lisait dans son regard fixe, qui, avec force, scrutait le trottoir opposé. Laure Ibiss y attendait, un café à la main. Le large pompon au-dessus de son bonnet était immanquable. Kimi en possédait un tout à fait similaire. Elle l’enfonça sur sa tête en s’apprêtant à sortir, mais Dossan l’en empêcha. Il appuya sa main contre la sienne, au niveau du bouton de la ceinture de sécurité.

Entre les deux, Leroy, mal à l’aise, pressa ses lèvres l’une contre l’autre :


  • Bon, bah salut ! lança-t-il.
  • Attends ! Tu n’as pas d’écharpe ?

Dossan s’était retourné d’un coup dans son siège. Il en profita pour lui claquer la bise et filer en vitesse.


  • Bisous, papa !
  • Non,… ! Bon sang, souffla-t-il, après qu’il ait évité une voiture de justesse. Il ne fait attention à rien.

Sur le siège à côté, Kimi gigotait d’impatience.


  • Euh, est-ce que je peux y aller ?

Elle osait à peine le regarder dans les yeux. Il la jaugea, et se rappela que quelques années auparavant, elle aurait tout donné pour rester dans la voiture. Sans dire un mot, Dossan se pencha pour ouvrir la boîte à gants. Elle n’avait pas pensé à cette cachette.


  • Tu as réfléchi à ce que tu allais lui dire ? demanda-t-il, en lui tendant son téléphone.

Mais quand elle essaya de l’attraper, il émit une résistance. Instantanément, les épaules de Kimi s’affaissèrent. Elle ne savait pas quoi répondre à cette question.


  • Tu sais, fit Dossan, en jetant brièvement un œil en direction de sa meilleure amie. J’étais très content quand je t’ai vu pour la première fois avec Laure, là-bas. Et je suis toujours content que tu sois devenue amie avec elle, et les autres Richess, mais…
  • Parce que c'est ce que tu voulais, non ? Tout était déjà prévu !

Pris de court, il marqua une pause. Kimi n’hésita pas une seconde.


  • Ce serait bête de regretter.

D’un geste vif, elle récupéra son téléphone et jeta son sac à dos sur son épaule. Elle poussa sur la portière, mais celle-ci se referma d’un coup. Tirée en arrière, elle dévisagea Dossan avec violence. Ce dernier la tenait par la lanière, mécontent.


  • Toi, tu payes rien pour attendre…
  • Quoi, c’est pas vrai ?!

Il tenta de se contenir.


  • Si, c’est vrai, dit-il, en déglutissant. Mais…
  • C’était pour mon bien, c’est ça ? Parce que tu as fait une promesse ? Je sais déjà tout ça ! Alors, lâche-moi ! s’exclama-t-elle, en se dégageant.
  • Oui, Kimi c’est pour ça, grogna-t-il, et je suis bien content que ça ait fonctionné ! Mais…
  • Mais quoi ??

Il la regarda droit dans les yeux.


  • Je n’aurais pas pu prévoir que tu t’entendrais si bien avec Chuck.
  • Ha ? fit-elle, en grimaçant. On ne s’entend pas…
  • Vraiment ?

Elle bugua.


  • Oui, vraiment ! Laure est ma meilleure amie, alors…
  • Très bien, dit-il en la lâchant. Passe une bonne semaine dans ce cas. Allez, qu’est-ce que tu attends ? Va rejoindre ton amie.
  • Mais…
  • Mais quoi ? lui renvoya-t-il. Je t’ai confisqué ton téléphone pour une très bonne raison. Je t’avais demandé de réfléchir à ton comportement, mais je vois que tu n’en fais toujours qu’à ta tête. Je comprends que tu sois du côté de Laure. Vraiment, parce que pour Chuck, je ferai n’importe quoi. Il a toujours été là pour moi…
  • Oui, ça va ! On a compris que Chuck a toujours été là pour toi ! C’est ce que tu dis à chaque fois, mais… Je ne sais même pas ce qu’il a bien pu faire pour toi, répondit-elle, avec peu d’assurance.

Dossan réagrippa son volant. Les flashs de sa vie à Saint-Clair lui revinrent en mémoire. Les bons comme les mauvais. Il les chassa.


  • Peu importe.

Kimi se décomposa.


  • … Pourquoi tu ne nous racontes jamais rien ?
  • Qu’est-ce que tu racontes ? Je vous dit tout à toi et Leroy,...
  • Non, pas du tout. Tu n’as jamais vraiment parlé de Saint-Clair. Tout ce qu’on sait que tu étais ami avec les Richess. Tu en parles si peu que c’est à se demander si c’est vrai ! Bon ok, tu sors avec Blear, maintenant, mais c’est pareil, tu ne nous en as jamais parlés… Comment vous vous êtes connus, comment vous êtes tombés amoureux, comment vous vous êtes séparés, et comment vous vous êtes remis ensemble,... On ne sait rien ! Rien de tes amis, rien de ton passé, rien de tes parents ! J’ai des grands-parents quelque part et je ne sais même pas à quoi il ressemble !

Le sentiment qui s’insinua en Dossan, le fit siffler :


  • Tu as un père quelque part également, et tu ne veux pas le voir. Alors, tu devrais comprendre ?

Kimi le regarda, pâle et bouche bée. Elle devint ensuite aussi rouge que son bonnet. Elle ouvrit la porte avec plus de force que la première fois et la claqua dans le sens inverse.

Aussitôt, le regret envahit Dossan.


  • Hé, merde.

Il abaissa sa tête au niveau de son volant. Le coup de klaxon s’envola dans la rue et fit sursauter tous les élèves aux alentours. La main sur le cœur, palpitant, il regarda à Kimi qui le maudissait. Il fit un mouvement inutile quand il la vit se dépêcher de monter sur le trottoir. Elle avait rejoint Laure, qui, les bras croisés, cherchait à comprendre ce qui venait de se passer.


***


Kimi était arrivée comme une balle vers sa meilleure amie. Celle-ci la réceptionna avec de grands yeux ronds.


  • Ça va ?
  • Non, ça va pas ! s’écria-t-elle, en jetant un geste dans le vide. Qu’est-ce que t’as, toi ? Tu veux ma photo ?!

Le garçon qui l’avait regardé en passant à côté s’écarta rapidement.


  • Hop hop hop, code rouge, fit Laure, en se plantant devant sa copine. Qu’est-ce qui se passe ? Raconte-moi.
  • Rien ! Ha, je…

Elle se rendit compte qu’elle avait crié trop fort.


  • Désolée, se reprit-elle.
  • Ce n’est rien, mais qu’est-ce qui se passe ? Vous vous êtes disputés ?
  • Oui.
  • À cause de quoi ?

Kimi regarda Laure dans les yeux, confuse. Elle abaissa les siens, à cause de la façon dont ses prunelles fouillaient les siennes.

  • Un peu à cause de tout, en fait, répondit-elle.
  • Laisse-moi deviner… Blear ; Sky ?
  • J’ai pas envie de parler de ça.

Elle était plutôt catégorique.


  • Et euh, du coup… dit-elle, embêtée, en montrant son téléphone. Il me l’avait confisqué, et mon ordi aussi.
  • Ceci explique donc cela, répondit Laure, avec légèreté.

Les deux copines avaient pour habitude de se retrouver directement devant le portail le lundi matin. Elles se racontaient alors tous les potins, notamment à propos de Chuck. En ce temps, les flocons s’accumulaient sur leurs bonnets.

Laure jeta un bref regard sur le ciel gris, avant d’enrouler son bras autour du sien.


  • Ok ! Raconte-moi plutôt comment mon père a bien pu s’ennuyer ce week-end ? Est-ce qu’il a encore regardé cette émission bizarre dont tu m’as parlé la dernière fois ?
  • Haha, non !

Kimi chercha quelque chose d’autre à ajouter. Ses yeux virèrent vers la gauche. Du côté opposé où Laure s’était accrochée.


  • Je l’ai pas beaucoup vu sinon. Dossan m’a consignée dans ma chambre…
  • Et tu lui as obéi ?? Mais qui êtes-vous ? N’empêche, un weekend complet sans téléphone, tu as dû t'ennuyer…
  • Ouais, c’est clair !
  • Alors, tu crois qu’il… ne se doute de rien ?

Son visage de porcelaine s’était assombri. Il était si proche du sien que Kimi craignit qu’elle puisse lire dans ses pensées. Elle sentit son ventre se tordre et sa poitrine s’emballer. Laure la fixait droit dans les yeux.

Cette dernière attendait une réponse.


***


En boule, sous sa couverture, Kimi s’était relevé d’un coup. Elle avait entendu Chuck l’appelé depuis le bout du couloir :

  • Kimi !

L’homme toqua à la porte plusieurs fois. Le cœur battant, elle couvrit sa bouche pour amoindrir sa respiration, comme s’il eut pu l’entendre, et tendit l’oreille.


  • Le repas est prêt ! Tu as faim ?

Son ventre répondit à sa place en gargouillant. Il y avait une bonne dizaine de minutes déjà qu’une odeur délicieuse lui était parvenue. À nouveau, Kimi vérifia tous les recoins de sa chambre. Elle avait déjà tout fouillé un peu plus tôt : pour toute nourriture, il ne lui restait que les miettes d’un biscuit dans un paquet vidé.


  • Je t’ai préparé ton assiette… Tu peux manger dans ta chambre, si tu veux.

La voix du Richess était presque devenue suppliante, ce qui la fit sortir des draps progressivement. Elle n’avait pas vraiment envie de lui ouvrir. C’était à cause de lui qu’elle s’était disputé avec Dossan.

Mais elle s’approcha, à pas de velours, comme pour deviner le plat qui se cachait de l’autre côté de la porte.


  • Kimi ?

Elle s’était pris le pied dans son sac d’école.


  • Aïe aïe aïe, jura-t-elle, à voix basse.

Son petit orteil, tordu, la fit souffrir. Et de surcroît, Chuck insistait.


  • Promis, c’est pas empoisonné. Et ça sent super bon ! Si même Marry mange ma cuisine, alors toi…

Il s’était tu un instant. Kimi fut intriguée.


  • Je te rendrai ton ordinateur !

Elle roula ses yeux dans ses orbites. S’il pensait l’avoir comme ça. Kimi savait que ça rendrait malade son père de savoir qu’elle n’avait pas mangé. Mais après avoir autant pleuré, son estomac avait fini par se creuser. Comment allait-il essayer de la convaincre, maintenant ?


  • Ou si tu le souhaites, tu peux venir manger avec nous en bas. Marry et moi, on aurait plein d’histoires à te raconter, sur Dossan, sur tes parents…

Elle ouvrit la porte.

Le regard plein de mépris qu’elle lui accorda n’effaça pas la joie de Chuck.


  • Roi du chantage, proféra-t-elle froidement, avant de jeter promptement un œil à l’assiette qu’il lui présentait.
  • Et j’ai pas oublié les couverts ! dit-il, en les lui montrant fièrement.
  • Ça a l'air bon…
  • Évidemment que c'est bon, c'est moi qui l'ai fait.

Ce type avait réponse à tout.

Kimi lui arracha l’assiette des mains :


  • Donne-moi ça.

Elle s’apprêtait à se cacher à nouveau dans son antre. Elle préssentit d’ailleurs qu’elle aurait peut-être dû y aller sans se retourner. Mais elle se retourna. Chuck était en train de sourire. Il avait l’air content. Kimi s’accorda un instant pour l’analyser. C’était Chuck Ibiss. Il était là, devant la porte de sa chambre, bien heureux.

Au fur et à mesure qu’elle le détailla, son visage perdit de sa sévérité. Celui de Chuck n’avait pas perdu en douceur, mais… Derrière ses traits sympathiques, tirés, elle reconnut ce même comportement que Laure adoptait tous les jours.

Que se passerait-il, si elle le secouait ? Ce père qu’elle détestait tant. Se confronter à ce soi-disant grand homme ne lui faisait pas peur et Chuck parut tout à fait préparé à la recevoir.


  • Qu’est-ce que tu vas faire ? Avec Marry ?
  • Eh bien, si tu entends des bruits bizarres…
  • T’es dégueulasse.

Elle ne comprenait pas pourquoi il la regardait de cette manière à chaque fois qu’elle lui parlait sans langue de bois. Il semblait rire de bon cœur cette fois. Mais ensuite, son sourire s’effaça.


  • Je ne sais pas, avoua-t-il. Que ferais-tu à ma place ?
  • Alors comme ça, Chuck Ibiss ne sait pas régler ses problèmes amoureux tout seul ?

Il rit doucement, nerveusement.


  • Que ferais-tu à ma place, Kimi ?

Elle réfléchit.


  • J’aurais peur, souffla-t-elle. Bon… j’y vais…
  • Attends,... dit-il, en fouillant dans sa poche. Le code pin, c’est 2102. Tu pourras écouter un peu de musique, au moins.

Kimi le regarda comme s’il était devenu fou.


  • Tu me donnes ton téléphone ?
  • Disons plutôt que je te le prête.
  • Tu n'as pas peur que je fouille dedans ?
  • Tu le ferais ? l’interrogea-t-il, en la sondant.
  • Je… Ouais, bien sûr, que je le ferais… répondit-elle, en essayant de cacher son embêtement.
  • Tu as donc des raisons de le faire ?

Ça recommençait. Le terrain devenait glissant. Dossan était parti en hâte. Elle aurait cru qu’il n’avait pas eu le temps de lui toucher un mot de leur conversation. Et s’il lui avait déjà dit pour Laure… ? Kimi tenta le bluffe.


  • Papa t’a dit quelque chose… ?
  • Quoi donc ?

Elle garda une mine sérieuse.


  • Il aurait dû me dire quelque chose ?
  • Alors, il n’a rien dit, répondit Kimi, en souriant.
  • Donc, il aurait dû me dire quelque chose, confirma Chuck, en croisant les bras.

Il s’approcha doucement, et porta son regard dans le sien. Elle qui pensait avoir gagné le combat, compris qu’elle venait de perdre. Qu’allait-il dire ? Qu'allait-il faire ? Elle retint son souffle, puis sentit ses cheveux voler en bataille.


  • Tu as un sale caractère, comme ta mère, haha !
  • … Quoi…
  • Bien que tu ressembles à ton père également. Ton vrai père, je précise.
  • J’avais compris, fit Kimi, en ronchonnant. Je lui ressemble ? En quoi ? demanda-t-elle, plutôt sauvagement.

Chuck déplaça sa main du haut de sa tête vers son visage. Kimi jura qu’il s’était apprêté à lui caresser la joue.

Il s’arrêta avant cela :


  • Tu es loyal. C’est une qualité rare.

Elle pensa que c’était une qualité de merde, vu qu’elle ne savait plus vers qui se montrer loyale. Mais elle se préoccupa d’autre chose.


  • … Mon père l’était ?
  • Oui, il l’était.
  • C’était quelqu’un de bien.
  • Je t’ai pas demandé, dit-elle, en détournant la tête. Bonne chance avec Marry… Je vais manger ça et… écouter un peu de musique. Merci, pour la bouffe, et… le téléphone.

Étrangement, elle peina à refermer la porte. Ce n’était pas seulement Chuck qu’elle avait laissé derrière, mais un tas d’interrogations,...

Enfin seule, elle déposa son assiette sur son bureau. Elle fixa longuement le téléphone de Chuck. Son pouce hésitait, mais elle finit par taper le code : 2102. Cela devait être une date de naissance, ou un truc dans ce style.


  • 2102, dit-elle à voix haute.

Elle tilta. Laure était née le 21 février.

Kimi soupira en regardant le téléphone à deux reprises : elle n’avait pas le cœur à le fouiller.

***


Tout s’était bousculé dans la tête de Kimi. Laure attendait une réponse, et elle ne savait pas quoi lui dire.

Avec le recul, elle en était venue à la conclusion que Chuck devait déjà être au courant de tout, et si ce n’était pas le cas, il le serait bientôt. Le baiser qu’il avait partagé avec Marry revint la hanter. C’était immoral. Mais. Tout était dans ce “mais” et dans cette gentillesse dont Chuck avait pu faire preuve. Son père avait raison. Elle l’aimait bien. Kimi répondit alors aux yeux avides de sa meilleure amie en la rassurant :


  • Nan, il se doute de rien. Il est complètement paumé ! se moqua-t-elle.
  • Pffft, tant mieux ! C’est parfait. Mais bref, j’ai un service à te demander, est-ce que tu pourras donner ceci à nos profs ?
  • Oh, oui, fit Kimi en réceptionnant un portfolio. C’est quoi ?
  • Les devoirs du jour !

Elle ne comprenait pas.


  • Je ne compte pas aller en cours, aujourd’hui, s’expliqua Laure.
  • Tu sèches, en gros…
  • Si tu veux copier, n’hésite pas, ajouta-t-elle.

Kimi se tut. Elle feuilleta rapidement le dossier. Elle n’avait pas vraiment eu le courage de s’attarder sur ses devoirs durant le week-end.

Un sourire en coin s’étira sur ses lèvres :


  • Ouais, je crois que je vais faire ça !
  • Je ne sais pas pourquoi, je m’en doutais, railla Laure. Mon chauffeur est là, il faut que je file, dit-elle en l’embrassant sur la joue.
  • Mais tu vas faire quoi ?
  • Kimi, je vais être en retard…
  • Mais dis-moi !
  • Je t’envoie un message, dit-elle, en se dandinant.
  • … Et je dis quoi aux profs ??
  • Tu peux leur dire que j’avais un rendez-vous familial !

Laure sembla de trop bonne humeur à son goût.


  • Bon bah… Bonne chance, je suppose ?
  • Merci ! Toi aussi, bonne chance.
  • Hein, pourquoi ?

D’un petit mouvement de tête, elle lui indiqua de se retourner. Kimi tomba de haut. En direction opposée, Alex arrivait. Il était enfin de retour.

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