Chapitre 34 : Langues de serpents.

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En effet, Alex était de retour à Saint-Clair, et cette fois, il était déterminé à ne frapper personne. L’attitude de Laure pourtant, le poussait déjà dans ses retranchements.

Celle-ci se dirigeait à toute vitesse dans sa direction. Des étincelles étaient donc à prévoir, comme à chaque rencontre d’une Ibiss et d’un Stein. Et comme prévu, en arrivant à sa hauteur, elle n’hésita pas une seconde :

  • Tiens, on est venu sans sa maman, aujourd’hui ? siffla-t-elle, d’un ton qui donna des démangeaisons à Alex.

Il lui répondit de la même façon, quoi qu’un peu plus crûment.

  • Tu commences royalement à me faire chier, toi.

Pour tout intérêt, elle haussa une épaule et partit à reculons. Qu’est-ce que ça pouvait lui faire ? Ce petit air malin qu’elle abordait l'agaça encore plus :

  • Tu sais ! lança Alex, en écartant les bras. Peu importe ce que tu prévois de faire à ma mère et combien tu la détestes, moi, j’ai rien à avoir là-dedans.

Elle fit mine de réfléchir.

  • Tu ne travailles pas pour ta mère ?
  • Si, et alors… ?
  • Alors ? fit-elle, en riant. Ça a tout à voir. Oh, et un conseil. Essaye plutôt de résoudre tous tes autres problèmes avant de t’attaquer à moi.
  • C’est toi le problème, Ibiss, marmonna-t-il.

Heureux de la voir s’éloigner, il se retourna vers le portail en se grattant le haut de la tête.

  • Ha.

Kimi se trouvait en face de lui, les mains dans les poches de sa doudoune, une longue grimace logée entre ses lèvres. Il jeta son pouce en arrière, encore sous le coup de l'émotion.

  • Tu sais ce qui lui prend ?

Il vit à la façon dont elle garda la bouche ouverte qu’elle était mal à l’aise. Il en détailla les contours, puis regarda ailleurs.

  • C’est bon, je gérerais ça de mon côté.
  • Désolée…

Elle enfonça un peu plus ses mains dans ses poches, gênée de n’avoir que ça à lui dire. Alex se retrouvait dans la même situation. Il y avait longuement réfléchi pourtant, mais maintenant qu’il l’avait en face de lui, il se retrouvait pantois.

  • Euh, ça va ? tenta Kimi, en première. Ça t’a pas paru trop long ?
  • Non, ça va. La disert m’a pris un peu de temps, mais j’ai surtout bossé avec ma mère.
  • Sur… cette collection de sous-vêtements, c’est ça ?

Alex tiqua.

  • Oui ?
  • Ha, euh, c’était pour savoir… Tu sais que je ne juge pas ! Oui, bien sûr que tu le sais, ce que je voulais dire, c’est…

Elle abandonna.

  • Se revoir, c’est bizarre, hein.
  • Oui, c’est bizarre, confirma-t-il, en gonflant les joues, mais cela la rassura de constater qu’elle aussi nerveuse que lui.

Ils s’observèrent un instant. Rien de bien méchant ne figurait sur leurs visages. Il se décida à se lancer :

  • Écoute, je suis désolé.
  • Non, c’est moi !

Alors, ils étaient sur la même longueur d’onde.

  • Il faudra qu’on en parle, poursuivit-il. Mais j’aimerais parler à Faye d’abord.
  • Oh oui ! Oui, tu as raison, parles-lui !
  • Est-ce que…

La question lui brûlait les lèvres, mais il n’osa pas la lui poser. Kimi n’aurait de toute façon pu lui répondre que par un piteux sourire.

  • Mais sache que je veux qu’on soit amis.

Il avait le souci de mettre les choses au clair.

  • Je sais que c’est peut-être trop demander, mais… Je tiens à toi. Et peu importe qui ira répéter ça à Faye, je m’en fiche, je lui répéterais la même chose. Je lui dirais que tu es mon amie, et il faudra qu’elle l’accepte, dit-il, d’un ton résolu. Parce que la seule que j’aime, c’est elle.

Kimi le regarda avec des petits yeux. Elle se retint de rire. Il était si sérieux qu’elle décida de l’embêter un peu.

  • Ça aurait été cool que Kyle soit là pour entendre et répéter tout ça.

Il releva la tête :

  • Mais oui, où est-il ? dit-il en se prêtant au jeu. J’aimerais bien que tout le monde sache qu’il n’y a qu’une personne avec qui je veux être.
  • Et tu comptes lui dire en personne ou seulement le crier sur tous les toits ? lui lança-t-elle.
  • Mille fois, s’il le faut.

Elle crut l’entendre rugir. Il n’avait pas froid aux yeux et cela lui fit du bien de le savoir dans cet état d’esprit, car au fond d’elle-même, elle savait qu’il faudrait plus que des mots à Faye pour lui pardonner.

Cependant, Kimi lui tendit sa main, en guise de trêve. Elle voulait que tout le monde sache qu’entre Alex Stein et Kimi Dan’s, il n’y avait que de l’amitié. Ce dernier la serra avec confiance, sans crainte qu’une rumeur soit colportée.

  • Il n'en a vraiment rien à faire.

Kyle était, en effet, passé sous leur nez sans leur porter d’attention particulière. Il avait rejoint l’entrée principale avec une autre cible dans le viseur. Une dame, dans un tailleur aussi gris que ses cheveux.

  • C’est Madame Paul, releva Kimi. C’est elle qui va… Tu es au courant ? Pour Monsieur Xavier ?
  • Oui, dit Alex, peiné.
  • Il paraît que c’est elle qui va le remplacer.
  • Oh.

Tous deux analysèrent l’ancien journaliste en compagnie de la nouvelle directrice. Visiblement, il se fit rembarrer. Alex et Kimi se jetèrent un œil.

  • Tu crois qu’il se sent menacé ?
  • Sans doute. Monsieur Xavier le protégeait.

Mais Kyle semblait insister.

  • Qu’est-ce qu’il peut tramer, encore ? souffla Alex.

***

Laure se posa une question similaire en tombant nez à nez avec l’allée vide de sa maison. Elle l’emprunta avec un sentiment d’urgence ; où étaient les hommes en uniforme ? Les voitures de services ?

À l’affût, elle eut l’impression de rentrer chez elle telle une étrangère, ses talons résonnant dans le hall qui lui parut, à son tour, inchangé. Elle aurait même dit parfaitement intact, comme si personne n’était jamais venu fouiller.

C’était pourtant ce pourquoi elle était venue. À ce moment précis, la perquisition devait être en train d’avoir lieu. Son père avait eu la décence de la prévenir. La veille, cependant. Car selon son avocat, elle avait le droit d’être présente. Évidemment, Laure le savait déjà, mais quelque chose clochait.

Elle attrapa son sac, à bout portant, pour vérifier le message en question, mais elle n’en eut guère le temps, dérangée par un bruit similaire à celui qu’avaient pu faire ses bottines contre le carrelage.

Le mauvais préssentiment qui était alors né en elle se cristallisa.

De lourdes paupières, elle accueillit le pas effilé de sa mère. Celle-ci triompha sur ses talons aiguilles, en haut de l’escalier principal avec au coin de la bouche, un sourire à peine perceptible. Rien avoir avec Mona-Lisa, songea Laure. Au plus elle descendit les marches, au plus celui-ci devint énervant.

Priss se montrait rarement aussi enjouée :

  • Laure, tu es là ! s’exclama cette dernière, en venant l’embrasser.

Par-dessus son épaule, elle chercha l’erreur. Le ton qu’elle avait employé ne lui plaisait pas. Du moins, plus que d’habitude. À son encontre, elle décida de s'armer d’une voix doucement intriguée.

  • Ils sont déjà partis ?
  • De qui parles-tu ? s’étonna Priss.

Laure réhaussa son sac à main. Elle fit mine de vagabonder dans le hall, en serpentant uniquement sur les carrelages blancs. En fait, cette situation la mettait hors d’elle.

Elle sourit à sa mère.

  • Les policiers, pour la perquisition.
  • Oh, chérie. Tu arrives un jour trop tard, elle a eu lieu hier.

Face à cette nouvelle, elle resta de marbre.

  • J’ai reçu un message de papa qui disait qu’elle avait lieu aujourd'hui, dit-elle. Il se serait trompé ?
  • Oh, n’en veux pas trop à ton père. Bien que… nous savons toutes les deux que c’est déjà trop tard.

Laure se mit à marcher en sens inverse. Elle ne répondit pas à cette attaque. Elle préférait attendre l’arrivée des précisions, et elle savait qu’elles ne tarderaient pas, car le sourire de Priss ne cessait de grandir.

  • Il ne s’est pas trompé de date, c’est moi qui lui ai demandé de t’envoyer ce message. C’est étonnant d’ailleurs, comme cette fois, il a bien voulu m’écouter.
  • Pourquoi ?
  • Pourquoi quoi ? répéta-t-elle, innocemment.
  • Qu’est-ce qui est étonnant ?

Priss scruta les yeux de sa fille tandis que cette dernière se forçait à ne pas serrer trop fort la hanse de son sac.

  • Tu caches bien ton jeu, ma fille, siffla Priss, qui en s’approchant cherchait le moindre indice de faiblesse. C’est ton attitude qui est étonnante. Je suis curieuse. Quel intérêt avais-tu à venir à une perquisition où tu savais pertinemment que les policiers ne trouveraient… rien du tout. Qu'es-tu venu admirer, au juste ?
  • Ils n’ont rien trouvé ? répondit-elle, simplement.
  • Non, rien du tout. Pas même tes jolis dessins.
  • Mes dessins, oui. Je les ai mis là où tu ne pourrais pas les critiquer.
  • Ces horreurs n’ont pas besoin de jugement, cingla-t-elle.

Enfin, elle eut droit à un regard noir. Ses pas dérivèrent sur les carrelages de la même couleur. Priss la regardait faire, les bras croisés.

  • Oh, tu es contrariée. Parce que je n’aime pas tes dessins, ou parce que ton plan n’a pas fonctionné comme tu l’aurais souhaité ? Il s’agirait de grandir, Laure.

Elle ne répondit rien.

  • C’est mignon à quel point ton papa peut avoir foi en toi. Il se voile la face, mais il finira bien par comprendre que c’est toi qui es derrière ce plan… qui n’a aucune élégance, ma foi.
  • Je ne te savais pas si concernée par le sort de papa, rétorqua-t-elle, sa jolie voix abîmée par la colère.
  • Le concept de mariage te dépasse, n’est-ce pas ?
  • Ne fais pas comme si tu l’aimais. Tu ne penses qu’à ta réputation.
  • Mon mari est accusé de proxénétisme ! Entre le blanchir lui, ou ma fille, qui joue à la pute de luxe pour assouvir je ne sais quelle petite vengeance, le choix est tout réfléchi.

Laure stoppa radicalement sa marche. De lointains mots parvinrent à ses oreilles.

Les diamants ne se brisent pas.

Son père le lui avait souvent répété. Sa mère, elle, n’avait jamais cessé de taper dessus au burin. Pas plus l’un que l’autre, ils ne valaient rien. Elle fixa ses bottines qui tenaient toutes les deux parfaitement dans un carré noir. Sa longue chevelure glissa de ses épaules et vint couvrir les mimiques qu’elle avait oublié de mettre à l’abri. Le mépris. La rage. Envahie, Laure siffla comme un serpent.

  • Et dire qu’au fond, je le faisais aussi un peu pour toi.

Elle fit un pas hors des lignes en glissant ses pupilles obscurcies le long de sa mère. C’était la blague du siècle.

  • Une petite vengeance ? dit-elle, en l’imitant. Si tu savais, maman. Je me demande pourquoi j'ai voulu laver ton honneur, déjà ?

Son éclat de rire s’étendit dans tout le hall. Priss ne rigolait plus. Elle observa le sourire de sa fille se déformer, à quelques centimètres de son nez, qui gardait encore un peu de hauteur.

  • Mon établissement, et mon projet, susurra-t-elle, ont plus de classe toi et Chuck Ibiss n’en auront jamais. Oh, quel choc cela a été pour moi, ajouta-t-elle en déposant ses deux mains sur son cœur. De découvrir tous ces petits secrets, sur les Richess, sur cette vie qu’ils ont eu en commun,... Quel choc, vraiment. Papa et Marry Stein ! Je ne l'aurais pas cru si je ne m’étais pas rappelée de toutes ces horreurs que tu as pu proférer sur Marry Stein. J’étais tellement en colère. Mais tellement plus encore quand j’ai appris que…

Laure trouva plaisir à voir sa mère pendue à ses lèvres. Elle s’approcha au plus près de son oreille. Jamais, elle n’avait aussi bien articulé.

  • Qu’il se l’était refaite depuis.

Pétrifiée, Priss blanchit plus qu’elle ne l’était déjà.

  • Alors, fit Laure, la bouche en cœur. C’est qui la pute de luxe, maintenant ?

Elle avait récupéré l’usage de ses muscles. Laure se prit une gifle, telle qu'elle se tint la joue après coup. Celle-ci était devenue rouge vive. Elle lâcha une vive plainte, en reculant. L’aversion qu’elle ressentit pour sa mère se multiplia au moment où elle leva les yeux.

Il était trop tard pour paraître horrifié, mais Priss se tenait le poignet.

Elle avait l’air de souffrir.

  • Haha, j’espère que tu as eu mal…
  • Va-t-en.

Des larmes s’étaient logées dans ses yeux, son teint de porcelaine devenu brûlé. Elle se répéta, les sanglots dans la voix :

  • J’ai dit va-t-en !!! hurla-t-elle.

Laure fit un pas en arrière.

  • Toi, ton père,...

Elle appuya ses doigts au milieu de son front, et ne finit jamais sa phrase. Elle les déplaça sur ses lèvres, une fois sa fille partie, le silence revenu. Puis sur sa poitrine et enfin, sur son ventre, qui la poussa à se tordre en deux. Un son semblable à un étranglement sortit de sa gorge.

Elle lutta. Mais ses genoux, faibles, l’amenèrent au sol.

Priss secoua la tête :

  • Je veux parler à Chuck Ibiss.

Reccueillie sur ses paumes, celles-ci caressèrent le carrelage blanc et noir. Le carreleur se trouvait à ses côtés, Chuck les poings sur les côtes.

  • Dis-moi tout.

La maison n’était qu’un chantier.

À terre, elle glissa sa main dans son dos.

  • J’aimerais que tu me laisses faire les choses à ma manière.
  • … À quel propos ?
  • À propos de ce bar et de notre fille. Je sais ce que tu en penses, mais si tu n’as toujours pas trouvé le coupable, alors…
  • Non, je te crois.

Sa jupe s’était envolée, le hall pour salle de bal, la main de Chuck presser contre la sienne. Ils avaient tournés, dansés,...

Coincée à l’arrière de sa jupe, elle récupéra son téléphone. Elle coupa l’enregistrement. Ils étaient montés dans la chambre, elle ne se souvenait cependant plus de laquelle. Priss l’enferma dans son poing, elle se mit à trembler.

  • Comment comptes-tu t’y prendre ? Tu sais que je ne veux pas me bagarrer avec elle.
  • Je sais.Tu n’auras besoin que de lui envoyer un message, je m’occupe du reste. Je suis certaine qu’elle ne pourra pas résister, elle se dirigera tout droit dans le piège.
  • Un piège ?
  • Oui, tu lui diras que la perquisition a lieu lundi. Si elle rentre à la maison, fais moi confiance, je réussirai à lui obtenir des aveux, et juste pour toi, des preuves.
  • Priss…
  • Tu ne marches pas avec moi ?
  • Pourquoi ferais-tu ça ? Tu n’as pas peur qu’elle te déteste ?

Au téléphone, elle avait souri.

Elle la détestait déjà.

  • J’aimerais que les choses reviennent à la normale, je vais finir par attraper des rides à cause de tout ce stress.
  • Très bien. Mais je ne veux pas qu’elle sache que je suis au courant. Pas pour le moment.
  • Si ce n’est que ça.
  • Ne la torture pas trop.
  • … Je ferais ce qu’il faut.

Priss leva la main, haut au-dessus de sa tête.

  • Merci, Priss.

Les mots doux résonnaient dans ses oreilles. Derrière le rideau noir de sa chevelure, son visage se déforma. Elle claqua le téléphone contre le carrelage. Encore, et encore. Avec rage. Jusqu’à ce qu’il soit brisé.

À bout de souffle, elle le laissa glisser contre le pavé abîmé.

Elle était devenue lasse :

  • Va te faire foutre, Chuck Ibiss.

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