Chapitre 37 : Deux âmes noires.

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Impossible. C’était impossible. Faye ne pouvait pas être enceinte.

Alex se répétait ses mots dans sa tête en traversant l’internat à toute vitesse, comme un dragon. Oui, comme la bête, dont le feu menaçait d’être craché. Ce dernier avait planté Selim dans sa chambre, en la quittant comme il y était entré : en trombe. Les couloirs, ainsi que les escaliers, semblaient glisser sous ses yeux et son pas rapide, tant il avançait vite. Si vite, et avec tant d’ardeur, qu’il ne broncha pas au moment de quitter le bâtiment en se prenant une gifle glaciale. Ses joues virèrent au rouge, brûlées par le froid, qui s’extirpa d’entre ses lèvres. Il n’avait aucune allure, avec sa veste défaite. Mais rien ne semblait l’atteindre. Il n’y avait que cette vive sensation traversant son corps, qui le poussait à avancer, comme si aucune neige n’avait jamais existé sous ses pieds.

Il entra dans l’autre bâtiment, en la laissant fondre derrière lui. En ignorant le geste de la dame à la réception.

Enceinte… Alex allait en avoir le cœur net. Il repensait à leur dernière fois. À leurs effluves, chair contre chair. Dans son souvenir, tout s'était parfaitement déroulé. Il monta les marches deux par deux en s’agrippant fort à la rambarde de l’escalier. Où s’était-il raté ? Ou peut-être ne s’était-il pas raté.

Au plus il se rapprocha, au plus cela lui fit mal de l’imaginer. Il glissa une main sur son torse, son cœur le martelant, et se répéta que c’était impossible. Impossible. Impossible. Jusqu’à le matérialiser. Jusqu’à le souffler hors de ses tripes :


  • Impossible…

Il y était arrivé. Au troisième, où il s’arrêta brusquement. Dans l’entre-porte, il jura, un côté de son nez se retroussant. Steve se trouvait à l’autre bout du couloir.

Comme par hasard. Il fallait qu’il soit là.

Ce dernier le fixa d’un coup, et se tourna dans sa direction, depuis son poste. Il avait une drôle de posture : le torse bombé, le menton relevé. Un long moment se passa où les deux garçons se regardèrent. Alex finit par se décider à avancer, alors qu’au fond, quelque chose en lui lui indiquait de ne pas le faire. De noir vêtu, Steve ressemblait à un mauvais présage. Comment pouvait-il l’envisager comme une menace ? Il n’en avait rien a cogné de l’asiat. Il préférait l’ignorer. Pourtant, au moindre mot, au moindre écart… Alex se concentra. Il ferma les yeux, juste un instant, pour se canaliser, mais en souvenir, ces nombreux sourires sarcastiques lui apparurent. Il avait mille raisons de le détester. Cela le mit hors de lui, plus qu’il ne l’était déjà.

Mais Steve ne souriait pas du tout. Il s’en rendit compte au moment où ce dernier emboîta lourdement le pas vers lui, avec une curieuse animosité. Les poings serrés, il se mit à accélérer. Alex essaya de faire un pas de côté, mais Steve fut plus rapide. Il l’attrapa par le col, et le tira, à deux millimètres de son visage : est-ce qu’il allait l’embrasser ? C’était peut-être une nouvelle blague de sa part ?

Ça devait être ça.

Propulsé contre le mur, une vive douleur traversa son dos. Sa respiration se coupa à cause du choc. Relâché, une seconde à peine, il récupéra une mince poignée d’oxygène avant d’être à nouveau plaqué comme une affiche. Les joues gonflées, il lui cracha tout en pleine figure. Ce qui ne le fit pas broncher. Alex sentit sa nuque s’écraser de plus en plus contre le mur. Avec aversion, il planta son regard dans celui de son adversaire, qui émanait de haine. Il allait le tuer ? Lorsqu’il tressaillit, Steve se fit distraire. Sa mince hésitation lui valut un coup fatal. Alex lui flanqua son coude dans la tête.

Alors libéré, ce dernier se rattrapa à ses genoux, plié en deux, et suffoquant, comme s’il refaisait surface de mille lieues sous les mers. Il ne se laissa pas le temps de s’en remettre, en vérifiant directement l’état de Steve. L’asiat s’était redressé d’un coup, comme s’il n’avait rien ressenti. Il avait pourtant la tronche abîmée. Quand il songea à lui demander pourquoi, Alex se ravisa, et vite, en voyant son genou se rapprocher dangereusement de son ventre. Il l’esquiva de justesse et en profita pour récupérer un peu de son souffle. Celui-là, pensa-t-il. Il avait vraiment mal choisi son moment, car de la rage à déverser, Alex aussi en avait en réserve. À son tour, il se jeta sur lui, tête en première. Depuis le temps qu’il avait envie de lui faire sa fête à ce putain de chintok. En le chopant par les côtes, il l’écrasa contre le mur opposé.

Steve claqua des mâchoires. Ça avait dû lui faire un mal de chien, mais il résista en l’attrapant par les épaules. Alex l’imita, chacun exerçant une force similaire. Pourquoi était-il si robuste ? Il n’arrivait pas à le renverser. Il poussa plus fort, en tapant son front contre le sien, ce qui lui arracha un long râle. Ses bras commençaient à trembler.


  • … toi, grogna Steve, frustré.

Cela attira son attention, mais Alex ne fit pas la même erreur que lui.

Il ne le lâcha pas.


  • Quoi, “moi” ! fit Alex, en continuant de pousser.
  • Lâche-moi !

Il sentit ses coudes flanchés.


  • Non toi, lâche-moi.

Ce que fit Steve, à sa grande surprise, avant de lui coller une claque qui ressemblait plutôt à un coup-de-poing. Comment avait-il pu rester de marbre précédemment ? En le regardant souffrir, le bridé se réajusta.


  • Ouais, toi… dit-il, avec amertume. C’est toi, n’est-ce pas ? Qui a fait ça ? Hein !!

De quoi parlait-il ? Subjugué, Alex oublia de réagir quand il vint le provoquer, en le poussant. Après tous ces coups, il cherchait encore le combat.

  • J’ai aucune idée de quoi tu parles ! lui lança-t-il, mal en point.
  • Oh, ferme-là, je sais que c’est toi.
  • Mais… non ! Je n’ai rien fait qui…

Il se mit sincèrement à réfléchir. Mais tout ce qui venait à l’esprit concernait Faye. Épuisé, il sentit les larmes lui monter aux yeux. Il craquait.

  • Pour Sylvia et moi,...

Alex releva la tête, intrigué, même s’il ne voulait surtout pas qu’il voie son visage à cet instant. En effet, Steve fronça les sourcils en remarquant sa drôle d’expression.

  • C’est toi qui as dit à Madame Paul qu’on était ensemble, n’est-ce pas ? Ça ne peut être que toi.
  • Quoi ?!

Alors, c’était pour ça qu’il lui flanquait des coups depuis tout à l’heure ? Parce que quelqu’un avait lâché l’info à la directrice ?

  • Pourquoi j’aurai fait ça ! s’énerva-t-il.
  • Pour te venger.
  • Ha, c’est complètement con…
  • Parce que j’ai tout bousillé entre Faye et toi, dit-il, en appréhendant un coup. Mais Alex n’en fit rien.

Comme si ça pouvait être réellement de la faute de ce connard. Il balança un geste dans le vide, désabusé, un pli douloureux se formant au milieu de son front, ses larmes davantage avancées. Steve prit de la distance, en haussant un sourcil :

  • Qu’est-ce que t’as ?
  • … Toi, qu’est-ce que t’as ! s’écria-t-il.

Il s’avança à nouveau vers lui, le doigt pointé en direction de sa figure troublée.


  • Tu m’emmerdes avec tes histoires !

Quand il repoussa sa main, Steve se fit attraper par le col de son t-shirt. Chacun son tour.

Alex le provoqua :


  • Alors, t’aime ça ?

Steve dévia le regard, et cela l'agaça encore plus.


  • Écoute-moi bien, c’est la dernière fois…
  • Attends, fit-il, en plaçant sa main sur la sienne, alerte.
  • Ça prend pas tes combines.

Cependant, des bruits de pas attirèrent son attention. En le gardant sous le joug de son poing, il jeta un œil vers la porte qui menait au hall. Un homme apparut depuis les escaliers. Plutôt imposant. L’air fâché. Il manquait de sérieux avec sa touffe de cheveux et sa tenue similaire à un pyjama. Derrière lui, la petite dame de la réception se pressait en les montrant du doigt. Cette mégère l’avait appelée ? Mais c’était qui ce type ? Alex et Steve se lancèrent un regard. Ce dernier fit aller ses sourcils. Ainsi soit-il, pensa le richess. Il le relâcha.

Tout deux se tournèrent vers l’homme lorsque celui-ci arriva à leur hauteur, un peu essoufflé :


  • … Que faites-vous dans les couloirs à cette heure-ci ?

Alex le regarda de haut en bas.

  • Vous êtes qui ?
  • Le veilleur, répondit la petite dame, à sa place. Il veille au respect du couvre-feu...

Cela semblait plutôt logique, mais il ne put s'empêcher de prendre un ton moqueur.

  • Parce qu’il y a un couvre-feu ?
  • Il y a toujours eu un ! s'exclama-telle.

Il y avait des années que personne ne le respectait, et des années que cela ne leur avait jamais causé aucun problème. Tout ça, principalement grâce aux nombreux chantage de Kyle. Pourquoi est-ce que tout d’un coup, il y avait un veilleur à l’internat ? Qu’est-ce qui avait pu changer ?

Steve colla sa main sur sa taille :

  • Laissez-moi deviner, c’est une idée de Madame Paul ? Nouvelle directrice, nouvelle école, c’est ça ?
  • Ce n’est que pour un mieux…
  • Et vous allez avoir de sérieux problèmes, les garçons, appuya le veilleur. Vous vous battiez ? demanda-t-il, en les détaillants.
  • … Nous quoi ? fit Steve. Oh la !

Il se mit à rire comme un fou, en se ventilant. Quand il reprit son sérieux, il attrapa Alex par l’épaule. Ramené contre lui, ce dernier leur lança un sourire crispé.

  • Pas du tout ! On s’entraînait aux arts martiaux !
  • Dans les couloirs de l’internat… ?
  • Ouais ! On tourne des vidéos pour internet, monsieur ! s’exclama-t-il en sortant son téléphone comme arme de crime. Se battre, pouffa-t-il. Alors qu’on est potes ?? N’importe quoi, hein, Alex !
  • Ouais, les arts martiaux, répondit-il, en s’efforçant de paraître joyeux.

L’homme avait l’air loin d’être dupe. Il n’avait pas l’air non plus de faire partie de la gestapo. Ennuyé, il jeta un œil à la dame de l’accueil, qui pinça les lèvres. Elle l’avait définitivement prévenu. Face aux deux garçons qui présentaient des blessures, elle n’éleva pas la voix. Elle avait déjà eu affaire aux Richess, ainsi qu’à Steve.

Derrière sa tête de vainqueur, ce dernier pouvait se montrer coriace :

  • Puis, on savait pas ! Personne ne nous a parlé de ces changements, dit-il, en faisant la moue.
  • Ce n’est pas encore en vigueur, avoua le veilleur. Alors,...
  • Promis, on le fera plus !
  • Oui, on le fera plus, l’imita Alex, après avoir reçu un coup de coude. Un de plus, un de moins.
  • Très bien, mais que je ne vous y reprenne plus. Quels sont les numéros de vos chambres ? Je vous raccompagne.

Quelle fut sa tête quand il découvrit que celles-ci se trouvaient dans l’autre bâtiment. Il les renvoya là-bas, en les mettant en garde.

  • Si vous ne rentrez pas tout de suite dans vos chambres, je le saurai.
  • Oui, monsieur !

En parfaite harmonie, comme des amis, Steve et Alex saluèrent l’homme dans la nuit. Celui-ci les regarda partir dans la neige, et resta longtemps à la fenêtre du premier étage pour vérifier qu’ils empruntaient le bon chemin. Sur celui-ci, les deux garçons ne s’adressèrent aucun mot, jusqu’à ce qu’ils fussent assez loin pour se sentir à l’aise. Même si à l’aise était un grand mot au vu de comment ils s’étaient menés la guerre.

Ils n’en avaient plus pour si longtemps avant d’arriver dans leur bâtiment.

Le retour avait été plus difficile que l'aller pour Alex. Sans compter que Steve n’était qu’en t-shirt.


  • Je vais crever, lança-t-il, vers la fin.

Alex se retint de lui partager le fond de sa pensée. Il avait de toute façon l’esprit embrumé. Faye… enceinte ? Cela le déchirait toujours autant. Mais il n’était pas le seul à avoir des problèmes. En jetant un œil à Steve, et aux bleus qui commençaient à se former sur son visage, il remarqua qu’il était aussi ailleurs.

  • Alors… elle sait ? Madame Paul. Elle est au courant pour toi et Sylvia ?
  • … Oui, confirma-t-il, durement et visiblement, à contre-cœur.

Lui aussi avait le visage abîmé. Ce psychopathe n’y avait pas été de mains mortes. Pourtant, il ne se réjouit à aucun moment de son malheur. Il se rendit pensif.

  • Ça ne fait pas longtemps qu’elle est là, ajouta Alex, en parlant de Madame Paul. Tu crois qu’elle va essayer de changer Saint-Clair ?
  • Saint-Clair a déjà changé.

Cette déclaration lui fit froid dans le dos.

  • Monsieur Xavier avait beau nous faire de beaux discours, dans le fond, il nous laissait faire ce qu’on veut, poursuivit-il. Il laissait aussi Kyle faire tout ce qu’il veut.
  • Kyle, souffla Alex. Tu n’as pas pensé que ça pouvait être lui ?
  • Non…

Steve s’enferma dans un silence, le regard braqué sur l’entrée, qui n’était plus qu’à quelques pas. Les leurs se raccourcirent.

  • Non, il ne m’aurait pas fait ça.
  • Vraiment ? rit Alex. N’oublie pas que c’est Kyle. Je ne connais pas une personne qu’il n’ait pas trahie.

En effet, son prénom aurait pu figurer à côté de la définition.


  • En tout cas, renseigne toi mieux, parce que si tu dois tabasser tous les gens qui veulent se venger de toi, il ne restera plus personne à Saint-Clair.
  • Il n’y a que toi et Kyle qui étiez au courant.

Alex ne chercha pas à briser ses convictions plus qu’elles ne l’étaient déjà. Il regarda devant lui. Une femme semblait les attendre dans le hall. Donc, Saint-Clair filait réellement du mauvais coton. Avant d’entrer, les garçons se lancèrent une énième fois une œillade. Le Richess constata comme il était détaillé. Steve l’avait vu sous son plus mauvais jour. Il aurait pu l’interroger, mais il ne le fit pas. Il l’avait déjà assez maltraité. Ils semblaient d’accord : cette soirée, plus que particulière, resterait entre eux.

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