Chapitre 6
Samedi 3 août 1996
Vingt ans après, peu de changement ! Le camping est reconnaissable. Les arbres, platanes sycomores et mûriers – des espèces à larges feuilles – ont grandi et tous les emplacements sont ombragés. Les sanitaires ont été agrandis et rénovés. Mais les tarifs sont toujours très raisonnables, en comparaison avec ceux de la commune voisine du bord de mer, ce qui fait le succès de l’établissement. Je retrouve sans peine notre emplacement d’il y a vingt ans. Il est occupé par une famille belge. Celui d’à côté est libre et fera mon affaire. Je monte ma tente, tandis que mes voisins campeurs tournent avec curiosité autour de mon cabriolet. Comme souvent, une conversation s’engage bientôt :
— Vous avez une bien belle voiture, dites donc !
— Oui, mais elle est comme moi, pas très jeune !
— Ça ne se voit pas, on dirait qu’elle sort du garage !
— J’en prends soin ; mais bientôt, on ne trouvera plus de pièces.
— Ce serait dommage ! C’est vrai que c’est très confortable la suspension hydropneumatique ?
— Oui, si on n’est pas sujet au mal de mer ; ça tangue un peu parfois ; dites, vous savez qu’il y a vingt ans, j’ai campé à votre emplacement ?
— Avec cette voiture, déjà ?
— Tout à fait. Et une tente à armature métallique. C’était l’année de la grande sécheresse. On avait trop chaud. On a dû descendre jusque dans les Pyrénées pour trouver un peu de fraîcheur. À l’époque, on était trois : mon épouse Jeanne, et notre fils Paul. Ils sont morts tous les deux aujourd’hui. Il ne reste plus que moi et la voiture !
— La vie est injuste, souvent.
— Je ne vous le fais pas dire. Mais elle continue, malgré tout. Vous êtes d’où, en Belgique, vous ?
— Namur. Vous connaissez ?
— Non, nous ne sommes allés qu’une fois à Bruges et une autre fois à Bruxelles, quelques jours.
— Vous n’avez pas campé qu’en France, alors ?
— Non, un peu dans les pays alentour également, surtout l’Espagne.
— Nous aussi, on y va assez souvent, mais cette année les finances sont basses, alors on reste ici ; on est bien, la mer est tout près et c’est pas cher.
— C’est pour ça déjà qu’on était venus en 76 ; y’avait la maison à payer...
— Mais alors, la voiture ?
— Une folie, quand on l’a vue à la concession, on n’a pas pu résister ; mais il a fallu faire un peu ceinture sur le reste pendant quelque temps !
— Dites, si vous êtes tout seul, vous ne viendriez pas dîner avec nous ce soir, on continuera la conversation ?
— C’est très gentil, mais je ne voudrais pas déranger ?
— Déranger qui, déranger quoi ? Vous aimez la bière ?
— Oui, oui.
— Alors, on boira deux trois gueuzes et on mangera des moules et des frites. Huit heures, ça vous va ?
— Très bien, je vous remercie beaucoup. C’est quoi, votre nom ?
— Vandenbroucke, Frank Vandenbroucke.
— Enchanté. Moi, c’est Pierre, Pierre Marchand.
— Bon. Ad'taleur, Pierre !
(à suivre)
©Pierre-Alain GASSE, septembre 2017.
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