Chapitre 6 : Le jour où tout bascule

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Le soleil rasait encore l'horizon lorsque Mei ouvrit les yeux. La lumière délicate de l’aube perçait à travers les rideaux, mais ce matin, une fatigue inhabituele l’enveloppait, l'empêchant de quitter la chaleur de ses draps. D’habitude si pleine de vie, elle se sentait aujourd’hui clouée à son lit, ses membres lourds et engourdts par une fatigue qu’elle ne parvenait pas à expliquer. Depuis des semaines, une sensation étrange la poursuivais, comme une ombre qui pesait sur son énergie, mais elle l’avait ignorée, se réfugiant dans le réconfort familier de ses tâches quotidiennes parmi les théiers et les champs. Cette routine avait toujours su l'a calmer, l’aider à retrouver son équilibre. Pourtant, ce matin-là, même cette constance ne parvenait plus à dissiper la lourdeur qu'il l’accablait.

À 25 ans, Mei avait toujours incarné la robustesse, une force naturelle qui lui permettait de braver sans faillir les rigueurs de la vie dans les montagnes du Zhejiang. Pourtant, depuis plusieurs mois, une fatigue tenace s’était insinuée en elle, accompagnée de douleurs sourdes qui pulsait jusque dans ses os. Au début, elle avait imputé ces maux à l'épuisement du travail quotidien dans les champs, croyant que quelques nuits de repos suffiraient à les dissiper. Mais cette fatigue-là s’accrochait, enracinée au plus profond d’elle, résistantes aux heures de sommeil et aux moments de répi. Chaque jour, elle pesait un peu plus lourd, impossible à repousser plus longtemps, jusqu’à devenir une présence sombre qu’elle ne pouvait plus ignorer.

Dans la cuisine, Hua s'activait depuis l’aube, les gestes mécaniques, le cœur alourdis par une inquiétude sourde. L’arôme apaisant du thé fraîchement infusé flottait doucement dans l’air, mais même cette fragrance familière ne parvenait plus à alléger la tension qui s’était infiltrée dans chaque recoin de la maison. Assis près de la table, Wei restait immobile, le regard fixé sur Mei. Son visage impassible trahissait néanmoins des pensées sombres qui tourbilllonnaient en lui. Depuis plusieurs jours, il scrutait les moindres signes de faiblesse chez sa fille, sans jamais trouver le courage d’affronter les questions qui le tourmentaient. Mei, fidèle à elle-même, n’avait cessé de sourire pour les rassurer, mais Wei voyait à travers ce masque. Ses yeux, autrefois si brillants, se voilaient trop souvent désormais, et son sourire, bien que présent, semblait vaciller sous le poids d’une fatigue qu’elle ne pouvait plus dissimuler.

Lorsqu'elle émergea enfin de sa chambre ce matin-là, Mei ne ressemblait plus à celle qu'ils connaissaient si bien. Wei et Hua échangèrent un regard lourd d'angoisse, leurs craintes longtemps refoulées prenant corps devant eux. Autrefois éclatant de santé, Mei paraissait aujourd'hui presque étérée, sa peau aussi pâle que la brume matinale qui enveloppait les collines. Ses joues, autrefois rosées par l'effort et le soleil, avaient perdu toute leur couleur, et ses yeux, alourdis par une fatigue persistante, semblaient s'être vidés de leur éclat. Le regard de Mei, jadis vif et plein de vie, s'était terni, comme si quelque chose, d'insidieux et d'invisible, drainait lentement son énergie, la laissant fragile, presque translucide, devant le poids des jours à venir.

« Mei, ne te force pas aujourd'hui, » murmura Li Wei, la voix empreinte d’une douceur inquiète, ses yeux cherchant désespérément à capter ceux de sa fille. « Reste à la maison. Repose-toi. »

Mei esquissa un sourire fragile fragile, mais même ce simple mouvement semblait lui demander un effort immense, comme si le poids du monde s’était posé sur ses épaules. « Je vais bien, papa. C’est juste un peu de fatigue, rien de plus. Ça va passer. » Ses mots, prononcés avec une légèreté feinte, ne suffisaient plus à la rassurer elle-même. Sous la surface de cette assurance apparente, elle sentait une vérité plus sombre. Les douleurs lancinantes dans ses os, ces vertiges qui l’assaillaient sans prévenir, n'étaient pas les simples effets d'une journée trop longue dans les champs. Cela la hantait depuis trop longtemps déjà, chaque jour plus difficile à ignorer, chaque jour la laisant plus fragile, plus incertaine face à ce corps qui semblait soudain lui échapper.

Hua, penchée sur son mortié où elle broyait des herbes médicinales avec une précision presque instinctive, ne cessait de jeter des regards furtifs vers Mei. Chaque coup de pilon semblait résonner avec l'inquiétude qui habitait son cœur de mère. Mei avait toujours été robuste, une jeune femme forte et résiliente, profondément liée à la terre de leurs ancêtres. Pourtant, aujourd'hui, Hua sentait une fragilité nouvelle, quelque chose d'invisible mais pesant, qui assombrissait l'avenir de sa fille.

Hua ne pouvait s'empêcher de se demander si cette terre, si précieuse et nourricière, pouvait offrir une réponse, une guérison. Mais tandis que Mei se battait sillencieusement contre cette menace insidieuse, sa mère savait, au fond d'elle-même, que la nature avait ses limites.

La matinée s'étirait, alourdie par une tension sourde. Mei s'efforçait de s'investir dans les taches quotidiennes, mais chaque action devenait une épreuve en soi. Ses pas trainaient sur le sol, ses gestes se faisaient hésitants, et ses mains, d'ordinaire si précises, semblaient désormais refuser de suivre la cadence imposée par sa volonté. À chaque mouvement, elle sentait son corps trahir la vitalité qu’elle tentait désespérément de préserver. Hua, absorbée par ses préparations d’herbes, ne la quittait pas des yeux, guettant chaque signe de faiblessse avec une inquiétude croissante, la peur enserant lentement son cœur comme une liane invisible.

Puis, sans le moindre signe avant coureur, Mei s'effondra. Le bruit sourd de sa chute résonna violemment dans la maison, déchirant le silence fragile qui flottait jusque là. Hua, saisie d'effroi, accourut aussitôt, son cœur battant à tout rompre. Ses mains tremblaient alors qu'elle s’agenouillait près de sa fille, cherchant à la relever, mais la panique brouillait ses gestes. Le corps de Mei, si frêle dans ses bras, semblait désormais un poids insurmontable, une présence à la fois familière et terrifiante, brisée par une force invisible.

« Mei ! » La voix de Hua se brisa sous le poids de l’angoisse, écho déchirant dans la pièce soudain figée. Wei se précipita à son tour, ses gestes maladroits trahissants une peur qu'il peinait à contenir. En silence, tous deux s'agenouillèrent auprès de leur fille, leurs mains tremblantes enserrant son corps affaibli avec une précaution désespérée.

Mei, à demi consciente, leva des yeux voilés de douleur vers eux. Son souffle court, ses lèvres exsangues, tout en elle révélait une gravité qui dépassait leurs pires craintes. L'urgence se lisait dans chacun de ses traits.

« Il faut l’emmener à l’hôpital, » souffla Wei, sa voix rauque à peine maîtrisée. Son regard accrocha celui de Hua, cherchant en elle la force de faire face. Ils savaient tous les deux que le moment de se battre pour Mei venait de commencer, et qu'il n’y aurait plus de place pour le déni.

Sans perdre une seconde, Li Wei enfila sa veste et s’élançat hors de la maison, ses pas résonnant sur le sol dur alors qu’il se précipitait chez un voisin. Ce dernier, propriétaire d’un vieux camion robuste, seul véhicule capable de les conduire à l’hôpital, comprit immédiatement l’urgence en croisant le regard inquiet de Li Wei. De retour à la maison, Wei souleva Mei avec une délicatesse désespérée, l’aidant à s’installer à l’arrière du camion. Sa main ne quittait pas la sienne, serrant ses doigts glacés dans une tentative futile de lui transmettre un réconford face à la douleur qui la rongeait.

Le trajet fut long et tortueux. Les roues du camion bondissaient sur les chemins de terre accidentés, chaque secousses envoyant une onde de douleur à travers le corps fragile de Mei. À chaque soubresaut, un gémissement à peine étouffé échappait de ses lèvres, brisant le silence oppressant qui enveloppait l’habitacle. Li Wei, les yeux rivés sur elle, sentait son cœur se serrer à chaque cri, impuissante face à la souffrance de sa fille.

Lorsqu’ils arrivèrent enfin à l’hôpital, une batisse modeste située à la lisière de la ville, l’atmosphère glaciale des lieux les enveloppa aussitôt. Le bâtiment, aux murs blanchis par le temps, dégageait une froideur qui contrasta avec l’urgence brûlante qui consumait Wei et Hua. Le personnel médical, alerté par l’état critique de Mei, réagit sans délai. Des infirmières se précipitèrent pour la prendre en charge, la portant avec soin sur une civière, tandis que les médecins échangeaient des murmures graves, mais rapides.

Wei et Hua, désormais relégués dans le couloir, observaient la scène impuissante. Ils se tenaient debout, figés par la peur et l’incertitude, incapables de trouver un répit dans l’agitation qui les entouraient. Le tic tac régulier de l’horloge, les voix étouffées des médecins derrière les portes fermées, tout ajoutait à leur tourment. Le monde semblait s’être rétréci à ce couloir d’hôpital, chaque seconde s’étirant en une interminable attente.

Le temps s’étira, chaque seconde s’étirant en une éternité. Le bruit lancinant de l'horloge suspendue au mur résonnait comme un écho sourd dans l'esprit de Wei, martelant chaque battement de son cœur. L’attente, insupportable, creusait des silllons d’angoisse sur son visage, une angoisse qu'il ne parvenait plus à masquer. Enfin, un médecin émergea du couloir, son visage empreint d'une gravité oppressante.

Derrière les portes closes, les médecins entouraient Mei, l'enveloppant dans un ballet silencieux de machines clignotantes et d'instruments froid s. Les tests se succédaient, chacun plus lourd que le précédent. D'abord des prises de sang interminables, puis des examens plus poussés : des radios de ses poumons, des échographies de son abdomen, et enfin, des ponctions douloureuses visant à sonder la moelle osseuse. Chaque examen devenait une épreuve pour son corps affaibli, et Wei, impuissant dans le couloir, sentait son cœur se serrer davantage à chaque minute écoulée.

Hua, à ses côtés, fixait la porte de la salle d’examen, ses lèvres tremblantes imperceptiblement. Elle cherchait à rester forte, à ne pas laisser son esprit sombrer dans les scénarios catastrophes que chaque minute d’attente rendait plus probables. Mei endurait, couchée sous les lumières crues des néons, entourée de regards cliniques et de murmures techniques qu’elle n’entendait qu'à moitié, la fatigue l'engloutissant comme une brume épaisse.

Enfin, un médecin émergea du couloir, son visage empreinté d'une gravité oppressante. Wei se redressa instinctivement, le souffle court, sa main agrippante celle de sa femme.

« Les examens sont terminés, » commença-t-il, pesant soigneusement chaque mot. « Nous devons encore approfondir certaines analyses, mais les premiers résultats indiquent que votre fille souffre d'une maladie grave. Nous craignons... qu'il s'agisse de quelque chose de sérieux. »

Les mots du médecin résonnaient avec une inquiétante retenue, comme une sentence qui refusait encore de tomber. Wei et Hua, figés sous le choc, sentaient leur monde vaciller sous leurs pieds. Ils se tenaient là, dans ce couloir devenu oppressant, où chaque seconde qui passait semblait éloigner un peu plus la possibilité d’une simple explication.

Ce n’est qu’après de longues heures d'attente supplémentaires que le médecin reparût, cette fois avec une expression plus résolue. Li Wei croisa son regard et sut immédiatement que la nouvelle serait difficile à entendre.

« Votre fille... » commença-t-il à nouveau, mesurant chaque mot. « Nous pensons qu’elle est atteinte de leucémie. Son état est grave, mais il reste une chance. Elle aura besoin de soins intensifs et d’une greffe de moelle osseuse pour espérer survivre. »

Les paroles du médecin, lourdes comme une sentence, tombèrent avec la brutalité d’un coup de tonnerre. Le monde de Wei et de Hua vacilla sous leurs pieds, se fissurant en éclats insaisissables. Durant un instant interminable, le silence glacé du couloir engloutient leurs pensées. Wei prit doucement la main de sa femme, la serra avec une douceur fragile, cherchant dans ce simple geste une force qu’il n’était plus sûr de posséder.

Il savait au fond de lui que plus rien ne serait jamais comme avant.

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