Réponse à "Retourneur de temps"
Hermione a dû être très jolie quand elle avait mon âge, il y a soixante ans. Elle l’est encore, dans son genre, elle est devenue une vieille dame adorable, au sourire facétieux, au discret accent anglais, et à l’humour parfois étrange qu’elle semble partager avec beaucoup de sujets de la reine… Lorsque je lui avais fait remarquer l’homonymie avec le perso des romans, elle avait gardé le silence quelques secondes, comme si elle estimait mon mérite à recevoir un secret, avait pris un air espiègle et m’avait soufflé qu’elle regrettait parfois d’avoir donné son chaudron à l'une de ses initiées, car les confitures qui semblent doucement bouillonner en permanence dans sa marmite actuelle n’y attachaient jamais… Pour ça et plein d’autres choses, elle est la mamie des contes de fée. Sauf qu’elle n’est pas ma mamie.
La vraie, que j’appelle froidement grand-mère, est une vieille femme méchante et critique envers chacun, toujours à médire de madame Noël, qui a pris un amant parce que son mari ne la regarde plus… À juger le restaurateur du coin, qui fait du black, parce qu’il ne s’en sortirait pas autrement, et ses employés encore moins… À chronométrer le temps que le facteur passe chez mademoiselle Loiseau…
Hermione n’est pas comme ça, elle ne juge pas, "chacun mène un combat intime dont on ne sait jamais rien", dit-elle souvent "Toi peut-être plus que d’autres".
Je suis peut-être sombre, sûrement mélancolique, c’est ma nature, qu’y puis-je ? Grand-mère me le reproche "Quelle fille va s’attacher à un garçon aussi morose ?" Le terme qui me définit serait plutôt 'désabusé', et je lui expliquerais bien, mais ça dépasserait son entendement, et son seuil de tolérance vraiment très faible envers les différences.
Hermione sait, un peu, et a compris, beaucoup… "C’est encore à cause de lui ? Paul ?"
J’ai pincé les lèvres et j’ai légèrement opiné de la tête.
- Je ne te souhaiterai jamais de mal, mais tu aurais peut-être dû te casser une jambe le jour où… Sinon, j’ai une… méthode… que j’ai déjà utilisée pour des cas… désespérés.
- Je ne suis pas désespéré, Mamie, juste un peu…
- Désabusé, peut-être ?
Comment a-t-elle deviné le terme auquel j’ai juste pensé il y a quelques minutes ? J’ai dû faire de grands yeux…
- Je ne lis pas encore dans les esprits, mais c’est tellement clair, que t’a-t-il dit, cette fois ?
- Le truc, c’est que justement, rien, il ne me calcule même plus, il ne m’appelle quasiment plus que pour…
- La satisfaction de son plaisir, que j’imagine égoïste, non ?
- Oh, ça… Je m’y retrouve, mais c’est surtout qu’il n’y a plus que ça, et les silences trop lourds… Je ne suis même plus sûr d’être le seul, il est peut-être déjà passé à autre chose. J’aimerais pouvoir en sortir, je devrais, ça ne mène à rien.
- Hmmm, il y a des gens dont même le silence est nocif, tu le réalises ? Parfois, il faut… Oh !
Elle s’est interrompue au grognement de mon estomac. "As-tu au moins déjeuné ?"
- Pas faim… Pas d’appétit, en fait.
- Donne-moi un moment, je te prépare un en-cas, a-t-elle dit avant de disparaître dans sa cuisine, d’où elle a ajouté "Et ça participe un peu de ce que j’ai en tête pour essayer de t’aider".
Me remplir l’estomac pour me vider l’esprit ? Pourquoi pas, Hermione, pourquoi pas ? ai-je pensé.
Je me suis perdu quelques minutes dans la contemplation de son immense bibliothèque, en me disant qu’après avoir passé une longue vie, et en avoir assimilé tant d’autres par la lecture, il n’était peut-être pas étrange qu’elle ait atteint ce niveau de psychologie, sinon de sagesse…
Elle a posé sur la table basse un plateau où j’ai découvert un toast tartiné d’une pâte odorante qui exhalait des effluves de sous-bois et de jardin d’herbes, et d’une petite théière dont elle a versé le contenu dans mon mug habituel, marqué d’un renard.
- Tu avais pourtant faim, a-t-elle dit en souriant gentiment, "mais prends le temps de mâcher sept fois, c’est mieux pour la digestion. Et cette tisane ?"
- Délicieuse, vraiment.
- Pour vous deux… Sinon pour toi, car il est temps que tu sois un peu égoïste, toi aussi… Il faudrait remonter à la base du problème, probablement jusqu’à votre rencontre. Je me souviens qu’à l’époque tu disais te sentir très seul, et avoir eu l’impression que Paul était le premier garçon à te…
- Une erreur de jugement, que j’aimerais n’avoir jamais commise. Que de temps perdu…
- Le temps, oui… Ecoute, je voudrais que tu me promettes de ne jamais en parler à personne, mais… Au grenier, il y a un vieux buffet, dans le tiroir de droite… Il coince un peu, mon cher Ron a plusieurs fois essayé de régler ça, mais en faisant pire, je le crains… Tu y trouveras un écrin de bois gravé, ramène-le.
Son mari, que je n’ai jamais connu, ne s’appelait pas Ronald, mais Romuald, je pense. Encore une allusion facétieuse, évidemment.
Je me suis faufilé entre les grappes de champignons lyophilisés et les bouquets de plantes ou de fleurs séchées aux odeurs prenantes qui pendaient, accrochés aux poutres par de fines cordelettes, en me demandant à la préparation de quelles décoctions elles servaient, jusqu’au vieux meuble.
En redescendant les marches, je me suis perdu dans la contemplation du dessin cabalistique sur le couvercle de la boîte qui, étrangement, semblait dégager une douce tiédeur dans ma main. Un bref étourdissement m’a fait poser l’autre quelques secondes sur la rampe, avant de rejoindre Hermione dans son salon. D’un léger hochement de tête, elle m’a invité à ouvrir l’écrin, dans lequel j’ai découvert un étrange bijou, une petite sphère de fins fils de métal doré enfermant une bille de pierre d’un vert profond veinée de lignes turquoise.
- C’est un remonteur de temps, ça ne fonctionne pas avec tout le monde, mais tu as l’esprit ouvert, et j’aime ce que j’y soupçonne, avec toi, j’ai bon espoir… Prends le remonteur dans la paume de ta main droite, posée sur la gauche, ouverte, et concentre-toi, elle devrait tourner sur elle-même et commencer à luire.
- Oui ! ai-je glapi. ‘’Et je ressens de la chaleur, puis ça… ça pulse !’’
- Très bien, remonte jusqu’au jour de votre rencontre et focalise ton esprit sur le jour où ce démon mineur a commencé à envahir ton âme, tu verras que…
Je me suis enfoncé dans le fauteuil, ma tête s’alourdissait, le son de sa voix semblait s’estomper, mon corps s’est lentement engourdi…
Jusqu’à un flash, suivi d’une explosion de bruit et de lumière.
(…)
- Bonne année ! a hurlé Manu de derrière son bar, avec sur le nez une paire de lunettes ridicules dont la monture de plastique doré formait ‘2020’.
Le Gaypard ? Comment était-ce possible ? Il y a un instant j’étais… Je me suis précipité vers un mange-debout que, je m’en souvenais, un mec bourré allait bousculer quelques instants plus tard, cassant une vingtaine de flûtes, retenant le maladroit de justesse.
- Tu as de bons réflexes et tu es vif, déjà à la verticale, j'ai envie d'imaginer qu'à l'horizontale… a soufflé une voix par-dessus mon épaule.
Je me suis lentement tourné vers un garçon trop sûr de soi, mince, très beau, les cheveux sombres, les yeux gris, glaçants, et un sourire moqueur soutenu par un sourcil relevé…
Sauf que ce sourire, que j’avais immédiatement trouvé séduisant, maintenant, j’y voyais juste le cynisme dont je le savais capable, et la satisfaction futile du chasseur devant une proie trop facile.
- Moi, c’est Paul.
- Je sais, ai-je répondu, étrangement assuré, "ta réputation te précède".
- Quelle réputation ? a-t-il sifflé, amusé.
Je me suis repassé en tête les conversations que j’avais eues depuis avec ceux que j’ai découvert être ses ex, Martin, Pierre, Alex… Des garçons qu’avant moi, il avait tous trop facilement séduits et dont il s’était servi, pour finir par les briser de son indifférence.
- De sale con manipulateur et égoïste, lui ai-je soufflé à l’oreille.
Je me suis redressé en reculant, avec un grand sourire, avant de rejoindre le bar, et un Manu euphorique.
- Mon petit Jey, on doit parler business un de ces jours, je vais avoir besoin d’aide le week-end, je sens que 2020 va être une année exceptionnelle pour mon bar, j’ai prévu des travaux, une nouvelle terrasse, puis je vais faire aménager…
Manu et ses plans, qu’il ne réalisera jamais… Je lui ai assuré que nous en reparlerions, mais à tête reposée. Mon regard a croisé celui de Paul, peut-être encore plus glacé que d’habitude, et j’ai poussé la porte. Le froid de la nuit de décembre… enfin, de janvier, à l’heure qu’il est, m’a directement transi, à la limite du choc thermique, j’ai fermé les yeux et mon corps entier a été pris d’un frisson, j’ai un instant perdu la notion du temps et du lieu…
(…)
Je me suis réveillé devant le regard et le sourire bienveillants d’Hermione.
- Ça… ça a marché, Hermione ! C’était réel… le bar… la soirée de nouvel-an… Puis… Paul, je lui ai même parlé.
- Je n’ai pas le pouvoir de faire remonter le temps, la physique n’autorise que la notion de voyage dans le futur, et encore, en théorie.
- Mais le remonteur de temps, il fonctionne, j’ai vu la bille tourner et briller ! Puis j’ai senti la chaleur…
- Non, c’était juste une illusion, facilitée par la pâte du toast, à base de champignons, une variété voisine du psilocybe, de l’importance de la mastication… et la tisane de jusquiame et de belladone, toutes deux psychotropes… Puis une forme de technique d’hypnose, plus précisément de suggestion, qui a révélé des éléments subconscients, que ta conscience éveillée ne veut pas voir. J’ai simplement induit dans ton esprit l’idée que la bille bougeait, et je l’ai dirigé vers le souvenir de votre rencontre, voilà. Tu ne m’en veux pas, j’espère. Mais tu dis que tu lui as parlé, que lui as-tu dit ?
- Ce que j’aurais dû dire il y a dix mois, ce que… Je dois y aller, merci, merci pour tout !
En marchant en direction de l’arrêt de bus, j’ai sorti mon phone, derniers appels… donnés bien plus souvent que reçus, ai-je brièvement pensé, un peu amer…
- Paul, j’ai un truc à te dire, je passe chez toi… Non mais je m’en fous que tu sois avec ton soi-disant cousin, et en cas, ne vous rhabillez pas pour moi… Juste un mot, ce ne sera pas long…
Table des matières
En réponse au défi
Retourneur de temps
Chers scribayens,
Voici mon premier défi, j'espère que vous serez indulgents :)
Pour vous, lecteurs inconditionnels d'Harry Potter, je vous suggère ce thème suivant :
Un jour pluvieux d'automne, vous vous engouffrez dans le grenier de la maison de campagne de vos grands-parents. Une lampe de poche à la main, les cheveux balayés par le vent qui s'infiltre à travers les poutres, vous vous dirigez vers ces cartons couverts de poussières que votre grand-mère ( trop fragile et essoufflée pour s'y rendre en personne ) vous a demandé d'ouvrir. Au lieu de tomber sur la pile de livres et de couvertures qu'elle voulait que vous lui apportiez, vous trouvez un médaillon plaqué d'or brillant à travers de nombreuses babioles.
C'est un retourneur de temps.
Peut-être que vous êtes un descendant d'Hermione Granger. Peut-être que votre grand-mère vous a menti toutes ces années.
Alors voilà ; le but de ce défi est très simple.
Où iriez-vous avec ce retourneur de temps? Dans le passé? Le futur? Il y a dix ans? Cinq minutes?
À vos claviers ! J'attends vos réponses avec impatience !
( Aucun genre imposé )
Commentaires & Discussions
L'Anglaise, le toast et la théière (g@y) | Chapitre | 25 messages | 2 ans |
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