Leçons particulières
Il m’indiqua qu’il habitait un petit studio indépendant accolé à une maison que les propriétaires, octogénaires, lui louaient pour une modique somme. Il pouvait se rendre à ses cours de danse à pieds.
J’avais son adresse, il m’attendait pour le samedi suivant à 10h00.
Toute la semaine, mon cerveau fut en ébullition. J’avais lutté pour décider en mon for intérieur si je devais y aller ou non, sachant qu’il avait certainement perçu mon trouble.
Était-il exact que les jeunes appréciaient les femmes plus expérimentées, voire matures ? Je n’avais que trente-trois ans, mais je me trouvais bien plus vieille que lui.
D’où les efforts que je fis pour améliorer mon allure tout au long de la semaine.
Je pris rendez-vous chez l’esthéticienne pour parfaire mon épilation, tant qu’à faire, je fis tout le corps.
Je me rendis chez le coiffeur pour lui demander un lissage. Le résultat me plut, mon mari ne fit aucune remarque.
Danièle me demanda les coordonnées du salon de coiffure. C’était de bon augure. Je savais donc me mettre en valeur quand je le voulais.
Mon budget beauté explosa, je pris la précaution de payer avec l’argent de mes économies.
Et s’il était gay ?
Cette possibilité me turlupinait car j’avais souvent entendu dire que dans le milieu des danseurs la majorité était homosexuelle.
Au pire, si j’obtenais un compliment de sa part, mon amour-propre en serait flatté.
Le souci est que toutes les nuits, je fantasmais sur son corps, je m’imaginais le caresser, lui faire un massage langoureux, au milieu des livres épars. Je l’enduisais d’huile parfumée, je m’enivrais de ses muscles si attrayants. Je mettais mes mains dans ses cheveux et approchais mon visage de sa bouche gourmande…
Je me réveillai en sueur, hagarde, la main sur mon clitoris, excitée comme jamais.
Mon mari dormait sur le côté, et ses ronflements réguliers m’assurèrent qu’il ne s’était rendu compte de rien.
Le vendredi arriva, je n’avais pas encore choisi ma tenue pour le lendemain.
Par chance, je ne travaillais pas le vendredi après-midi cette semaine-là, donc je pus me consacrer à mes préparatifs.
Je culpabilisais d’être à ce point émoustillée par ce corps, cette allure, cet accent irrésistible. J’étais faible, oui, je le voulais pour moi. Ma déception serait grande si je n’y parvenais pas.
Quelque chose en moi me disait :
«Pourquoi pas ? Ne perds pas une occasion de vivre des choses extraordinaires».
Oscar Wilde n’a-t-il pas écrit : «Les folies sont les seules choses qu’on ne regrette jamais.» ?
J’étais assez d’accord et j’étais consciente de rechercher ce genre d’étincelle pour donner du peps à ma vie.
Je ne pensais pas à mon mari à ce moment-là. C’était un plaisir purement égoïste.
Le vendredi arriva. Je m’enfermai chez moi, je pris une douche et commençai à revêtir plusieurs tenues qui m’arrachèrent de grands soupirs d’exaspération.
Aucun habit ne trouvait grâce à mes yeux, je me trouvais grosse, je voulais cacher mes volumineux mollets, ma poitrine opulente.
Heureusement mon visage me plaisait bien, ma peau était blanche, mes joues pleines, je respirais la santé, j’étais enjouée. Il fallait que je m’appuie sur ces points positifs.
J’optais pour une jupe longue à boutons dorés, fluide et vaporeuse. Un body recouvert d’un chemisier bleu compléteraient la tenue. Je me sentais à l’aise, c’était déjà ça. Je cirai des bottines noires.
Je fouillai dans mes bijoux à la recherche d’un collier qui donnerait ce côté bling-bling que j’affectionnais particulièrement.
Je me demandais si je n’en faisais pas trop.
Le lendemain, à l’heure dite, pas une minute de plus, je passai par le jardin des propriétaires du studio d’Armando. Je leur fis un signe de la main. Mon arrivée ne passait pas inaperçue.
- Bonjour Claire, merci d’être venue. Entre, je t’en prie.
Son sourire éclatant dissipa mes inquiétudes.
On se fit la bise. Il m’offrit un café.
- Je te l’avais dit, je n’allais pas me défiler sans te prévenir.
- Alors, tu vois c’est un petit studio, je mange et je travaille sur cette table. Plus tard, je m’offrirai le confort. Pour l’instant, je dois bosser, dit-il en éclatant de rire.
Tu es très courageux, montre-moi tes livres et ton mémoire. Je te dirai mon avis et je t’aiderai à avancer. Quand dois-tu le rendre ?
- Dans deux mois ! En vérité j’ai peu de temps pour m’y consacrer, j’ai peur d’être hors délai. On s’installe côte à côte, tu veux bien ?
- Oui, on va relire ensemble depuis le début.
Malgré mon trouble grandissant, je m’installai tout près de lui, sur une chaise de cuisine en formica. Je sentais son odeur enivrante, je détaillai à la dérobée son corps, ses longues jambes, ses fesses musclées moulées dans un short de sport.
Il se comportait de façon tout à fait neutre avec moi, rien ne transparaissait sur son visage, il avait l’habitude de maîtriser ses émotions. Ils apprenaient certainement cela à son école de danse.
Nous voilà donc plongés dans la lecture de son mémoire qui me paraissait bien rédigé dans l’ensemble, à part les verbes qui n’étaient jamais bien conjugués. Il fallait reprendre les bases, l’accord des temps et des personnes. C’était un travail fastidieux mais nécessaire.
Nous indiquâmes les corrections à faire sur son mémoire qui allait devoir être tapé à l’ordinateur par la suite. Cela me laissait l’espoir de profiter de lui au moins dix séances, pensai-je.
Au bout de deux heures, nous décidâmes que cela suffisait, et que nous nous reverrions le samedi suivant.
Je m’étais proposée pour un travail ingrat, sans contrepartie, et je n’en retirerais rien à part une fatigue oculaire qui malheureusement s’agrémenterait d’une migraine.
Oubliées les caresses, les jeux de séduction, les mots doux ! J’avais cru que ce serait mon jour, mon moment, quelle naïve j’étais !
Lorsque je sortis de son studio, je me retrouvai dans la rue, les bras ballants, l’œil terne. Mes illusions s’étaient envolées aussi vite qu’elles étaient apparues.
Au coin de la rue je repérai une boulangerie, je m’y engouffrai avec délice. Je m’offris un feuilleté au jambon gratiné et un éclair au chocolat. Il me fallait bien ça pour me remettre de mes émotions.
Je passai une heure une fois de plus à faire le bilan de ma vie, les épaules basses, le regard lointain.
Tout à coup je me souvins que ma mère gardait Sandro ce matin.
Je regardai l’heure, déjà 13h30 ! Je courus vers la sortie et pris le bus pour rentrer chez moi. Ma mère m’accueillit avec bienveillance, je bus mon deuxième café de la journée avec elle. Nous discutâmes des faits divers survenus récemment dans le quartier. Elle fit un baiser à mon fils, et me promit de revenir le samedi suivant.
Elle me permettrait peut-être de commettre encore une incartade, si jamais les choses se passaient comme je le souhaitais. Ma mère était désormais complice de mes envies sans le savoir.
J’étais persuadée que ces moments hors du temps combleraient mes désirs, me rendraient heureuses.
Je l’avais vécu une fois et je tendais à vouloir revivre à nouveau ce corps-à-corps si intense.
Je revis Armando comme prévu le samedi suivant, mais tout au long des deux longues heures que nous consacrâmes à la correction de son mémoire, rien ne laissa présager qu’il allait se passer quelque chose entre nous. Je portais un tee-shirt semi-transparent, j’étais sûre qu’il pouvait voir mon soutien-gorge.
J’avais tressé mes cheveux et noué un foulard au-dessus de ma tête dans un esprit jeune, pensai-je.
Aucune réaction de la part d’Armando qui était décidément extrêmement sérieux. Je ne l’attirais pas du tout, je devais me faire une raison.
Pourtant j’avais encore rêvé de lui, il m’emmenait par la main vers son lit, son corps recouvrait le mien, il me déshabillait avec passion, caressait mes seins, j’étais en extase.
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