In viro veritas*
de Stradivarius
* En l'homme, la vérité.
"Tu seras un homme, mon fils. Tu ne pleureras pas, puisque cela est réservé aux femmes. Tu seras fort dans toutes les circonstances pour justement élever la femme, prendre soin d'elle, l'aimer, la chérir et la réconforter dans les moments difficiles. C'est à cela qu'un homme est utile et fort."
Des paroles qui ont fait l'effet que fait un trébuchet lorsqu'il s'élance d'un bras puissant afin de lâcher une énorme boule vers des remparts pourtant si résistants, mais qui volent alors en éclats. Le sourire laissant place à la stupeur. Le cerveau se met en état de fonctionnement avec intensité. Les ricochets de chacun des mots cités ont endommagé les parties de mon âme à tout jamais. L'enfant que je fus, alors, n'était plus. Les larmes de crocodile que l'on verse lorsque l'inconfort se fait sentir, ne sont plus là. La source d'eau est tarie. L'oasis est asséché. Le désert s'installe et les émotions vacillent pour ne laisser place qu'à l'homme fort, qu'à l'homme qui se doit d'être dans l'action et non la réflexion. Des mots qui ont eu les incidences d'aujourd'hui et qui ont détruit l'homme que je me devais d'être. Qui ont achevé la grande part de mon être, de mon devenir, de mes vertues, de ma réelle puissance. Car les émotions sont bien plus fortes que les muscles eux-mêmes et peuvent faire déchaîner mers et océans, laisser s'écrouler les montagnes les plus hautes. Mais je n'ai plus pleuré depuis ce jour. Ou si peu, en cachette, dans un sombre terrier que je me suis creusé pour laisser s'exprimer mon simple desespoir, mon simple mal-être, la simple horreur qu'est devenue ma vie.
Je me suis laissé berné par les suppositions, par la pensée d'autruis sur ma façon de vivre ma vie d'homme. Je me laissé errer dans les dédales de la perdition, perdant peu à peu les fonctions vitales de mes émotions. Je me suis plongé dans le désarroi le plus total, l'incompréhension de ce monde. Je me suis retenu, tout le temps, à ne jamais laisser sortir ce que j'avais au fond de moi. Qui j'étais réellement. Je l'ai d'ailleurs nommé "le Monstre". Car, pour moi, il n'y avait rien de plus honteux et de plus horrible que de laisser transparaître ses blessures, ses peines, ses malheurs, son horrifiante vision d'un monde incompréhensible. J'en suis venu à ne plus parler à quiconque, à ne plus rire, à ne plus sourire, à ne plus pleurer, à ne plus penser. À ne plus vivre. Par le simple fracas des mots de mon modèle. Des mots qui se sont transformés en maux sur les émaux rompus de mes "vices" perdus.
Pour le coup, je me suis forgé un monde à part, dans la littérature, dans l'écriture. Sans vraiment lire véritablement. J'avais surtout le besoin de m'exprimer, de laisser parler mon "monstre" au travers de différentes aventures tortueuses. J'avais cette envie là de le laisser s'exprimer au travers de quelques lignes, de quelques fariboles, de quelques délires néphrétiques. Quoi de mieux que d'inventer un être hanté par un démon qui l'oblige à faire ce qu'il ne veut pas faire ? Un assassin en puissance dans un monde abject, peuplé de gens fous qui aiment à faire le mal, qui apprécient voir les autres sombrer dans le stupre d'une vie d'inconfort et de souffrance. Quoi de mieux que de déchainer sa haine à l'aide de phrases lacérantes et tendancieuses en créant des scènes de meurtres. D'un justicier qui tue ces salopards impunis. Il n'y a rien de plus bon que de se laisser aller dans ces délires, dans ces folies. Le cerveau apaisé, l'âme en paix, le sourire aux lèvres d'un air légèrement sadique. Et, pourtant, à la fin le monde me revient en pleine gueule et je perds le contrôle, me refermant sur moi-même et empêchant ce "monstre" d'évoquer le moindre mot.
"Tu seras fort".
J'ai simplement entendu ces mots de milliards de fois. Vous savez, dans les différents boulots que l'on peut exercer, dans les mentalités de cette société, dans les faits et gestes de chacun. Quand notre employeur nous demande de faire des tâches fastidieuses sans râler, simplement par le fait d'être un homme. Sous-entendu que la force émane de tous les mâles, et que les femmes elles-mêmes sont incapables de porter la moindre charge. Une galanterie mal placée qui forment là des gaillards arrogants qui bombent le torse tout en portant ce colis que la femelle ne saurait porter. Puis, ces "hommes" se mettent en groupe, parlent de cul en société, à même des inconnus. Des blagues graveleuses tout en sifflant devant une femme au charmant fessier rebondi qui passe juste à côté.
En réalité, je hais ces "hommes". Ils n'y peuvent rien, c'est ainsi que le monde tourne depuis longtemps. C'est ainsi que va la vie, que fonctionne la société. Tout le monde est une modeste brique moulée dans un moule identique à celui de l'autre, formant encore un mur gigantesque, carré, droit, magnifique. Magnifique mais pourri de l'intérieur. Pour m'intégrer à ces groupes, j'ai été obligé de me rabaisser à leur niveau. À rire à leurs blagues chiantes et débiles, dignes d'un QI de moule tournant à deux à l'heure. Il faut peut-être même avouer, et reconnaître, qu'une moule n'est certainement pas si conne que cela. Je me suis retrouvé à être aussi con qu'eux. À prendre ma place parmi eux, à échanger des faussetées stupides, à ne plus me retrouver moi-même. L'impression d'être fort, d'être accepté pour qui je n'étais pas réellement. L'impression d'évoluer dans ce monde qui n'est pas le miens. De ne plus me reconnaître dans le miroir. De me haïs. De me détester. De me dénigrer constamment.
De fil en aiguille, j'ai cessé d'avancer, j'ai même reculé. J'ai accepté les femmes qui voulaient de moi, jusqu'à finir par être trompé, par être défoncé, par être démoli. N'être qu'un déchet de l'humanité. La confiance en moi était déjà rompue depuis longtemps, mais elle l'a été de plus en plus avec le temps. Des frappes et des insultes quand j'étais jeune pour cause de ma "rousseur". Des dénigrements continus sur mes capacités d'homme. Des tromperies et des mensonges qui ont terminé de m'achever, qui ont eu raison de ma "force". De celle que l'on voulait voir au préalable, mais qui n'était pas réelle, pas palpable.
Et c'est depuis mes quatorze ans que j'écris, que je ne cesse d'aligner les mots et les maux, que j'avance dans un monde virtuel, que je m'enferme tel un nerd avec des amis imaginaires qui, eux, me comprennent parfaitement et m'aiment pour ce que je suis. Voir les commentaires des autres sur ce que j'écrivais, ça me faisait plaisir. Ça remontait l'estime de moi pour quelques instants. Aucun point négatif n'émanait de mes écrits, rien. Tout le monde aimait, ou me disait aimer. Et là, c'est tout bonnement jouissif, car c'est une partie de moi que je laisse échapper dans ces textes qui n'ont aucune limite. Une partie de moi que les gens aiment, apprécient, que les gens espèrent voir encore et toujours de façon plus intense et plus forte.
Mais merde.
Ce n'est pas ça la vie, ce n'est pas ça la force.
"Putain, sois fort, merde ! Arrête d'être faible !"
Et voilà que ça continue, que tout se poursuit. Un Enfer inévitable. Je paie constamment le passeur du Styx pour m'emmener me faire cramer les miches dans les bas-fonds de la folie humaine. Je crois que toutes les souffrances évoquées plus haut n'ont rien de comparable avec cette souffrance survenue le 18 novembre. La mort, qui au départ n'a jamais voulu de moi, ne m'a jamais désiré, a eu raison de moi et de mon âme. Je suis mort le 18 novembre 2019. Lorsque l'on m'a annoncé que les coeurs avaient cessé de battre et que je ne serai plus rien qu'une merde, que je n'aurai pas le titre tant désiré depuis des années. Que je ne pourrai pas être comme celui qui m'a élevé, comme ceux qui ont élevé ce dernier. Que je ne serai tout bonnement que celui qui a toujours été. Sans amour propre, sans petits êtres à cajoler et à aimer. Sans cette femme à mes côtés, laissant nos coeurs battre à l'unisson dans ce bordel de l'Univers.
Crac. Bam. Boum.
Putain de merde.
Retour à la case départ. À la casse de départ.
"Sois fort." "Tu es faible". "Elle a besoin de quelqu'un de fort à ses côtés". "Tu n'as rien fait". "Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même". "Sans doute est-ce un signe de l'Univers, vous n'étiez pas fait l'un pour l'autre". "Tu ne me connais pas". "Tu n'es qu'une merde sous ma chaussure". "J'ai couché avec un taré". "Tu me dégoûtes". "Je te hais". "Sois fort".
Tous ces mots à la gueule, toute cette violence que je n'aurais jamais osé écrire dans mes propres histoires violentes. Toutes ces choses que l'on se prend et qui nous claquent aux joues, au coeur. J'ai la nette impression d'être propre à l'extérieur, mais d'être lacéré de l'intérieur. J'avance tel un mort vivant, comme un zombie. La démarche poisseuse. Je tombe dans les bas-fonds. Je ne comprends pas. J'essaie de me relever, mais je m'en reprends une dans la gueule qui m'achève. Et je gis au sol tel un déchet, comme une merde sous sa chaussure.
Comme une putain de merde sous sa godasse fleurie.
Mais je lève les yeux au ciel, et là, je perçois la lumière. Je vois une sorte d'espérence. Je tente de faire fonctionner à nouveau mon cerveau. Je me dis qu'il n'est pas possible que j'ai pu être aussi faible. Aussi désastreux. Que toutes les fautes ne peuvent pas m'incomber. Je comprends mieux. Je perçois la vérité. Tous les détails qui se mettent en place tel un puzzle. J'écris tout. Je mets tout dans mon univers afin de pouvoir parler avec mes personnages. De pouvoir véritablement toucher du bout des doigts la fameuse vérité. Les choses qui se sont passées. La cruauté de chacun des gestes dont j'ai été victime, qui ont été des coups portés à mon honnêteté et à ma loyauté. Je souris enfin. Je me fais aider. Je parle enfin. Je souris de nouveau. On m'offre un sourire en retour. J'ai le coeur qui bat de nouveau. Je sais alors pourquoi cette bague était restée à la maison ce jour-là. Je sais pourquoi ces mots ont été prononcé. Je sais pourquoi l'on a agit de la sorte avec moi. Et je sais, par dessus tout, que je ne suis coupable de rien. Que j'ai été fidèle à moi-même. Que j'ai apporté toute l'aide que je pouvais apporter. Que j'ai continué à grandir et à m'épanouir, non pas pour être fort au regard de l'humanité, mais pour être fort pour mon amour que je me porte.
Puis, je me suis rendu compte que chaque épreuve de la vie m'a toujours aidé, a toujours été une force et non pas un poids que je dois porter sur mon épaule. Je n'ai certainement pas besoin de quiconque pour savoir toute la force que j'ai en moi. Que je possède depuis toujours. Celle qui continue constamment à grandir en moi. Qui ne me quitte jamais. Qui ne me fait pas faux bond contrairement aux autres. Je sais que je peux compter sur moi. Je sais que même en étant seul, je ne le suis pas vraiment. Je suis avec moi-même. Et c'est tout ce qui m'importe. C'est tout ce qui compte. Finalement, je peux être faible et le reconnaître, ce qui fait de moi l'homme le plus fort du monde. Tel un phénix qui meurt et renaît de ses cendres, toujours magnifique et merveilleux. Toujours grand et fort. Toujours somptueux avec ses plumes rouges fantastiques.
Plus j'écris, plus je me rends compte de cette force qui vit au fond de moi, qui transperce mon âme et me fait surmonter toutes les épreuves de la vie. Cette littérature que je transmets, sans attendre rien en retour, sans attendre le moindre argument ou la moindre niaiserie. Cette littérature, c'est mon monde à moi, c'est ce que je souhaite laisser à ceux qui pourraient en avoir besoin, à ceux qui, comme moi autrefois, se prennent pour de la merde mais qui sont tout bonnement des pépites d'or. Des âmes au coeur pur. Des vrais battants. Des gens merveilleux. Des justiciers de toute cette décadence que l'on voit, que l'on perçoit, que l'on entend, que l'on a à subir.
Je me remercie amoureusement d'être toujours là, le dos droit, la tête levée, face à ces monuments de haine et de stupidité. De niaiseries. De nauséeuses fourberies. Je vous emmerde tous, mais je vous aime aussi d'un amour puissant et indéféctible. Doux paradoxe que voici, n'est-ce pas ? Vous comprendrez certainement le jour où cela vous sautera à la gueule comme cela m'est arrivé il y a peu.
Moralité, ne soyez pas fort pour les autres. Soyez simplement vous-même, et ce sera là votre meilleure force. Faites ce que vous aimez, ce que vous voulez, ce qui vous fait vibrer sans devoir constamment chercher l'approbation des autres. Laissez aller votre propre sensibilité au-delà des mots, au-delà des maux. Laissez jaillir votre richesse intérieure, qu'elle explose à la face du monde, à celui de l'Univers. La lumière brillera à jamais sur votre âme, et vous serez à tout jamais heureux.
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