A la fin de la lecture, Emmanuelle à les yeux embués, mais elle sourie. Elle s’est arrêtée deux fois pendant celle-ci, semblant se remémorer les instant de leur première rencontre. Elle pose le carnet sur la table et lève la tête.

- Voilà, c’est assez fidèle à ce qu’il s’est passé.

- Et vous, comment avez-vous vécu ce premier contact ?

Elle réfléchit un instant.

- Avant toute chose, comme vous ne l’avez jamais rencontré, je me dois de vous le décrire. Physiquement, il n’a rien d’exceptionnel, du moins à l’époque. Il était châtain clair, les cheveux coupés courts, moyennement grand. Et il avait un surpoids qui le complexait beaucoup.

Elle souri, tendrement à ce souvenir.

- Je lui ai souvent dis que pour moi, ça n’avait pas d’importance, que je m’en fichais complètement. Je le trouvais même beau. Il avait des yeux extraordinaires, d’un bleu profond. Je me rappel que lors de nos échanges de photos, j’ai pensé que n’importe qu’elle femme devait tomber sous le charme de ce regard. Et puis, il était instruit, avait beaucoup de conversation. J’ai appris beaucoup de choses avec lui.

Je la laisse parler, mes doigts courent sur le clavier.

- Vous ne voudriez pas arrêter de taper sur votre ordinateur ? J’ai l’impression de faire une dictée.

Je lève la tête, surpris. Elle sourie.

- Vous avez raison, excusez-moi. Ca vous embête si j’enregistre ?

- Non, mais dans ce cas, si nous allions marcher ?

- C’est une excellente idée.

Je range mon ordinateur et sors un dictaphone de mon sac. Je vérifie qu’il est bien chargé, et je me lève. Elle m’attend à la sortie de la terrasse. Du coin de l’œil, je vois l’homme au journal se lever et partir en sens inverse. Mon portable me signale un sms quelques instants plus tard.

« Envoyez l’enregistrement dès la fin du rendez-vous. »

Nous entamons notre marche dans High Park et Emmanuelle reprend son récit.

- Comme il l’a décrit, notre premier contact fût percutant. Mais quand j’ai levé les yeux sur lui, c’est son regard que j’ai croisé. Il semblait étonné, et désolé. Il m’a invité à boire un café. Et effectivement, nous avons passé toute la journée ensemble, une très agréable journée.

- Qu’elle a été la première chose que vous ayez pensée en discutant avec lui ?

- Qu’il avait beaucoup de charme. A aucun moment il n’a été lourd, je discutais avec un inconnu aussi librement qu’avec quelqu’un que j’aurais connu depuis longtemps. Il savait très bien mettre les gens en confiance.

- Pourquoi parlez-vous de lui au passé ? A ce que j’en sais il est encore vivant.

- D’abord vous n’en savez rien, vous ne l’avez pas vu, et ensuite il fait partie de mon passé, pas de mon présent. Même si là, il revient en force dans mes pensées ces dernier temps.

- Et pourquoi ne prononcez-vous jamais son nom, ou son prénom ?

- Ca m’aide à l’éloigner de moi, à en faire une présence plus lointaine, plus anonyme. Je ne suis pas sur de ne pas laisser remonter trop de choses si je le nomme.

- D’accord, vous voulez bien continuer sur cette rencontre ?

Elle regarde sa montre.

- Dirigeons-nous vers le parking du café, je suis garée là-bas. Comme je vous l’ai dis, la journée a été très agréable. Nous avons beaucoup échangé, sur les auteurs, les livres que nous trouvions et que nous avions lu. Nous avons ri aussi, comme deux vieux amis. C’est du moins l’impression que j’ai eu jusqu’à la fermeture du salon. Moi aussi à ce moment là j’étais triste que la journée s’arrête, et étonnée de l’être. J’ai été heureuse qu’il me demande mon adresse mail pour continuer à discuter, et je l’ai embrassé spontanément, sans réfléchir. Vous auriez-vu ses yeux ! Il été étonné, mais semblait ravi de mon initiative, j’avais trouvé ça très touchant.

- Il vous a écrit en arrivant chez lui d’après ce qu’il dit, que disait-il.

- Vous êtes trop pressé. Sachez d’abord que moi aussi j’ai beaucoup pensé à lui ce soir là. Dans les transports en rentrant chez moi, et même en présence de mon mari. J’ai vu qu’il avait écrit au alentour de 23h, avant d’aller me coucher. Le mail disait qu’il avait passé une très bonne journée, et que j’avais été une très belle rencontre. Il me souhaitait une bonne nuit, pleine de rêves érotiques. Je me suis couchée le sourire aux lèvres.

- Vous lui aviez répondu ?

- Non, je n’ai repris contact qu’une semaine plus tard.

Elle regarde de nouveau sa montre.

- J’ai encore une dizaine de minutes. Pouvez-vous m’expliquer comment vous m’avez retrouvé ?

- C’est un peu long à expliquer, mais en gros, je suis parti de votre prénom, de votre profession et de la ville mentionnée dans le carnet. Avec votre photo en main, j’ai fait le tour des écoles. Puis, à partir du moment où j’ai eu trouvé l’établissement dans lequel vous aviez travaillé, j’ai eu votre nom. A partir de là, j’ai interrogé l’administration en qualité de journaliste. Ca a été très long.

Elle me regarde un instant, cherchant visiblement à savoir si je lui dis tout. Puis, elle me tend la main.

- Je dois y aller, je vous retrouve au même café dans une semaine, à la même heure.

- Très bien, mais, attendez.

Je fouille mon sac et en sort une carte de visite.

- Il y a mon adresse mail, si vous voulez rajouter quelque chose à ce que vous m’avez dit. Ou si vous avez des questions.

Elle prend la carte et ouvre la portière de sa voiture.

- A bientôt.

La voiture démarre et s’en va.

Je retourne au bar, commande un coca et sort mon ordinateur. Je transfère le fichier son du dictaphone et ouvre ma boite mail.

« Voici l’enregistrement de ma conversation avec Emmanuelle. Pourquoi étiez-vous là ? Elle aurait pu vous voir. »

La réponse est quasi immédiate.

« Ne vous inquiétez pas, pour ça, je sais ce que je fais. Lors de vos prochaines rencontres, demandez lui combien il y a eu de rencontre, et essayez de lui en faire décrire une. »

« Il y a d’autres sujets que vous voulez que j’aborde ? »

J’ai attendu une bonne demi-heure la réponse avant de rentrer à l’hôtel.