34. MacGyver aux abonnés absents

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Arthur

La porte s’ouvre sur le Colonel qui entre sans attendre mon accord dans la petite pièce où je suis enfermé depuis mon arrivée dans la base. Il est accompagné d’une femme brune d’âge mur, vêtue d’un tailleur blanc et de talons hauts qu’il me présente comme Irina qui travaille aux services spéciaux pour le Gouvernement.

- Zrinkak, cette dame a des questions à vous poser pour préparer le transfert demain matin. Elle parle français, alors je reste pour m’assurer que tout se passe bien.

- Des questions ? Avant le transfert ? Si vous voulez, ça m’occupera cinq minutes, parce que clairement, vous n’allez pas avoir d’étoiles pour la dimension activités de votre hôtel, Colonel.

- Pas d’humour, Zrinkak. Ce n’est pas le moment, grommelle le colonel en s’asseyant à ma table sans que je ne l’autorise, une nouvelle fois.

Irina reste debout, silencieuse. Elle m’observe sans rien dire, droite et hautaine, sa petite mallette à la main. Je sais ce que ça veut dire, services spéciaux. Ce sont eux qui gèrent les terroristes, les espions, les traîtres à la nation. Qu’est-ce qu’elle me veut cette pimbêche ? Je me relève dans mon lit et la regarde, interrogatif, attendant qu’elle me pose ses questions. Le silence est pesant, lourd, long, mais je suis décidé à ne pas prononcer le premier mot. On a les petites victoires que l’on peut dans ma situation. Après un long moment, le Colonel se racle la gorge.

- Vous aviez des questions, je crois, madame. Je pense que Zrinkak est prêt à vous répondre.

- En effet, j’ai des questions, dit-elle enfin froidement en sortant un petit calepin.

Elle s’assoit directement sur la table, vu qu’il n’y a pas d’autre espace à part le lit, et elle croise volontairement les jambes. Je vois que le Colonel n’est pas insensible à ses charmes et qu’il profite du spectacle. Cela m’amuse et je me demande où elle veut en venir.

- Monsieur Zrinkak, quels sont vos liens avec la rébellion ?

- Mes liens ? Mais je n’en ai pas, moi, je suis responsable d’une ONG qui ne fait pas de politique. Notre travail est de venir en aide aux personnes qui se retrouvent sans rien suite à la guerre. Food Crisis, vous en avez entendu parler, j’imagine, la provoqué-je en souriant.

- Je connais, oui. Parlez-moi de votre famille, Monsieur Zrinkak. Des parents ?

- Oui, mon père est mort, en France, il y a quelque temps. Ma mère a disparu pendant la première guerre. Mais pourquoi vous me posez toutes ces questions ? Vous avez les réponses, non ? Et pourquoi les poser maintenant avant le transfert ? Qu’est-ce que vous attendez pour me libérer ?

- Vous êtes soupçonné d’intelligence avec l’ennemi. Nous devons déterminer vers quelle prison vous envoyer, Monsieur Zrinkak. Je vous rappelle que selon notre loi, vous êtes toujours un ressortissant de notre pays et soumis à nos lois. Alors, pourquoi avez-vous favorisé la sortie des rebelles du camp ? Vous aviez peur qu’on vienne les chercher ? Vous avez voulu les protéger ?

- Mais c’est n’importe quoi. Colonel, pourquoi avez-vous autorisé cette femme à venir ? Elle est belle la protection de la France.

- J’ai des ordres Zrinkak. Et ils veulent vraiment savoir où vous envoyer. Je pense que vous n’avez pas tout dit sur vos liens avec la rébellion. Vous feriez mieux de parler tout de suite et comme ça, je verrai si je peux vous aider ou pas. En ne parlant pas, vous ne nous donnez aucun choix que de les laisser vous emmener pour vous interroger.

- Mais j’ai rien à dire ! Les réfugiés allaient sortir. J’ai juste évité le bain de sang. Et vous savez ce qu’il va se passer si je suis transféré dans leur prison. Jamais je n’en sortirai ! Pourquoi vous ne me laissez plus contacter mon avocat ?

- Mais Monsieur Zrinkak, vous n’avez plus d’avocat, susurre doucement la glaciale Irina. Vous avez communiqué au Colonel ce document qui explique que vous voulez vous défendre seul et surtout qu’il ne fallait plus faire de vagues auprès des médias car vous voulez vous engager auprès de notre Gouvernement.

- Mais c’est du foutage de gueule ! Colonel, vous savez très bien que ce n’est pas vrai ! Pourquoi vous la laissez dire ces inepties ? Elle ment ! Je demande à être libéré immédiatement !

Devant mon emportement, le Colonel se lève et entraîne la Silvanienne avec lui, visiblement mécontente que l’entretien se termine si vite. Avant de sortir, il me jette un regard assez résigné.

- La politique, Zrinkak, la politique, c’est ça qui mène le monde. Mais j’ai noté votre mécontentement. J’en ferai part à mes supérieurs. Soyez-en assuré.

Lorsque la porte claque derrière lui, je reste là, assis sur mon lit, hébété, sous le coup de ce qui vient de se passer. Je ne comprends pas à quel jeu joue le colonel. Il n’a pas l’air d’être corrompu et pourtant, il fait tout ce que le Gouvernement silvanien lui demande. Ils ont un moyen de pression sur lui aussi ? Et d’où vient cette insistance à croire que j’ai des liens avec les rebelles ? Mon origine silvanienne, sûrement. Comme si avoir grandi ici faisait que j’avais choisi un camp dans la guerre. Je me sens français et je suis membre d’une ONG. Mon but, c’est d’aider les gens, pas de prendre parti dans cette guerre stupide.

Et voilà en plus qu’ils falsifient des documents, que je me retrouve sans défense, sans appui, sans soutien. L’armée est vraiment la Grande Muette, sans lien avec l’extérieur, je ne peux rien faire. Je me lève et, appuyé sur ma béquille, je refais le tour de ma petite chambre pour essayer de trouver un moyen de m’évader. Mais c’est impossible. Même si j’arrivais à sortir, il y a tellement de soldats autour que je serai bien incapable de passer inaperçu. Et puis, avec ma jambe blessée, je ne peux certainement pas les prendre de vitesse.

- Tu as bien fait de signer une assurance vie avant de partir. C’est ta sœur qui va être contente, dis-donc.

Ouais, pour une fois, la petite voix a raison. Je suis dans la merde. Le seul espoir que j’ai est mince et ténu : Julia. Mais elle fait partie de l’armée. Si elle a des ordres, elle va les suivre, c’est sûr. Et puis, je n’ai aucun moyen de la contacter. Si elle ne réussit pas à assurer mon transfert, je ne la reverrai peut-être jamais.

- Tu l’as même pas baisée, la Lieutenant. Quel con tu fais. Finir ta vie dans une geôle silvanienne sans même avoir profité de la vie une dernière fois. Un vrai con.

J’essaie de faire taire cette conscience qui ne prend pas la forme d’un criquet comme Pinocchio, mais qui vient toujours me titiller quand je suis stressé, quand je ne sais pas quoi faire. Et là, c’est clair que mon avenir est sombre.

- Tu peux toujours essayer de te tirer pendant le transfert. Dans les films, c’est toujours là que ça marche. Parce que la sécurité est moins forte, tu sais ? Ou alors, tu essaies de te rappeler de tes dimanches après-midis à regarder MacGyver et tu construis une bombe avec un morceau de la chaise et le stylo qu’a laissé l’agente secrète.

Putain, je déraille totalement là. Si j’en arrive à devoir recourir aux séries télés, c’est que la situation est totalement désespérée. Après, c’est vrai qu’ici, je n’ai rien à espérer. Pendant le transfert, qui sait ce qui peut arriver ?

- Avec ta chance, vous allez sauter sur une mine et hop, finie l’histoire. Mais bon, au moins, ça t’éviterait la torture.

Je deviens fou, ça c’est clair. Et ce qui est évident aussi, c’est que je ne suis vraiment pas dans une situation idéale. J’ai beau examiner mes options, elles sont très limitées. Je décide alors de fermer les yeux quelques instants en m’allongeant dans mon lit. Je sais que je ne vais pas dormir, mais cela fera peut-être taire cette satanée petite voix qui me rappelle que c’est sûrement la prison, voire la mort qui m’attend. Mon cerveau imagine plein de scénarios plus improbables les uns que les autres. Jusqu’à m’envoler dans les bras de Superman jusqu’à la Lune.

- Zrinkak ! Debout ! C’est l’heure !

J’ouvre les yeux et me rends compte que je me suis finalement endormi. Le réveil est brutal avec un soldat qui me bouscule de son fusil, l’air goguenard. Il ne fait pas partie de l’équipe habituelle et je ne le connais pas, mais clairement, il ne donne pas envie qu’on apprenne à le découvrir.

- Ouais, j’arrive, cinq minutes, je dois me préparer quand même !

- Ahaha ! Cinq minutes, il demande, c’est un marrant, crie le soldat à un de ses collègues restés à la porte.

- Il est où le Colonel ? Vous pensez que vous pouvez me traiter comme ça ?

- C’est pas le Colonel qui nous envoie, tu n’as pas vu que nous faisions partie de l’armée silvanienne ? Tu es encore plus con qu’il n’y paraît, dis-donc.

Je me rends compte alors que nos échanges ont en effet lieu en silvanien. Mais si c’est ça, ça veut dire que je suis déjà dans les mains du Gouvernement ! Et Julia qui avait dit qu’elle allait gérer le transfert, c’est tombé à l’eau ! Alors qu’il me tire, je me lève et attrape ma béquille avant que le soldat ne me passe les menottes aux poignets.

- Je fais comment pour marcher avec la béquille et les menottes ?

- Eh bien, tu te débrouilles. Tu ne crois pas qu’on va faciliter les choses à un traître comme toi, quand même ! Qu’il est drôle ce petit con. On va se marrer pendant le trajet, Jack, je le sens !

Même ma petite voix ne trouve rien à dire. La situation est encore plus catastrophique que je ne le pensais. Toutes mes perspectives d’évasion se sont évaporées avec mes rêves. Le réveil est brutal et le retour à la réalité est sombre. Ils sont où Superman et MacGyver quand on a besoin d’eux ?

- Les super héros, je ne sais pas où ils sont, mais Elle, elle est là.

Julia. Elle est venue et arrive en courant avec une équipe de quatre soldats français. Même en ce moment difficile, je ne peux m’empêcher d’admirer comment ces militaires sont capables de se mouvoir en rythme. C’est beau un tel entraînement.

- C’est qui, eux ? demande le garde venu me chercher.

Eux, c’est la cavalerie qui arrive au bon moment pour me redonner un peu d’espoir. Eux, ce sont des soldats qui vont obéir aux ordres donnés par la Lieutenant et m’éviter de finir mes jours en taule. Et Elle. J’ai l’impression que c’est une déesse sortie de nulle part pour venir à ma rescousse. Elle a l’air fier et déterminé, et mon cœur se serre quand je la vois si belle et si forte, entourée de tous ces hommes, clairement prête à imposer sa volonté. Je ne sais pas comment, mais je le sais. Grâce à elle, tout va aller mieux.

- C’est beau de rêver, Tutur. Tu crois encore aux princesses charmantes ?

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