37. Rencontre avec les gradés

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Julia

J’observe le Viking à travers le rétroviseur et me retiens de soupirer. Il a l’air de l’ouvrir plus qu’il ne mord, mais je n’aimerais pas trop devoir me battre avec lui. En tous cas, il n’a certainement pas inventé le fil à couper le beurre, parce qu’il ne m’a même pas fouillée. Mon Famas est resté dans le camion de transport, mais j’ai toujours mon arme de poing et mon couteau. Malheureusement, il a tout de même été suffisamment futé pour m’attacher les mains dans le dos, et autant dire que vu comme il roule et l’état de la route, c’est tout sauf confortable.

Bon, je n’ai peut-être pas été très futée non plus, au final. Si ça se trouve, je me suis totalement plantée sur Arthur. Et s’il faisait réellement partie de la Rébellion ? Après tout, le Viking n’est autre que son cousin ! Sans parler de la réaction du Chef encore présent au campement lorsque je lui ai dit que j’avais besoin de la rébellion. Il n’a pas hésité une seconde à joindre son contact afin de mettre en oeuvre ce sauvetage qui est à la fois une réussite et une terrible merde pour moi. Comment est-ce que j’ai pu être aussi stupide, sérieusement ! Quand les pièces du puzzle se sont alignées, que tout s’est éclairé, j’aurais dû avoir la jugeote de laisser tout tomber, ça puait trop. Évidemment qu’il en fait partie, il ne peut en être autrement ! Derrière sa belle gueule et son regard doux se cache un rebelle revenu pour renverser le Gouvernement, je suis sûre. Vraiment trop conne, Julia, il suffit d’un sourire et de quelques compliments pour que ton radar se déconnecte au profit de ta libido.

- Tu fais partie des rebelles, alors ? Est-ce que j’ai été totalement conne de te faire confiance ? chuchoté-je à Arthur en zieutant dans le rétroviseur.

Il me regarde avec un air de surprise qui parviendrait presque à me convaincre de son innocence si je n’avais pas appris autant à son sujet.

- Mais non, voyons ! Tu as eu plus de contacts avec les rebelles que moi !

- Ah ouais ? Et comment tu expliques que le Gouvernement t’ait arrêté toi ? Comment tu expliques qu’en quelques heures j’avais un plan pour te sortir de là ? Comment tu m’expliques que c’est ton propre cousin qui vient te chercher ? Et comment tu m’expliques pourquoi je me retrouve là au lieu de là-bas avec mes hommes pour finalement venir te chercher comme c’était convenu ? m’énervé-je alors que je reçois le regard noir de Luka. Désolée le Viking, mais je déteste qu’on me prenne pour une conne.

- Comment veux-tu que je t’explique tout ça alors que j’étais enfermé dans une cellule de ton armée ? Ce sont tes collègues d’ailleurs qui m’ont arrêté, pas le Gouvernement ! Je ne sais pas pourquoi ils t’ont gardée ? Ils ont peut-être envie de te poser des questions sur les armées, j’en sais rien moi. Franchement, si c’est pour m’agresser ainsi, je vais dire à mon cousin de te faire taire. C’est quoi toutes ces accusations ? Moi, tout ce que je veux, c’est gérer mon ONG et aider les gens. On est en dehors de la politique, nous, tu peux pas comprendre ça ? finit-il de me lancer en se renfrognant dans son siège.

- T’agresser, rien que ça ? Je risque ma carrière et ma liberté pour te sortir du pétrin, putain, j’ai quand même le droit de me poser des questions quand je me fais entuber !

- C’est pas moi qui ai passé le marché avec les rebelles. Je n’ai aucune réponse et j’en ai marre qu’on me trimballe partout sans rien m’expliquer. Je suis comme toi, Julia. Et jamais je n’ai eu de liens avec la rébellion ! Il faut que tu me croies. Si même toi, tu ne me crois pas, qui le fera ?

- Arrête d’essayer de m’amadouer, je t’en prie, soupiré-je. Je suis paumée, je ne comprends plus rien et je déteste ça. Tu veux bien y aller mollo sur l’accélérateur, le Viking, tu vas me faire gerber à conduire comme un dingue !

- Ça veut dire quoi gerber ? intervient-il sans ralentir.

- Ça veut dire que tu conduis comme un âne, lui dit son “frérot”. Ralentis, sinon on va tous y rester.

Je reste silencieuse sur le trajet qui nous mène je ne sais où, pour je ne sais quoi, et dans je ne sais quelles conditions. Je me suis foutue dans la merde toute seule comme une grande, et je n’ai absolument rien dit à personne sur le camp, pas même à Mathias. Si je survis à la suite, c’est lui qui me tuera pour ces secrets qu’il déteste.

Le Viking se gare finalement devant une église magnifique entourée de bois, dans un petit village qui semble protégé si j’en crois le barrage que nous avons dû passer. Luka sort de la voiture et vient m’ouvrir, avant de m’agripper à nouveau le bras, me faisant grincer des dents et l’insulter copieusement. Je suis sûre que j’ai déjà un bleu, ce type est une vraie brute.

Nous contournons l’église et croisons quelques hommes armés avant qu’il ne soulève un feuillage sous lequel se trouvent une trappe et un escalier. Bienvenue chez les rebelles !

Le souterrain est accessible après avoir passé une large porte en ferraille, et nous croisons bon nombre de personnes sur le court trajet qui nous mène à une grande pièce qui doit servir de salle de repas, si j’en crois la quantité de tables et de chaises. Le Viking vocifère je ne sais quoi dans sa langue et toutes les personnes présentes sortent sans broncher, certains me gratifiant de regards tout sauf sympathiques, avant qu’il ne me balourde sur une chaise comme si j’étais un vulgaire sac à patates. Foutu connard, si je finis libre de mes mouvements, tu prendras certainement le premier coup.

Arthur nous a suivis en claudiquant et s’assied à côté de moi alors que des personnes entrent dans la pièce. Je reconnais l’un d’eux, qui était présent sur le camp. Erik, je crois, avant même qu’ils ne s’installent face à nous. Le Viking joue le garde du corps, posté derrière moi, et j’avoue que je regretterais presque de l’avoir cherché, alors qu’il se retrouve en position de force et pourrait me prendre par surprise sans que je sois capable de me défendre.

J’hésite à prendre la parole en premier mais me dis que ce n’est pas trop le moment de faire la maligne. Je ne baisse cependant pas les yeux et prends le temps de les dévisager alors que le silence est total dans cette pièce à la fois grande et oppressante. Moi qui déteste les espaces clos, un souterrain n’est pas l’idéal pour ma santé mentale. Une fenêtre ? Un poil d’air ? Pitié…

- Vous parlez tous français ? demande Arthur à mes côtés. Parce que, même si je comprends le Silvanien, je suis ici avec la Lieutenant. Ce que vous me dites, il faut le dire aussi pour elle. On est d’accord ? demande-t-il fièrement.

- Bien sûr que nous parlons français, nous ne sommes pas ignares, mais ça ne veut pas dire que nous avons envie de le faire. Pourquoi elle est là ? demande-t-il au Viking en continuant malgré tout en français.

- Arthur voulait l’emmener. Il dit qu’elle a des informations importantes, lâche-t-il alors que je me tourne, incrédule, vers ledit couillon qui m’a foutue dans la merde.

- On t’avait dit de la laisser à la maison de la bibliothécaire, imbécile. Tu sais pas obéir aux ordres ?

- Mais Arthur a dit…

- Et c’est qui ton chef, Luka ? Tu t’en souviens au moins ?

- Désolé, j’ai un peu abusé de sa gentillesse. Mais, comme je vous l’ai dit, je suis ici avec elle, explique le barbu à mes côtés. Grâce à elle. Alors, je me sens plus rassuré si elle est là. C’est à prendre ou à laisser. Déjà que je n’ai pas eu le choix de venir…

- Laisse tomber, Arthur, marmonné-je. Vous n’avez qu’à me ramener là où vous comptiez me laisser en rompant notre accord, vous pouvez bien faire ce que vous voulez de vos vies, je m’en moque.

- Oh la la… La Lady fait son caprice. Vous connaissez notre camp, aucune chance pour que vous en sortiez !

- C’est pas Lady, c’est Petite Poupée, grommelle le Viking derrière moi.

- Il y a une épreuve aux JO pour les surnoms pourris ? Parce qu’entre vous et le molosse derrière moi, vous devriez concourir, me moqué-je. Je ne fais pas un caprice, je veux que notre accord soit respecté.

- La Gitane a changé d’avis. Elle pense que c’était pas une bonne idée de te laisser, alors on ne te laisse pas. C’est simple à comprendre, non ?

- Je veux lui parler, à votre Gitane. Vous allez avoir des problèmes si vous me gardez, mes hommes vont me chercher partout et, croyez-moi, ils me retrouveront.

- Ahah ! Tes hommes n’osent même pas aller de l’autre côté de la rue ! Et ils vont devoir attendre un ordre de l’ONU. On a le temps de faire le tour du monde avec toi avant qu’ils ne bougent ! Elle est marrante, ta copine, Arthur, je comprends pourquoi tu l’as emmenée avec toi.

- Vous êtes qui ? répond-il froidement. On se connait ? Pourquoi tout le monde veut me faire prisonnier ? On fait quoi, là ? On discute, on prend un verre et c’est tout ?

- Oh mon petit Arthur, c’est comme ça qu’on parle à ses amis ? On dirait pas que tu as grandi avec certains d’entre nous, dis-donc. C’est La Miss Raleuse qui t’a transformé comme ça ?

Tout à coup, Arthur se lève, se retourne et vient s’emparer du fusil qu’a laissé traîner le Viking à côté de nous. Sans un mot, il le pointe vers les trois hommes qui nous ont accueillis.

- Bon, on arrête les bêtises, maintenant. Vous me dites ce que vous tramez, vous me donnez les clés du pick up, et on se casse. Je me fais bien comprendre ?

- Tu vises les mauvaises personnes, Arthur, lui dit calmement l’un d’eux. C’est l’armée silvanienne qu’il faut viser, et donc l’armée française puisqu’ils fonctionnent ensemble, main dans la main. De bons petits soldats.

- L’armée française est là pour l’ONU. Pas avec l’armée silvanienne, dit-il d’une toute petite voix car il doit repenser à ce qu’a fait le Colonel.

Je constate qu’il n’a même pas armé le fusil et me dis que les rebelles ont dû s'en rendre compte aussi car aucun ne fait un geste pour l’empêcher de les viser.

- Écoutez, soupiré-je en me redressant sur ma chaise. Erik, vous savez comment je fonctionne, ce que j’ai fait sur le camp. Est-ce qu’à un seul moment j’ai merdé ? Bon sang, je vous ai laissés partir ! Nous ne sommes là qu’en soutien des réfugiés, avec l’ONU, Arthur a raison ! Qu’est-ce que mes hommes et moi avons fait hormis recueillir des réfugiés, les nourrir, les héberger, les protéger ? Tout ceci est du grand n’importe quoi !

- La Gitane sait tout, Jolie Femme, même les entretiens qu’ont vos chefs avec le Gouvernement. Si on n’était pas intervenu, il serait où Arthur, hein ? Vous êtes vraiment si neutres que ça ? tonne le chef qui ne s’est toujours pas présenté.

- Sans vous, hein ? Et sans moi, il serait où, votre cher Arthur ? Vous saviez quand le transfert aurait lieu ? Le trajet emprunté par le convoi peut-être ? Je vous ai tendu une embuscade ? Arrêtez deux minutes de parler pour ne rien dire et utilisez vos cerveaux, merde ! Je ne suis pas responsable de ce que font mes supérieurs, je vous signale que je suis allée à l’encontre des ordres que j’avais reçus en vous contactant !

Les trois chefs explosent de rire alors que Luka attrape le fusil d’Arthur, trop surpris pour l’en empêcher. Avec un allié comme lui, on n’est pas sauvé. J’espère qu’il est meilleur gestionnaire que militaire.

Je me lève, bien plus calmement que je ne le suis en réalité, et me retrouve immédiatement avec le canon du fusil dans le dos alors que le déclic de la sécurité se fait entendre.

- Bon, décidez-vous, soupiré-je. Tuez-moi, enfermez-moi, faites quelque chose, parce que je n’ai rien à vous dire et que ça me gonfle de parler avec des gens aussi aveugles et incapables de bon sens.

- La Baronne s'ennuie ! Si Madame veut bien patienter encore un peu, on va l’emmener voir la Gitane. Je suis sûr que vous aurez plein de choses à vous raconter !

- On va voir la Gitane ? demande Arthur qui s’est rassis quand je me suis levée, dans un ballet que l’on dirait coordonné. Mais pourquoi on ne me laisse pas tranquille ?

- Arrête de te plaindre, bougonné-je. C’est moi qui suis menottée je te rappelle. Et, au moins, tu auras toutes les réponses à tes questions.

Et c’est peu dire. Je ne suis pas sûre qu’Arthur ait conscience de ce qu’il s’apprête à vivre. Puisqu’il dit ne rien avoir à faire avec les rebelles, il ne doit pas être au courant de ce que représente la Gitane. J’espère qu’il a les épaules solides, le Bûcheron, parce qu’il risque de se prendre une sacrée claque. J’ai hâte de voir ça.

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