38. En attendant la Gitane
Arthur
Je ne comprends rien à ce qui m’arrive. J’ai l’impression que tout le monde sait plein de choses que j’ignore et ça m’énerve au plus haut point. Pourquoi suis-je au centre de toutes ces attentions alors que la seule dont je voudrais vraiment, c’est celle de Julia qui a l’air plus en colère contre moi qu’autre chose ? J’en ai rien à faire de cette Gitane. Moi, ce que je souhaite, c’est retourner au camp de réfugiés, gérer les approvisionnements, m’occuper de la petite Lila. Tout le reste est sans importance.
Je suis là, assis dans cette grande salle souterraine qui doit se trouver sous la nef, vu la forme de la pièce. Alors que les rires retentissent dans la pièce et que Julia fait la tête de son côté, je ne peux m’empêcher de me dire que ces gars sont dingues. Qui est assez fou pour creuser autant de pièces sous terre et, en plus, les faire sur le même plan que ce qu’il y a au-dessus ? Ils ne pouvaient pas juste faire des pièces rectangulaires ou carrées normales ?
Je me lève et personne ne m’arrête. Je ne suis même pas surpris.
- Tu as vu comme tu étais pathétique avec ton fusil à la main ? Heureusement que le ridicule ne tue pas, sinon, tu n’aurais pas survécu longtemps dans cette guerre ! Pas étonnant que tu ne leur fasses pas peur, Tutur.
Je m’approche de Luka qui est toujours de garde derrière Julia. Les autres ont tous repris leurs occupations et la pièce est désormais pleine de vie, avec des hommes, des femmes, mais aussi des enfants qui sont tous très occupés.
- Eh, frérot, maintenant qu’on a vu les chefs, tu peux détacher la militaire, non ? Et puis, ici, avec vous tous présents, elle ne peut pas s'enfuir de toute façon. Tu me fais plaisir et je te promets qu’elle ne tentera rien.
- J’ai pas d’ordre pour la relâcher.
- Allez, fais pas ton gros bêta, montre que tu es intelligent et sois un minimum autonome, bordel ! Regarde, ce qu’on fait, c’est que tu me donnes la clé et tu me confies la prisonnière. Comme ça, tu n’en es plus responsable et hop, tu peux aller faire ton vrai boulot. On fait ça, frérot ?
- Ouais, bonne idée.
Il est vraiment pas malin, le cousin, mais bon, ça m’arrange. Et dire que je ne me souviens même pas de lui ! Si ça se trouve, on n’est même pas de la même famille ! Il me tend la clé et s’en va avec un sourire. Mon esprit tordu et pervers hésite un instant à laisser les entraves sur les poignets de la jolie femme qui est toujours aussi fermée au monde extérieur, la tête renversée en arrière, le regard au plafond, mais la raison l’emporte, sans même que la petite voix n’intervienne. Je lui défais donc les menottes et elle me regarde, surprise.
- Tu veux aller faire un tour ? Qu’on sache un peu où on se trouve. Il y a trop de rebelles pour s’enfuir, mais au moins, on peut explorer un peu, tu ne crois pas ?
- Aller faire un tour ? Tu crois qu’on va pouvoir aller loin comme ça ? J’ai un uniforme militaire, j’imagine qu’au moins les deux tiers vont vouloir me buter en me voyant sans liens.
- Ouais, ben t’as pas l’air dangereuse, et vu comment tout le monde me parle, ils vont penser qu’on a le droit de faire ce qu’on veut. Qu’on profite un peu de mon statut, même si je sais pas pourquoi ils me traitent comme ça !
- Tu devrais bientôt tout comprendre, soupire Julia en se levant tout en massant ses poignets. Ton cousin est un débile profond, si tu veux mon avis.
- J’ai quoi à comprendre ? Je crois que la débilité règne dans la famille, si tu veux mon avis. Je suis complètement à l’Ouest depuis mon arrestation.
- Tu n’es donc vraiment au courant de rien ? me demande-t-elle après m’avoir observé durant un moment. C’est fou…
- S’il te plaît, arrête avec les questions et les devinettes. J’en ai ma claque de tout ça. Tu veux que je sois au courant de quoi ?
- Ce n’est pas à moi de te dire les choses, Arthur. Tu vas bientôt tout comprendre puisque nous allons voir la Gitane.
- Ouais, c’est ça. Arthur est trop con pour comprendre les choses, m’emporté-je en haussant légèrement la voix.
- Arthur, soupire-t-elle en prenant mes mains dans les siennes. Ce n’est absolument pas ce que j’ai dit. Je t’assure que je suis tombée sur le cul en faisant les liens. Je ne crois vraiment pas que ce soit à moi de te dire ce qu’il en est, c’est tout…
Me voilà complètement perdu aussi dans ce que je vais faire tout de suite. J’allais partir, mais maintenant que mes mains sont dans les siennes, mon corps tout entier s’est arrêté de fonctionner. Je sens une douce chaleur apaisante se répandre depuis le bout de mes doigts jusque dans le reste de mon être. Cette femme me fait un effet incroyable. J’étais au bord de l’explosion et me voilà redevenu apaisé comme après une séance de yoga.
- Ben je sais pas qui va me le dire, mais là, je te jure, je suis prêt à tout envoyer en l’air devant cette absence de réponse. Bref, viens, on va aller voir un peu où ils ont installé le camp en attendant que leur Gourou au féminin ne se décide à nous accorder un entretien.
- Attends, dit-elle en glissant ses mains dans mon dos et en m’enlaçant, nichant son nez dans mon cou avant de reprendre en murmurant. Je suis contente que tu ne sois pas en prison, aux mains du Gouvernement...
- Oui, finalement, cette aventure a du bon. Ici tout le monde s’en fout si je fais ça.
Et je me penche vers elle pour l’embrasser et profiter de ses bras qui m’enlacent et répondent à mon étreinte. Nos bouches se retrouvent avec un plaisir non dissimulé et elle s’abandonne totalement au baiser que nous échangeons et que nous faisons durer plus que de raison.
- Les chambres, c’est sur le côté, là-bas, nous glisse Erik, visiblement amusé de la situation. Vous cachiez bien votre jeu au camp, dites-donc !
- Vous aussi, vous cachiez bien votre jeu, Erik, bougonne Julia en me relâchant.
Je la sens qui s’éloigne à regret et me dis que je suis bien un des seuls qui ne cache pas grand-chose ici.
- A part tes sentiments pour Julia, non ? C’est plus qu’une simple collègue et tu es bien content qu’elle soit ici avec toi. Avoue-le que tu es ravi qu’ils l’aient emmenée avec toi !
Oui, bien, il faudrait être fou pour ne pas être ravi de pouvoir passer du temps avec une femme comme Julia.
- Tu te parles à toi-même, c’est pas fou, ça ?
Je fais un signe de tête à Erik avant de le laisser sur place, en entraînant derrière moi la jolie militaire. Ma jambe est un peu douloureuse des dernières heures où elle a été malmenée, mais je suis content de constater que la béquille n’est plus vraiment nécessaire. Heureusement, parce que, de toute façon, elle est restée dans le camion de l’armée.
Nous remontons l’escalier et, comme je l’avais prédit, personne ne nous arrête. Nous nous retrouvons rapidement à l’air libre et nous admirons le lieu, main dans la main. L’église se dresse fièrement derrière nous. Le soleil couchant dessine l’ombre du clocher sur le sol et le vent frais de cette fin d’après-midi nous rafraîchit. Julia se serre contre moi et nous regardons tous ces rebelles réunis au même endroit.
- C’est un peu dangereux de réunir tous ces gens au même endroit, tu ne trouves pas ? lui demandé-je.
- Tout semble très sécurisé… On a passé plusieurs guetteurs sur le trajet. Ils doivent avoir placé du monde partout où il est possible d'accéder au coin.
- Oui, mais un bombardement bien ciblé et boum, plus de rébellion. Tout ça pour être près de la Gitane, c’est fou, non ?
- Espérons qu'il n'y aura aucun bombardement tant qu'on y sera… Mais je crois que les rebelles ont le bras long. C'est complètement dingue oui, j'ai hâte de la rencontrer, cette femme. Pour être au-dessus de tous ces mecs, elle doit vraiment être badass, rit Julia.
- Ouais, ou alors c’est une vieille sorcière toute ridée qui a un nez crochu et vole sur un balai… Qui sait ? Je me demande si on va la rencontrer, la vieille peau.
- Ne parle pas comme ça voyons, me gronde-t-elle, un peu de respect ! Moi je vote pour une badass.
- Je ne peux pas respecter quelqu’un qui met son pays dans une merde pareille. Elle pouvait pas se présenter aux élections, plutôt ? Enfin, je suis naïf, moi, sûrement. Mais si on se retrouve tous les deux ici, c’est quand même à cause d’elle !
- Elle est recherchée et menacée de mort depuis des années, Arthur, si elle se montre, elle ne passe sans doute pas la journée….
Julia doit avoir raison. En tous cas, on va bientôt savoir qui s’est rapproché de la vérité, si c’est elle quand elle voit la Gitane comme une super héroïne, ou si c’est moi qui l’imagine en sorcière crainte et respectée pour sa diablerie. Alors que nous allions pénétrer au sein de l’Eglise, Luka m’interpelle.
- Et frérot, on a prévenu la Gitane et elle a dit qu’elle allait te recevoir.
- Ah oui ? Quand ?
- Eh bien, maintenant. Sinon après, c’est trop tard.
- Ah oui, c’est sûr que vu comme ça, souris-je. Julia, c’est l’heure. On va aller rencontrer la Gitane !
- Non, toi. Pas elle.
- Écoute Frérot, si tu n’as pas encore compris, je te réexplique. Elle et moi, on fait tout ensemble. Alors où je vais, elle va. Et comme je vais voir la Gitane, elle vient. Aussi simple que ça, tu dois comprendre, non ?
- Oui, frérot, j’ai compris ! On va voir la Gitane, alors !
Je me tourne vers Julia qui me sourit et me serre la main. J’angoisse un peu à l’idée de voir la mythique cheffe des rebelles et elle doit le sentir car elle se penche vers moi et dépose un baiser sur mes lèvres. Baiser bien trop court et qui, comme à chaque fois, me donne envie de plus. Mais là, clairement, on n’a pas le temps. Je vais peut-être enfin obtenir les réponses à toutes ces questions que je me pose. Qu’est-ce que je fiche ici ? Pourquoi est-ce que le Gouvernement me voulait enfermé ? Et pourquoi diable les rebelles se sont-ils alliés à une militaire pour me sauver la peau ? Moi qui suis parti il y a si longtemps de la Silvanie, pourquoi ai-je l’impression aujourd’hui que mon destin est bien plus lié à ce pays que ce que j’imaginais ? J’ai besoin d’être éclairé et j’espère vraiment que cette Gitane sera plus causante que Luka, Eric, et Julia et ses énigmes ?
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