52. La Gitane au cœur des visios

11 minutes de lecture

Arthur

Encore un regard entre les deux. On dirait qu’ils n’ont pas eu assez de temps ensemble ! Fais chier, et moi qui croyais que quelque chose était possible entre elle et moi. Je n’ai vraiment été qu’un amusement pour elle. Et en plus, il faudrait que je coopère avec l’armée et ce Colonel qui ne pense qu’à assurer ses arrières ? Faut pas exagérer non plus !

- Et puis, s’il voulait que tu fermes ta gueule, il n’avait qu’à te garder en prison. Tu ne vas pas non plus être gentil pour un mec qui t’a fait enfermer et qui veut maintenant faire croire que tout ça est arrivé parce que tu étais imprudent quand même !

En tous cas, il vient de poser une question à laquelle nous n’avons pas réfléchi. Qu’est-ce qui pourrait motiver toutes ces poursuites à mon encontre ? Rien de rationnel. J’aurais pu proposer une réponse, mais je n’ai juste pas envie d’aider Julia en ce moment et je la laisse donc imaginer une réponse qui fera plaisir au Colonel.

- Arthur a appris à ses dépends que la Gitane n’était autre que sa mère, Colonel. Ce qui explique pourquoi le Gouvernement tient tant à le récupérer. Ils pourraient sans doute chercher à négocier avec elle en échange de sa liberté, lâche Julia comme si elle parlait de la pluie et du beau temps.

- LA Gitane ? demande le Colonel aussi interloqué que moi devant la révélation faite par Julia.

Je claque l’ordinateur pour le refermer tout de suite, coupant ainsi la communication, et regarde la Lieutenant sans comprendre ce qu’elle vient de faire.

- Tu fais quoi, là ? Tu veux me faire renvoyer en France pour profiter de ton sergent, c’est ça ? dis-je alors que Snow se redresse, prêt à bondir si je me fais trop menaçant envers sa cheffe.

- Bien sûr, Arthur ! D’ailleurs, je ne pars en mission que pour pouvoir baiser tranquillement avec Mathias ! Non mais c’est du grand n’importe quoi, là ! Tu crois quoi, sérieusement ? Il faut vraiment que tu arrêtes tes conneries, s’agace Julia en me fusillant du regard.

- Je ne sais pas pourquoi tu pars en mission, mais clairement, tu n’as plus envie que je reste avec toi dans celle-ci. Tu crois qu’il va faire quoi, le Colonel, maintenant qu’il sait qui je suis ? J’en reviens pas que tu me fasses un coup comme ça.

Je m’effondre sur ma chaise alors que Snow s’active pour rétablir la connexion. Je regarde Julia qui ne baisse pas le regard, et nous nous affrontons ainsi, silencieusement. Et dire qu’il y a quelques jours, les regards qu’on se lançait étaient plein d’envie et désir ! Mais où a-t-on dérapé ?

- Allo ? On a été coupés, je crois, crie le Colonel à la caméra comme si le fait de parler fort aidait la connexion.

- Nous sommes là, Colonel, soupire Julia en tournant les yeux vers l’ordinateur. Effectivement, Zrinkak vient d’apprendre que sa mère était à la tête de la rébellion. Je crois que c’est important que vous le sachiez, et j’espère que vous ne prendrez pas de décision à la hâte.

- Colonel, je peux prendre la parole ?

- Je vous écoute, Zrinkak. Étonnant que vous demandiez l’autorisation, me dit-il en se redressant dans son fauteuil.

Etonnant ? Non, je fais tout pour gagner du temps alors que mon cerveau carbure. J’essaie de trouver une raison, une explication, n’importe quoi pour qu’il garde ça pour lui.

- Colonel, même si génétiquement, c’est ma mère, cette femme n’est rien pour moi. Elle m’a abandonné alors que j’étais gamin, elle a fait mourir mon père de chagrin, ma soeur ne se souvient même pas de son visage. Même si ça explique l’intérêt de beaucoup de gens à mon égard, il est clair que ma libération et mon retour au camp démontrent que tout le monde s’en moque ici. Alors, s’il vous plaît, ne faites pas remonter cette situation au-delà de ce petit cercle. Sinon, c’est la fin de la mission, pour moi.

- Mon Colonel, intervient Snow à ma grande surprise. Zrinkak a raison, il fait du bon boulot au camp, et en plus, il parle Silvanien. Ce serait bête de s’en séparer et de le forcer à partir. Je suis sûr que la Lieutenant et moi, nous pouvons assurer sa sécurité, celle du camp et la nôtre sans aucun souci.

- Techniquement, ajoute Julia, c’est même un atout, je pense. Je doute que les rebelles attaquent notre camp en sachant que le fils de leur cheffe s’y trouve. Si je vous en parle, c’est par souci de transparence, je ne veux pas vous cacher les choses, Colonel. Mais ici, qu’il soit le fils de la Gitane ou celui de la Reine d’Angleterre, ça ne change rien. Snow a raison, il fait du bon travail, vraiment, et la collaboration entre nous fonctionne. N’est-ce pas, Arthur ?

- Euh, oui, on collabore bien. Et puis, maintenant qu’on sait les choses, on peut réfléchir à ce que l’on peut en tirer. Ça ouvre des perspectives, je trouve.

Mes deux comparses opinent tous les deux du chef devant le regard suspicieux du Colonel. S’il n’y avait eu que Julia qui me soutenait, je pense qu’il aurait tiqué, mais là, avec le soutien inattendu de Snow, cela change tout.

- Je vais y réfléchir, soupire le Colonel après avoir pris le temps de ménager le suspense. Je sens que ce campement va partir en sucette sous votre commandement, Vidal. C’était bien plus simple avec Mirallès, au moins je n’entendais jamais parler du camp. Écoutez, on réfléchit et on reparle de tout ça à tête reposée dans quarante-huit heures. Je viendrai sur place. Bon repos.

- Entendu Colonel, merci. A dans deux jours, lui répond Julia avant de fermer l’ordinateur et de bougonner. Tu m’étonnes que Mirallès ne faisait pas parler de lui, il était trop occupé à se branler devant ses pornos.

- Ouais, sûrement. En tous cas, merci du soutien, dis-je. Pas sûr que ça suffise, mais au moins, on aura essayé.

- Arthur, vous savez, on n’est pas là en tant qu’ennemis ni concurrents, m’interpelle Snow. Nous, notre job, c’est vous protéger. Et c’est ce qu’on fait. Et promis, je n’étais pas en train de regarder les pornos avec la Lieutenant dans sa chambre.

Il pouffe, l'œil rieur, et je préfère ne pas répondre et le regarde, méfiant. Mais la franchise que je lis dans son regard me convainc qu’il est sérieux et ne se moque pas de moi.

- Merci Snow. J’apprécie le soutien, vraiment.

- Magnifique, s’exclame Julia en se levant. On y va, Snow ? Quitte à être soupçonnés à tort, autant qu’on aille baiser, au moins on en tirera quelque chose de positif !

- Ouais, j’ai compris, dis-je en l’interrompant. Je ne vais pas m’incruster davantage et vous laisser vous retrouver. Pas envie de tenir la chandelle. Je peux juste emprunter l’ordinateur pour appeler ma sœur ? Il faut que je lui donne la nouvelle aussi. Et il vaut mieux que je fasse ça d’un ordinateur sécurisé.

Je rumine et essaie de penser à cet échange avec ma sœur plutôt qu’aux deux soldats en train de baiser. Tout plutôt que d’imaginer cette scène qui me donne des frissons de dégoût.

- Tu peux utiliser l’ordinateur, mais il reste ici. Ramène-le moi quand tu auras fini. Et arrête de te faire des films, bordel, soupire Julia en déverrouillant le portable.

- OK, je reste ici, mais soyez discrets, s’il vous plaît. Que ma sœur me croie un peu quand je lui dirai que c’est la guerre et pas un bordel, ici.

- Arthur ! Arrêtez donc vos bêtises, intervient Snow qui a sûrement pitié de moi. Il n’y a rien entre la Lieutenant et moi. Juste une vraie amitié due à toutes ces années à se battre ensemble. Elle vous charrie. Je vais d’ailleurs vous laisser et continuer à m’occuper du camp le temps que vous vous reposiez. Julia, dès demain, tu reprends le contrôle de tout ici, alors on arrête les bêtises avec le civil. Il faut qu’il recharge ses batteries aussi !

- Oui, Chef, se moque Julia avant de se pencher à mon oreille. Bonne conversation avec ta sœur, Arthur. Et, tu sais, jamais je ne ferais l’amour avec quelqu’un si près d’un autre, je ne suis pas du genre silencieuse, à moins qu’on ne soit pas bien doué… Je vais aller dormir. Repose-toi bien.

Je la regarde faire une bise amicale à Snow qui s’en va, tout guilleret avant qu’elle ne se dirige vers sa chambre, me laissant seul devant l’ordinateur à me demander comment je vais annoncer les choses à Sylvia. J’ai aussi en tête ce qu’elle vient de me dire, et vu les gémissements qu’elle a poussés quand nous avons fait l’amour chez ma mère, j’avoue que je suis un peu flatté. Je ne suis pas si maladroit que ça, finalement.

Je soupire car ce n’est pas là de recommencer et reviens à l’ordinateur où je lance une invitation pour une visio avec ma sœur. Je n’ai pas beaucoup échangé avec elle depuis que je suis arrivé, et je ne sais pas comment lui annoncer les choses.

- Coucou Sylvia ! Comment ça va ?

- Oh Arti ! Je ne m’attendais pas à ce que tu m’appelles ! Attends deux secondes, je dépose Minimoi dans son lit et je suis toute à toi.

Je la vois à la caméra déposer Juliette, sa fille, dans son petit lit avant de revenir vers sa tablette et s’installer dans son canapé, son mari Marc à ses côtés en train de regarder la télé.

- Comment ça va, grand frère ? Tu as une petite mine dis-donc !

- Ouais, il m’est arrivé un truc encore, tu ne vas pas y croire ! Pas étonnant que je sois fatigué.

- Dis-moi tout. Rien de grave j'espère ?

- De grave ? Non, du tout, au contraire. Enfin, l’armée française m’a arrêté et puis, quand ils ont voulu me remettre aux autorités gouvernementales, les rebelles ont attaqué le convoi, je me suis retrouvé prisonnier et je viens de revenir au camp après leur avoir échappé. Tu vois, rien de grave.

Je m’amuse de voir sa tête suite à cette tirade sur mon aventure chez les rebelles. Elle passe par toutes les émotions : l’incrédulité, la surprise, la peur, le soulagement. C’est marrant de la voir faire et de lire sur son visage comme dans un livre ouvert à la page du roman d’aventure qu’est devenue ma vie.

- Et donc tu appelles ça "rien de grave" ? Il te faut quoi, torture et membres coupés pour que ce soit grave ?

- Ah là, oui, ce serait grave, en effet ! Non, mais en fait, je ne t’ai pas tout dit, Sylvia, ajouté-je en réfléchissant un peu à mes mots.

- Tu as été torturé ? Arthur, soupire ma sœur, bien plus sérieuse que moi, je déteste te savoir si loin de la maison, ne me fous pas la trouille, dis-moi tout…

- Sylvia, quand j’étais chez les Rebelles, c’est leur cheffe qui nous a accueillis, Julia et moi. Une vieille femme que tout le monde appelle La Gitane. Et en fait… Je connaissais cette femme. Tu sais, de notre vie d’avant. Tu t’en souviens un peu ou pas du tout ?

- Je ne me souviens de rien, non… J’étais trop petite. Pourquoi ? Et c’est qui, Julia ?

- Julia, c’est la Lieutenant qui gère le camp. C’est elle qui gérait mon transfert… Et qui s’est arrangée pour que les rebelles nous interceptent. Tu arrives à suivre ?

- Absolument pas, rit-elle. Tu veux dire que la nana gère le camp, donc est de l’armée française, mais qu’elle a magouillé avec les rebelles ? Bon sang, Arthur, on se croirait dans un film de guerre à l’américaine, là !

- Oui, je sais. C’est fou. Eh bien cette nana n’a pas fait ça pour rien. Elle voulait absolument éviter que je tombe entre les mains du Gouvernement, sinon tu n’aurais plus jamais entendu parler de moi, qui sait ?

- Arrête de tourner autour du pot, Arthur, c’est qui cette femme que tu connaissais alors ?

Je prends une grande inspiration et je l’observe un court instant sur son canapé, dans sa petite vie si loin de ma réalité, de mon quotidien, si loin de ce pays qui nous a vus naître tous les deux. Elle a le droit à la vérité et, comme elle dit, j’ai assez tourné autour du pot, ce qui ne me ressemble pas.

- La Gitane, quand je l’ai rencontrée, je l’ai tout de suite reconnue. Et l’impossible est devenu possible. La Gitane, c’est Maman.

- La Gitane c’est… Maman ? C’est pas drôle Arthur, tu peux arrêter cinq minutes de blaguer ? C’est épuisant à force ! Et absolument pas drôle.

- Sylvia, ce n’est pas une blague. Je sais que je suis con, mais à ce point-là ? Ce serait juste malsain… Non, c’est vraiment Maman. Elle a disparu toutes ces années pour rejoindre la rébellion silvanienne. Tu te rends compte ?

- Mais… Comment c’est possible ? Comment… Enfin, Arthur, tu dois te tromper ! Comment elle aurait pu faire ça ? Abandonner ses enfants pour ça ? C’est impossible enfin ! me répond-elle, incrédule.

- J’ai pas compris pourquoi. Je pense que je ne comprendrai jamais pourquoi. Elle ne regrette même pas vraiment. Si tu veux vraiment savoir, j’ai ses contacts, on pourra s’organiser une visio à trois. Ou juste toi et elle si tu préfères.

- Pour quoi faire ? Je n’ai aucun souvenir d’elle… Je n’ai jamais eu de mère, moi.

- Parce qu’elle aimerait bien parler à sa fille. S’expliquer peut-être. Et puis, tes enfants, ils ont le droit de connaître leur grand-mère, non ? De découvrir quelle héroïne elle est. Ici, la Gitane, c’est comme la Reine Victoria. Tout le monde la vénère.

- Ah oui, et on fait quoi, on discute avec la cheffe des rebelles et elle se fait descendre alors qu’on s’attache ? Non merci, soupire Sylvia.

- Écoute, je sais que c’est un peu violent comme annonce, mais réfléchis-y. Je vais te laisser. Embrasse Juliette de ma part. On se rappelle vite. Pas un mot sur un autre canal que celui-là. Si le Gouvernement apprend des choses sur elle à cause de nous, on risque de la mettre en danger. Et nous aussi. D’accord ?

- Très bien… On dirait un mauvais James Bond, c’est flippant Arthur.

- T’inquiète, Julia gère le camp d’une main de maître, je suis en sécurité ici !

- Une femme aux commandes, hein ? J’adore ! Elle est canon au moins ? Ou c’est une vieille mégère ?

- Disons qu’elle a tout ce qu’il faut où il faut. J’ai peut-être un peu dérapé avec elle en plus, dis-je en parlant tout bas en regardant la porte de sa chambre.

- Un peu dérapé ? me demande mon beau-frère qui semble s’intéresser à la conversation plus qu’il ne le laissait paraître. Tu te trouves une nana à la guerre toi, bravo !

- Marc, ta gueule, ris-je. Je baise qui je veux, non mais ! Bon allez, je vous laisse. Bonne fin de journée. Et sister, n’oublie pas de réfléchir à Maman… Appelle-moi quand tu veux si tu souhaites en parler. Jour ou nuit ! A plus !

- Ouais, je vais y réfléchir. Fais attention à toi, Arti, et dis à cette Julia que s’il t’arrive quelque chose, je la maudis sur dix générations ! Qu’elle prenne soin de toi !

- Dacodac ! Allez bisous ! Bye !

Je raccroche et reste quelques instants devant l’écran noir avant de refermer l’application. Je ne sais pas si Julia va vouloir prendre soin de moi. Pas maintenant que la parenthèse est refermée, si ?

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0