56. Tirer un coup
Arthur
Du haut de la plateforme dans ce petit aéroport militaire, j’observe le gros charter atterrir et se garer près de l’entrepôt. Avec une précision qui m’impressionne toujours autant vu la taille de ces avions, il s’arrête juste au bon endroit. Ces pilotes doivent se marrer quand ils voient des gens galérer à faire un créneau avec leur petite citadine ! Justine est en train de faire un live Instagram pour documenter l’événement et je fais attention à ne pas apparaître dessus. C’est elle, l’image de la mission à l’étranger, et ça me convient tout à fait. Il vaut mieux une petite brune mignonne qu’un barbu mal fagotté. C’est plus vendeur.
Je jette un œil à Snow qui la dévore du regard. Depuis la petite remarque de la jeune femme en réunion sur ses capacités sexuelles, je crois qu’ils se sont fait plaisir à de nombreuses reprises, ces deux-là. Et ils ne sont vraiment pas discrets, d'ailleurs. Je les ai surpris un matin dans un coin du réfectoire alors que Justine se tenait debout, les mains contre le mur, les fesses à l’air et Snow, le treillis sur les chevilles, derrière elle. Je n’ai pas osé les déranger mais je me suis permis de faire une remarque à Justine dans la journée en lui disant qu’elle abusait. La jeune femme s’est contentée de hausser les épaules et de me dire qu’il fallait que je me décoince un peu et que moi aussi je profite de la vie.
Tout en observant les militaires qui déchargent l’avion, je me demande combien il va falloir de camions pour transporter ces cent sapins cellophanés. Quel gâchis quand même. Si j’en crois la note qui m’a été transmise, ce sont des sapins norvégiens, importés en France et ensuite envoyés ici en Silvanie. Quel est le con qui a eu cette idée, franchement ?
Le ballet de la petite camionnette qui transporte les sapins de l’avion à l'entrepôt où on va pouvoir les récupérer est un peu hypnotisant et cela me permet de laisser vagabonder mes pensées. Celles-ci vont bien entendu vers Julia qui me manque énormément même si on se voit chaque jour. Ce qui me manque et à quoi je pense chaque jour, c’est la complicité que nous avons partagée pendant ces quelques jours chez les rebelles. Ces moments intenses que nous avons pu apprécier. Ma mère, que j’ai parfois au téléphone, m’a dit que j’étais un idiot de ne pas insister auprès d’elle, que c’était clair qu’elle avait autant envie que moi. Mais je n’en suis pas si sûr. J’ai même l’impression qu’elle est jalouse de Snow qui se tape ma collègue et que c’est lui qu’elle préfère. A part quelques petits regards un peu troublés, j’ai vraiment le sentiment de n’avoir été qu’un plan cul pour soulager ses hormones. J’en reviens toujours pas de sa capacité à avoir fermé la parenthèse comme ça.
- Arthur, je vous laisse quelques instants, j’ai… des collègues à voir.
Je le regarde s’éloigner, intrigué. Pendant un instant, je me demande ce qu’il cache et pourquoi il est parti, puis je remarque que Justine aussi s’est absentée.
- Tu sais ce qu’ils sont partis faire, tous les deux pendant que toi tu restes là, comme un con, tout ça parce que tu ne veux pas te battre un minimum pour tenter quelque chose avec Julia.
Me battre… J’en ai à la fois envie car je ne supporte que difficilement d’être proche d’elle sans pouvoir en profiter, mais je sais aussi que ce n’est pas une bonne idée. Ce que Snow est en train de faire, si c’était Julia à sa place, ce serait horrible si ça venait à se savoir alors que lui peut tout se permettre. Alors que je les imagine tous les deux en train de se faire plaisir, mon cerveau un peu perturbé remplace les images de leurs corps par celui de Julia et du mien. Mes mains qui se posent sur ses hanches, ses fesses qui viennent à la rencontre de mon bassin, ses gémissements qui me rendent fou.
- Monsieur Zrinkak ?
Je sors brutalement de ma rêverie et, l’espace d’un instant, j’espère que je ne me suis pas laissé aller à me masturber en public et je suis rassuré quand je vois que je n’ai pas bougé de mon poste d’observation. Je jette un coup d'œil discret vers mon érection et constate avec soulagement qu’elle est bien dissimulée sous mes vêtements avant de me retourner vers le soldat qui m’a interpelé.
- Oui ?
- Il faudrait signer ce bon de livraison pour les cent sapins, les quarante paquets avec les décorations et les colis pour les réfugiés.
Je soupire et le retour à la réalité est brutal et malvenu. Je signe le bon et pars à la recherche de mes deux acolytes du jour que je retrouve au rez-de-chaussée. Justine a les joues un peu rouges mais semble avoir repris ses esprits. Snow par contre…
- Sergent, il faudrait réajuster le pantalon de votre treillis, j’ai l’impression que vous n’avez pas tout refermé, le provoqué-je gentiment.
Je le vois rougir et se dépêcher de tout remettre en ordre dans sa tenue. J’espère qu’il va reprendre ses esprits car c’est lui le responsable du convoi.
- Vu votre humeur depuis votre retour de détention, je doute que vous ayez l’occasion de vous rajuster, Zrinkak, vous m’en voyez désolé, me rétorque-t-il, moqueur.
- Mon humeur ? Qu’est-ce qu’elle a mon humeur ? l’attaqué-je un peu brusquement avant de me reprendre et de sourire. Oui, je vois. Désolé, Sergent. Mais revenons à notre livraison. On peut rentrer ? Tout est en ordre ?
- Bien sûr, on va y aller dès que tout sera prêt, dit-il, absolument pas aux faits de ce qu’il s’est passé pendant qu’il fricotait. Quant à votre humeur… Elle est similaire à celle d’une autre. Enfin bon, je dis ça, je dis rien, moi.
- Alors, taisez-vous, ça vaut mieux, ou je dis à cette autre comment vous occupez votre temps quand vous supervisez une opération militaire.
- Vous me menacez, le Bûcheron ? s’esclaffe-t-il. Faites gaffe, je vous signale que je peux intervenir en votre faveur auprès de vous-savez-qui, ou au contraire, appuyer son choix… Attention à ce que vous dites, d’autant plus qu’elle sait déjà comment je suis.
Je fais le choix de ne pas lui répondre et m’adresse à Justine qui se contente de sourire en écoutant nos échanges.
- Tu as tout ce qu’il te faut pour tes articles et la communication ? On peut y aller ?
- Oui, tout est fait. On peut rentrer ! J’ai hâte de voir tout installé, ça va être magnifique !
Snow se remet enfin vraiment au travail et supervise les derniers détails jusqu’à ce que nous reprenions le chemin du camp. Comme à chaque fois, j’observe le paysage et apprécie à sa juste valeur la beauté de ces montagnes dont le sommet est déjà bien recouvert de neige. J’essaie de faire comme si je ne voyais pas les mains baladeuses du sergent sur les cuisses de sa partenaire de jeu, mais leurs petits sourires me donnent trop envie de prendre leur place. Il faut vraiment que j’arrête et que je me calme, parce que là, ça vire à l’obsession.
Lorsque le convoi s’introduit dans le camp, tout le monde s’amasse autour pour voir ces fameux sapins dont on parle tant. J’aperçois Julia qui sort du bâtiment emmitouflée dans un gros manteau de l’armée, mais elle se détourne rapidement de l’agitation pour retourner dans ses quartiers. Je soupire car j’espérais qu’elle vienne nous aider à la gestion du déchargement et à l’installation des sapins, mais je n’aurai pas la chance de passer ce temps avec elle.
Je sors mon plan avec l’implantation prévue des sapins et je commence à diriger les soldats mêlés aux réfugiés qui déchargent les arbres. C'est un bordel sans nom et les cris fusent dans les deux langues.
- Non, pas par là ! Il faut mettre les caisses dans l'étable pour le moment !
Je tente de retenir le soldat qui part dans la mauvaise direction, mais un autre me bouscule. Personne ne m'écoute et cela fait monter la colère et la frustration en moi.
- Ouais, Tutur, il n'y en a pas un qui te respecte là. Impose-toi ! Fais-leur voir qui tu es !
Énervé par tout ce désordre et sûrement motivé aussi par la frustration d'avoir été un peu abandonné par Julia, je bondis sur la plateforme du camion, attrape le pistolet de Snow trop occupé à mater les fesses de Justine pour réagir et je tire un coup de feu en l'air. Tout le monde se fige instantanément et le silence se fait de manière brutale. Tous les regards convergent vers moi alors que je baisse mon arme. Le sentiment de pouvoir que cet instant me procure est grisant. Je profite un peu de mon effet avant de m'adresser aux personnes présentes d'abord en français.
- Soldats ! De l'ordre s'il vous plaît ! On dirait un troupeau de moutons qui court effrayé à cause d'un simple aboiement de chien ! Vous allez m'écouter et faire comme je vous le demande, où le prochain coup de feu sera pour vos fesses !
Et je poursuis en Silvanien pour mes compatriotes.
- Et vous, on dirait que vous n'avez jamais vu un sapin ! Calmez-vous et je vous assure que vous aurez chacun un de ces putains d'arbres ! On pourra même en mettre deux si vous êtes en manque de verdure ! Alors, on fait ce que je dis, ok ?
Et là, dans le silence qui s'est installé, la petite voix de Lila se fait entendre.
- Oui Arthur ! Ok !
Tout le monde, soldats comme réfugiés, éclate alors de rire devant la force et la détermination de ce petit cri du cœur si passionné, faisant ainsi redescendre la tension que j'ai instaurée malgré moi.
- Allez, de l'ordre, je veux une file de ce côté là et une autre par ici. Deux adultes par arbre et vous les déposez où je vous dis, pas ailleurs !
A ma grande surprise, tout le monde s'exécute et je rends le pistolet à Snow qui s'en empare un peu brusquement, en colère d'avoir été pris à défaut comme ça. Mon plan à la main, j'oriente les sapins vers leur destination et l'organisation est désormais fluide et efficace.
Entre deux colis déchargés, je jette un œil au bâtiment principal et constate que mon coup de feu (coup de folie oui !) a au moins eu le mérite d'attirer l'attention de Julia. Elle est à sa fenêtre et nos regards se croisent. Je ne vois que sa tête et son sourire avant de constater qu'elle me mime un petit bravo en tapant des mains.
Je lui souris et lui fais un signe de la main alors que ses bras disparaissent de ma vue. J'hallucine quand elle se lèche sensuellement les lèvres avant de porter un de ses doigts à sa bouche pour le sucer furtivement. Je cligne des yeux pour m'éclaircir les idées et quand je les rouvre, elle a déjà refermé la fenêtre.
Je termine l'opération avec Lila qui s'est installée à mes côtés. Elle m'aide en cochant les endroits où les sapins sont emmenés. Elle semble ravie d'être responsable de cette tâche et elle fait ses croix de manière un peu malhabile mais très fière. Cette petite est vraiment trop mignonne et je m'y attache de plus en plus.
Je profite du côté un peu mécanique de la répartition des arbres pour me repasser la scène de Julia qui suce sensuellement son doigt. Je m'imagine tel un Roméo s'adressant à sa Juliette.
- J'espère pour toi, Tutur, que cette histoire ne finira pas avec vos deux corps sans vie après une histoire d'amour impossible.
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