61. Speed Dating ?

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Julia

- Julia, le Colonel est là.

Je lève les yeux de mon rapport, surprise, et fronce les sourcils en tentant de deviner si Mathias me fait une blague ou pas. Il n’y a aucune visite de prévue, je ne comprends pas pourquoi le Colonel débarquerait.

- Qu’est-ce qu’il fait là ?

- Visite surprise. Il paraît que le camp est magnifique et qu’il veut vérifier que tout se passe bien pour Noël.

- Arrête de te foutre de moi, bougonné-je en remettant le nez dans le rapport de la dernière mission extérieure de mon Sergent blagueur. C’est bardé de fautes, tu avais le droit à une gâterie pendant que tu écrivais ou quoi ?

- Qui fait des gâteries pendant que le Sergent fait son rapport ?

Merde, merde et re-merde. Je bondis de ma chaise et me mets au garde à vous en entendant la voix du Colonel, dont les yeux rieurs font redescendre ma pression sanguine en quelques secondes.

- Certainement pas moi, mon Colonel. Bonjour, veuillez m’excuser, je ne pensais pas que lorsque le Sergent Snow m’annonçait votre présence, c’était juste derrière lui…

- Oui, j’avais envie de passer cette veille de Noël sur le camp, au plus près du terrain. Vous savez que ça me manque un peu le contact avec les soldats et les civils à qui l’on vient en aide ?

- Ah oui ? Eh bien, vous avez ici tout le loisir d’entrer en contact avec les réfugiés et de botter les fesses de certains de nos soldats, ris-je.

- Sinon, ce rapport, il est si mauvais que ça ? J’espère que la demoiselle était compétente alors, Sergent, dites-moi tout ! N’omettez aucun détail, rigole-t-il en regardant Snow toujours au garde à vous.

- Il n’y a pas de demoiselle, mon Colonel, je devais juste être très fatigué, dit-il en faisant une moue dépitée absolument adorable. Quitte à choisir, j’aurais préféré que ce soit à cause de ça.

- Ahah, jeune homme, j’aime votre franchise ! Bon, Lieutenant, vous me faites visiter le camp ou j’y vais avec le Sergent ?

- Je vous accompagne, laissons le Sergent se reposer, ris-je en tendant à Mathias son rapport. Et reprendre cet écrit, au passage. Rejoins-nous après ta sieste si tu as de l’énergie.

- Oui Lieutenant. Mon Colonel, vous dormirez sur place ce soir ou je n’ai pas besoin de préparer une chambre pour vous ?

- Non, je rentre en fin d’après-midi. Je passerai la soirée avec mon staff au QG.

- Bien, Mon Colonel ! Bonne visite. Mon lieutenant, je vais revoir ce rapport !

J’attends que le Colonel ait quitté la pièce pour lui faire une grimace et lui filer une tape derrière la tête.

- Si seulement tu pouvais être aussi obéissant et respectueux avec moi, petit con, ris-je.

- Ouais, ben lui, je l’ai pas vu en sous-tif !

- T’étais déjà pas bien respectueux avant ça, excuse rejetée, Sergent. A tout à l’heure !

- Eh Lieutenant, il faut éviter que le Colonel voie tu-sais-qui. Sinon, tu risques gros.

- Plombe pas mon moral, pitié, soupiré-je en sortant pour rejoindre mon supérieur après avoir attrapé mon manteau.

Il est déjà en bas et se promène dans la pièce, observant les lits de mes hommes avant de frapper aux portes des autres chambres aménagées pour faire son tour. Heureusement que Snow était dehors quand il est arrivé, il aurait aussi bien pu se trouver dans sa piaule, en charmante compagnie, pendant ses heures de service. Ça aurait tout de suite été plus compliqué.

- Il ne doit pas y avoir grand monde, Colonel, c’est l’heure de l’entraînement, dis-je en regardant ma montre.

- A l'entraînement ? Même la veille de Noël ? C’est bien ça. Allons donc les voir en pleine action.

Je lui fais signe de me suivre en espérant que les gars s’entraînent vraiment et ne sont pas en train de papoter en fumant une cigarette comme j’ai pu les retrouver il y a deux jours. J’espère que la soufflante aura été suffisamment animée pour qu’ils ne recommencent pas, ou qu’ils aient entendu parler de l’arrivée du Colonel et jouent aux soldats parfaits, au choix.

Nous faisons le tour de la grange et c’est avec soulagement, et une certaine fierté je l’avoue, que je constate qu’ils sont en plein effort. Il caille et pourtant ils sont tous en train de courir.

- Le camp a l’air de fonctionner à merveille, Lieutenant. Ils sont toujours aussi sérieux dans la course ? Demain, vous savez, vous pouvez leur donner leur journée.

- Ils le sont presque toujours, Colonel, mais ils aiment bien chercher les ennuis parfois, souris-je. Je me demande s’ils n’aiment pas quand je dois me fâcher, en fait.

- Ah oui, je pense que parfois nos troupes nous provoquent par plaisir, mais ils ne font ça qu’aux supérieurs qu’ils apprécient. C’est bon signe, tout ça. Vous faites vraiment du bon boulot, Lieutenant. Et ces vaches, finalement, c’était pas une mauvaise idée, ça met un peu de normalité dans le campement.

Je le vois tout guilleret et tout content se diriger vers le hangar où les vaches sont à l’abri pour l’hiver. Il me fait plaisir avec tous ses compliments, mais j’imagine trop sa tête s’il découvre que ce camp si bien tenu en apparence cache l'état-major des rebelles et que non seulement je suis au courant, mais qu’en plus j’ai facilité et caché les choses. Là, c’est clair, la chute du piédestal serait lourde. Il a raison, je ne m’en sors pas mal, si on omet cette partie de la gestion, non ?

Toute mon assurance se fait la belle à la seconde où j’aperçois Arthur sortir du hangar avec Lila et sa mère. Si ça, ce n’est pas un élan monumental de poisse, je ne vois pas ce que c’est d’autre. Je ralentis et leur fais signe de partir rapidement, mais la tête d’Arthur quand il constate que c’est le Colonel à mes côtés et le fait qu’il se plante comme un poteau dans le sol me font me dire que c’est mort pour la suite.

- Vous ne voulez pas voir le réfectoire plutôt, mon Colonel ? Ils sont en train de le préparer pour la soirée, dis-je en me plantant devant lui pour tenter de l’arrêter dans son élan.

- Ah oui, le réfectoire ! Nous irons, bien sûr, mais là, je crois que c’est notre responsable du camp qui s’approche. Allons le saluer !

J’acquiesce en me tournant à nouveau vers Arthur en espérant que sa mère a pris la direction opposée, mais elle tient le bras de son fils et l’accompagne alors qu’ils semblent discuter tous les deux.

- Bonjour Arthur, dis-je, le regard sans doute suppliant. Madame… Le Colonel nous fait une petite visite surprise.

- Oh bonjour Colonel. Vous ne venez pas pour me faire arrêter aujourd’hui, la veille de Noël, au moins ? Ça ne serait pas digne de l’armée française. Quoique… Ça ne l’était pas avant non plus, attaque directement Arthur, couvrant la violence de ces propos par un petit sourire.

- Pourquoi, Monsieur Zrinkak ? répond le Colonel en perdant un peu sa gaieté affichée. Auriez-vous des choses à vous reprocher ? Des choses que vous nous cachez ?

- Je n’ai rien à cacher, Colonel. Pas plus maintenant que la dernière fois où vous avez essayé de me remettre au Gouvernement.

- Je n’ai fait que mon travail, Monsieur Zrinkak, lui dit-il, bien moins assuré. Sachez que le Gouvernement silvanien a été surpris d’apprendre que les rebelles vous avaient fait prisonnier et que je vous ai évité un interrogatoire en règle à votre retour au campement.

- Je vous remercierais bien, mais étant donné que vous êtes la cause de cet enlèvement, je vais m’en passer. Votre visite se passe bien ? Vous êtes venu voir les vaches comme nous venons de le faire ?

- En effet, dit-il, plus posément. Madame, bonjour. Mademoiselle.

Espérons que Lila soit moins bavarde que d’ordinaire… Et que Marina sache tenir sa langue. Ça pue, et je suis presque prête à entendre l’alerte signalant une attaque, histoire de ne pas avoir à vivre ce moment.

- Bonjour Colonel, répond Marina en Français alors que Lila se tait, impressionnée par l’uniforme et toutes les décorations portées par mon supérieur.

- Madame est arrivée hier et je lui fais découvrir le camp, Colonel.

- Ah, vous faites partie des derniers arrivants, bienvenue sur le camp alors, Madame. J’espère que vous avez déjà pu vous reposer et que vous vous sentez plus en sécurité ici.

- Oh oui Colonel, minaude la mère d’Arthur en s’approchant de lui sous le regard un peu ahuri d’Arthur alors qu’elle pose sa main sur le bras de mon chef. Tout est si bien tenu ici. Félicitations à vous, on voit que vous savez gérer les hommes ! Je ne sais comment vous remercier !

- Merci Madame, sourit le Colonel, apparemment sous le charme. Je suis heureux que vous vous y sentiez bien, c’est important.

- Est-ce que tous les hommes dans l’armée française sont charmants comme vous ? ose-t-elle ajouter.

Je suis sous le choc de voir la Gitane, la cheffe des rebelles, flirter avec le responsable des opérations sur la zone. Pourvu qu’il n’apprenne jamais qui elle est, sinon, s’il se contente de ruiner ma carrière, j’aurai de la chance. Là, je pense que si un jour il découvre la vérité, il pourrait rétablir la cour martiale et le peloton d’exécution immédiatement rien que pour moi. Je transpire, ne sais pas comment arrêter ces échanges et constate qu’Arthur est dans le même état que moi.

- Hum... Arthur, comment vont les vaches ? demandé-je après m’être raclé la gorge.

- Elles vont bien, Lila était ravie de les voir, n’est-ce pas Lila ?

- Oui, mais Mamy a dit qu’elles sentaient pas bon !

- Oh, mais cette petite est votre petite fille ? demande le Colonel à Marina, mettant en l’air tous nos efforts pour rompre leur conversation.

- Non, ce n’est pas ma petite fille, mais elle fait partie de la famille, oui. Vous savez, Colonel, en Silvanie, on est tous plus ou moins proches, plus ou moins cousins. Par exemple, Arthur pourrait presque être mon fils, vous ne trouvez pas ?

Je manque de m’étouffer alors qu’Arthur lève les yeux au ciel, visiblement excédé par le petit jeu auquel joue sa mère.

- C’est vrai, ou votre petit-fils, non ? demandé-je à Marina. Colonel, je suis désolée de vous presser mais je dois faire un point avec mes gradés dans une demi-heure et si nous voulons avoir le temps de tout visiter, il serait sans doute plus judicieux de poursuivre notre chemin…

- Oui, vous avez raison, Julia. Madame, quoi qu’en dise la Lieutenant, vous êtes bien trop jeune pour même imaginer que Monsieur Zrinkak puisse être votre fils. Je vous souhaite une bonne journée et j’espère que vous allez apprécier votre séjour parmi nous. Bonne journée Monsieur Zrinkak. A toi aussi, Petite.

- Je ne suis pas petite ! bougonne Lila toujours aussi mignonne alors que je vois avec soulagement Arthur entraîner sa mère à distance du Colonel.

- Tu as raison, rit le Colonel, tu es une grande et adorable demoiselle et tu parles bien le français, excuse-moi.

- Arthur et ses collègues donnent des cours aux enfants ainsi qu’aux adultes qui le souhaitent, dis-je en faisant un clin d'œil à Lila. A tout à l’heure, Jolie Lila.

- C’est très bien tout ça. Les réfugiés sont charmants, en plus. Ici, on est loin de la guerre, des rebelles et tout ça, n’est-ce pas ?

- Le plus loin possible, Mon Colonel.

Enfin, à peu près… Quand nous ne recueillons pas des rebelles, quand Arthur ne nous embarque pas n’importe où pour récupérer n’importe quoi, quand je ne négocie pas avec les rebelles pour libérer le fils de la Gitane, quand nous ne nous retrouvons pas dans leur camp principal. Autant dire qu’on fricote un peu trop avec l’interdit, ici !

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