66. Echanges pas si virtuels que ça
Arthur
Je m’installe à la fin de la journée dans la salle des opérations, près de la chambre de Julia, pour appeler ma sœur. La connexion est sécurisée et c’est ce qu’il faut pour discuter avec elle. Ma mère m’a en effet appris qu’elles se sont parlé dans l’après-midi alors que je gérais le problème d’eau avec Julia après notre petit câlin malheureusement interrompu. Sylvia a en effet souhaité profiter de Noël pour renouer le contact avec Maman… qui n’a rien voulu me dire de ce qu’elles se sont dit. Julia est installée sur son ordinateur à l’autre bout de la table et je lui souris sans oser tenter un geste à part ce rictus un peu gêné. Comment on se comporte avec quelqu’un qui n’a rien promis à part saisir les opportunités ? Là, est-ce que c’est une opportunité ? Est-ce qu’il faut en profiter ? Pourquoi est-ce que cette relation est si difficile à envisager, à comprendre et à vivre ?
- Cela ne te dérange pas que je m’installe ici ? Je dois appeler ma sœur, et on va parler de Maman.
- Non, non, vas-y, pas de souci. Tu veux que je te laisse ?
- Non, je n’ai pas de secret pour toi, c’est juste que je ne veux pas te déranger si tu travailles.
- Tu ne me déranges pas, je suis contente de pouvoir passer du temps avec toi, même si c'est à distance.
Je lui fais un clin d'œil complice et je lance la communication. La vidéo met un peu de temps à s’allumer, le temps que la connexion satellitaire se fasse.
- Joyeux Noël, soeurette ! Comment tu vas ?
- Joyeux Noël grand-frère ! dit-elle en s'installant dans son canapé. Tu me manques, mais ça va. Et toi ?
- Oh moi tu sais, la vie du camp avec ses aléas. Juliette a eu de beaux cadeaux ?
Je sais que j’ai envie de poser plein de questions sur sa vidéo avec Maman, mais je n’ose pas aborder de manière frontale le sujet. Je préfèrerais que ça vienne d’elle.
- Il lui manque les cadeaux de son Tonton ! Des aléas ? Tu as encore été enlevé ? Interrogé ? Y a des aléas plus positifs ?
J’imagine bien les aléas positifs dont j’aimerais lui parler, mais là, avec Julia dans la pièce, compliqué de lui dire quoi que ce soit. Même si en temps normal je lui dirais tout, là, je suis obligé de me montrer discret.
- Juliette n’a pas reçu les robes que je lui ai envoyées ? Dommage. Elles ne devraient plus tarder. Quant aux aléas, aujourd’hui, on a eu toutes les canalisations qui ont gelé. Coupure d’eau générale ! La plaie, tu imagines bien.
- Maman m'en a parlé oui… Il paraît que toi et la fameuse Julia assurez, dit-elle avant de soupirer.
- Qu’est-ce qu’elle est allée te raconter, Maman ? Tu lui as parlé longtemps ? Vous vous êtes dit quoi ? Elle n’a rien voulu me dire, ça s’est bien passé ?
Maintenant que le sujet est lancé, je ne peux retenir toutes les questions que j’avais sur le bout de la langue. Je suis tout excité de voir qu’elles ont repris contact. Ma sœur rit devant l'écran alors que Julia secoue la tête, le sourire aux lèvres.
- Que vous assuriez, tous les deux. Un vrai petit couple de leaders. Elle est fan. Pour le reste, c'est une conversation entre une fille et sa mère qui l'a abandonnée, Arthur.
- Oh vas-y. Tu peux me le dire, à moi. Elle s’est excusée ? Pourquoi vous avez fait vos retrouvailles sans moi ?
- Non, elle ne s'est pas vraiment excusée. Et… Je crois qu'on avait besoin d'être l'une en face de l'autre sans ton côté rêveur et insouciant, grand-frère. Il m'a suffi d'une visio avec Maman pour constater que tu lui ressembles beaucoup, d'ailleurs, note-t-elle alors que Julia, qui entend tout, pouffe et hoche vigoureusement la tête.
Je jette un regard noir à Julia sans que ma soeur ne s’en rende compte. Elle n’est pas censée travailler, la Lieutenant, plutôt que de se marrer à ce que dit Sylvia ?
- Tu veux dire quoi par là, soeurette ? Je ne lui ressemble pas du tout ! Jamais je n’abandonnerais ma famille comme elle l’a fait !
- Ce n'est pas ce que je veux dire et tu le sais, ne prends pas la mouche pour rien Tutur ! Je parle du caractère, du côté rêveur, de la tête dans les nuages. Rien de plus.
- Moi ? Rêveur ? Tu aurais dû me voir sur le camp avec une pince à la main en train d’aider un Silvanien à débloquer les canalisations. C’est pas être rêveur, ça.
- Je suis sûre que tu étais très sexy ! Alors… La Lieutenant ?
- Quoi, la Lieutenant ? Elle n’a pas pris de pince, elle.
Je lance un regard furtif vers Julia qui fait mine d’être occupée dans son rapport, mais dont le petit sourire ne cache pas qu’elle est en train d’apprécier ce petit moment. Je devrais dire à ma sœur qu’elle est là, mais je ne sais pas pourquoi, je ne le fais pas.
- D'accord, sourit-elle. Mais encore ?
- On s’entend bien, si tu veux tout savoir. Elle est compétente et gère très bien les choses malgré les soucis. Comme le fait que Maman débarque sans prévenir et se la joue star du camp alors qu’elle devrait être discrète. Tu vois le genre ?
- Je vois le genre, rit-elle. Vous vous entendez bien comment ?
- Tu es occupée peut-être, tenté-je alors que je vois bien qu’elle est confortablement installée dans son canapé. On peut se rappeler, si tu veux pour parler d’elle. Là, je suis sur la ligne sécurisée pour parler de Maman.
- Il n’y a rien à dire sur Maman, Arthur. Ça me fait bizarre de me dire qu’elle est vivante…
- Oui, c’est clair. Tu crois que j’arriverais à la convaincre de venir passer le prochain Noël chez toi ? Avec toute la famille réunie ?
- Tu crois qu’elle pourrait prendre l’avion ? T’es fou, elle se ferait embarquer à peine enregistrée.
- Je sais pas moi, je rêve sûrement. Mais je suis sûr que Juliette adorerait sa grand-mère. C’est fou qu’elle soit vivante, j’en reviens toujours pas.
- Hum… Je ne sais pas, soupire Sylvia. Tant que toi tu es là au prochain Noël, ça me suffit moi. Et qui sait, peut-être que tu viendras accompagné !
- Accompagné ? Qui t’a mis ça dans la tête ?
- A ton avis, rit-elle. Il paraît que tu vis une folle histoire d’amour passionnelle d’après Maman, elle te voit déjà marié avec des gosses.
Je manque de m’étrangler et rougis. Je sens la chaleur monter jusqu’en haut de mes oreilles alors que Julia fait mine de se plonger dans son rapport.
- Maman est folle, tu dois t’en être rendu compte, non ? Des gosses ? Marié ? Non mais il ne faut pas abuser, non plus !
- Maman est folle ? Et tu veux qu’elle rencontre ma fille ? C’est toi qui es fou, se moque-t-elle. Je ne sais pas, moi, elle m’a dit que tu étais amoureux et qu’elle te menait à la baguette, ta Lieutenant.
- Ah mais personne ne me mène à la baguette, moi. Ni à la braguette, d’ailleurs ! Je ne dis pas que je n’ai pas un peu dépassé les limites de la bienséance avec elle, mais rien qui ne pourrait te choquer, je t’assure !
Je ne mens pas vraiment, elle a déjà tout entendu de mes aventures avec mon ex, ce n’est pas ce que j’ai fait avec Julia qui la choquerait, j’espère.
- Donc, pas encore d’invitation pour Noël ? Mince alors… Quoique… C’est une soldate quand même, tu sais ce que ça signifie.
- Non, tu veux dire quoi par là ?
- Ben… Qu’elle partira en mission tout le temps, sera entourée de testostérone, tout ça, tout ça…
- Ouais, ben j’espère bien lui faire passer l’envie de tout ça, tout ça, comme tu dis, ne puis-je m’empêcher de lui répondre instinctivement.
- Aaah, donc tu avoues !
- Tu sais que tu es chiante, quand tu t’y mets, grogné-je sans oser regarder vers Julia à quelques mètres de moi seulement. Oui, j’avoue, je crois que je suis mordu. Mais que veux-tu qu’on imagine ? Elle part dans trois mois, elle aura vite fait de m’oublier.
- Ne te reste plus qu’à te rendre inoubliable, grand-frère ! Il va falloir lui sortir le grand jeu !
- Je suis curieux de savoir ce que tu entends par là. Je suis sûr qu’elle aimerait savoir aussi d’ailleurs, si elle pouvait t’entendre.
- Ben je ne sais pas, moi. Dîner romantique, déclaration enflammée, excursions coquines… Va savoir ! Tu dois devenir un indispensable ! Beau comme tu es, je suis sûre qu’elle ne résistera pas.
- Ah oui, j’imagine tout à fait ! Dîner romantique avec cinquante soldats à moins de cinq mètres, déclaration enflammée qu’elle rejette avec un sourire amusé, excursions entre les mines et les bombes. Explosif comme programme, je trouve !
- Des mines ? Mais… Bon sang, Arthur, qu’est-ce que tu fous là-bas, sérieux ! Tu vas te faire exploser, tête en l’air comme tu es !
- Heureusement qu’elle veille sur moi, alors. Je suis bien protégé ici sur Terre, tu sais, pendant que ma tête est dans la Lune.
- Elle a intérêt, ta Lieutenant, sinon je débarque et je lui botte les fesses, moi, dit-elle en me faisant un clin d'œil.
- Fais gaffe, elle aime peut-être ça ! Je ne voudrais pas d’un ménage à trois avec toi, me moqué-je gentiment en espérant que Julia apprécie notre petit échange.
- Elle est jolie ? Parce que ça peut m’intéresser, qui sait !
- Ah ça, si tu pouvais la voir, répliqué-je en levant les yeux vers celle dont nous parlons et qui m’observe en ce moment même. Elle a des yeux qui m’emmènent voyager dès qu’ils se posent sur moi, une bouche sensuelle qui donne envie de l’embrasser sans jamais s’arrêter, un visage fin et raffiné qui ne demande qu’à être caressé. Cette femme est parfaite, mignonne, exquise, et le pire, c’est qu’elle ne s’en doute même pas, ce qui la rend encore plus craquante. Je suis sous le charme, soeurette.
- Eh bien voilà, rit ma sœur, tu n’as plus qu’à lui dire tout ça en face et, crois-moi, elle va avoir du mal à oublier ces paroles !
- Oui, j’y penserai, mais pas sûr que ça lui fasse oublier que nous serons bientôt amenés à être séparés. Je dois te laisser. On se rappelle sur la ligne normale pour la nouvelle année ?
J’observe du coin de l'œil Julia qui a détourné le regard et fait mine d’être absorbée par la vue du camp par la fenêtre. A quoi pense-t-elle en ce moment ? Ai-je poussé le bouchon trop loin en me confiant ainsi à ma sœur devant elle ?
- Ça marche. Fais attention à toi grand frère et… Ne sois pas trop sage !
- Tu sais bien que je ne suis pas du genre à faire des folies. Fais attention à toi, en tous cas. Je t’aime, soeurette. A très vite !
- Je suis chez-moi en sécurité, ne t’inquiète pas pour moi, sourit-elle. Je t’aime aussi. A bientôt !
Lorsque je raccroche et referme l’ordinateur, je lève les yeux vers Julia qui me sourit doucement. Je me demande ce qu’elle a pensé de tous ces échanges avec ma sœur et suis vite rassuré quand elle se lève et vient m’embrasser sans se soucier du regard éventuel des soldats qui sont en bas. Ses bras m’enlacent et l’espace de ce baiser, j’oublie tout, la guerre, mes soucis, l’avenir. Seul compte ce moment intense et passionné où nos lèvres s’unissent dans un doux baiser. Un merci pour mes propos à son sujet ? Une promesse pour l’avenir ?
Annotations