67. C'est le père Michel qui s'est perdu dans l'camp
Julia
Je souris à Arthur, assis en face de moi devant son petit-déjeuner, et me renfrogne en croisant le regard de Myriam à quelques mètres de là. Tu parles d'une meilleure amie. Elle se doute de quelque chose, je crois, vu les regards qu'elle me lance depuis qu'elle nous a interrompus avec le Bûcheron.
- Arthur, il faudrait qu'on se voie rapidement avant l'arrivée de Monsieur Michel. Vous me rejoignez dans la salle des opérations ?
- Je vous accompagne, intervient Snow à mes côtés.
Merde, il abuse. Je crée les opportunités, mais ce n'est pas évident quand nous sommes constamment entourés d'une cinquantaine de soldats et plus du double de réfugiés.
- Ce n'est pas nécessaire, je t'ai déjà tout dit hier soir, Mathias…
- Si, il vient pour l’ONG. Il faut qu’on se mette d’accord avec Arthur sur ce qu’on lui fait voir ou pas à ce Monsieur Michel. Déjà que sa mère a perdu son chat, il ne faudrait pas que lui perde autre chose !
J’observe Mathias, ahurie, alors que Justine pouffe face à lui. Bordel, qu’est-ce qu’être amoureux rend con ! Et je ne sais pas si c’est plus de mon ami que je parle que de sa nana. J’ai envie d’hurler à Snow d’aller tirer son coup et de me laisser tirer le mien, mais nous n’aurons même pas le temps d’autre chose que de quelques baisers, à moins que le convoi ne soit en retard. C’est déjà hyper frustrant. Ça fait trois jours et ça m’énerve. Je ne sais pas combien de temps je vais tenir avant d’envoyer chier la terre entière en leur disant de nous foutre la paix rien qu’une petite heure.
- On a déjà vu ça hier, ce n’est pas le sujet que je comptais évoquer en vérité, dis-je en me levant. On y va, Arthur ?
- Oui, j’arrive. Sergent, je crois que la chargée de communication a des points très urgents à voir avec vous, il faut vite vous en occuper !
- Vous cherchez à rester tous les deux ? Vous m’envoyez tirer un coup comme si vous vouliez tous les deux avoir le temps de tirer le vôtre, rit Mathias qui vise plus que juste.
- Tout le monde ne passe pas son temps à baiser ici, tu sais ? lui dis-je en le fusillant du regard. Ce n’est pas parce que ton professionnalisme se fait la malle chaque fois que tu croises un cul attrayant que c’est le cas de chacun de nous.
- Ah, je me dois de te corriger, Julia. Depuis quelque temps, je reste sur le même cul ! s’exclame mon collègue en matant sa petite chérie.
- Tant mieux pour toi, soupiré-je en récupérant mon plateau. Allez, à tout à l’heure.
Je ne lui laisse pas le temps de rétorquer une nouvelle fois et vais déposer mon plateau avant de me rendre dans la salle des opérations, un peu trop occupée à mon goût.
- Sergent Morin, je serai dans mes quartiers avec Monsieur Zrinkak, prévenez-moi quand l’équipe de la base arrive avec le civil, dis-je en tournant les talons pour rejoindre ma chambre.
Je laisse la porte ouverte et reste près d’elle pour intercepter le beau barbu que j’aperçois enfin entrer dans la grange. Il monte les marches deux à deux avec un faciès qui me fait penser qu’il tente de se contrôler pour ne pas sourire comme un benêt, et j’avoue faire de même, alors je ne me moquerai pas. Qu’est-ce que je disais déjà ? On est con quand on est amoureux ? Oulah, je n’en suis pas encore à ce point-là, non, mais je suis au moins attachée et je crois que je suis tout aussi conne. Enfin... Je crois que je n’en suis pas là, j’essaie surtout de m’en convaincre.
Je me secoue pour éviter de penser à tout ça, ce n’est ni le lieu, ni le moment. Quand Arthur passe enfin le pas de ma porte, je la referme rapidement et ai à peine le temps de me retourner que deux bras m’enlacent et qu’un corps se presse contre le mien. Je réponds avec ferveur à ses lèvres, savourant ces retrouvailles qui promettent d’être brèves mais apparemment intenses. Je sens ses mains s’immiscer sous mon treillis et venir caresser ma peau frissonnante, la chaleur de tout son corps en contact avec le mien et son désir pour moi est immanquable contre mon ventre.
- Je veux un bonjour comme ça tous les matins, soupiré-je alors que sa bouche et sa barbe viennent caresser mon cou avec délice.
- Seulement le matin ? me demande-t-il tout sourire. Dommage en tous cas qu’on n’ait pas un peu plus de temps, c’est frustrant de ne jamais pouvoir être seul avec toi.
- A qui le dis-tu ! Le matin et aussi souvent que possible, tu peux me dire bonjour dix fois par jour comme ça, ça me va, ris-je en glissant ma main dans sa barbe.
- Bon, c’est d’accord, je signe où ? On commence le contrat quand ?
- Je te propose de sceller ce contrat avec un baiser… T’en dis quoi ?
- J’en dis qu’un seul, ça ne sera pas suffisant, me répond-il en venant à nouveau s’emparer de mes lèvres alors que je sens ses doigts venir enserrer mon menton.
- Très bien, je valide, il en faut beaucoup plus qu’un, dis-je avant de l’embrasser à plusieurs reprises.
Il se laisse alors un peu emporter par l’excitation du moment et me repousse contre la porte, me plaquant contre le bois. Je m’offre à lui comme jamais je ne me suis offerte à aucun homme. J’ai envie de plus et mes doigts agissent sans que je ne puisse les contrôler pour défaire sa chemise. Mais trois coups portés discrètement sur la porte nous stoppent net dans notre élan.
- Lieutenant, Monsieur Michel est arrivé sur le camp.
- J’arrive, Morin ! dis-je d’une voix plus rauque que je ne le pensais en nichant mon nez dans le cou d’Arthur. Fait chier…
- Oui, surtout pour aller voir un gars qui vient voir si ses sapins ont rendu heureux les gens. La bonne blague. J’ai briefé quelques personnes, mais c’est vraiment pas la partie la plus marrante du métier d’humanitaire. Ce soir, on fait une folie et je viens te retrouver ici ?
- Je ne sais pas, Arthur, soupiré-je. Impossible qu’aucun de mes hommes ne te voie monter…
- A cœur vaillant, rien d’impossible ! Tu ne connais pas mes talents d’homme invisible ! Au pire, je demande à Snow de m’escorter, il nous doit bien ça, non ?
- Oui, et demain on entend sur le camp que je suis adepte des plans à trois ? ris-je sans pouvoir m’empêcher de repenser à ce rêve.
- On s’en fout de ce qu’ils pensent sur le camp, s’énerve-t-il en s’éloignant de moi pour ouvrir la porte. Allez, viens, allons voir ce Monsieur Michel qui, je l’espère, est venu sans sa mère. Quel con, ce Snow !
Je soupire sans lui répondre et passe la porte. Bien sûr que lui s’en fout de ce que peuvent bien dire ou penser les soldats présents ici, il n’est pas à ma place. J’ai bien peur que tout ça finisse bien plus vite que ça n’a commencé, à ce rythme-là.
Il fait toujours aussi froid dehors et j’ai oublié mon manteau dans la précipitation, ne voulant absolument pas entrer dans une conversation que je sais déjà être inutile. Monsieur Michel est là, entouré de soldats, en train d’observer le champ où se trouve la plupart des sapins qu’il a fait affréter ici. J’approche, suivie de près par Arthur, et observe cet énergumène aux idées loufoques qui se tourne finalement vers nous. La quarantaine, grisonnant, plutôt agréable à regarder même s’il cache un petit ventre sous son manteau ouvert. Son visage euphorique me fait flipper et je sens qu’il va passer son temps à se satisfaire de sa propre initiative.
- Monsieur Michel, bonjour, dis-je en lui tendant la main.
- Ah vous êtes l'aide de camp ou la secrétaire du responsable ? me demande-t-il en me toisant de haut. Magnifique !
- Non, Lieutenant Vidal, responsable de la sécurité du camp, rétorqué-je d’une voix glaciale. Et voici Arthur Zrinkak, le responsable de l’ONG dépêché sur le site.
- Oh mais c’est merveilleux ça de mettre des jeunes femmes comme vous dans l’armée ! Ce projet coche vraiment toutes les cases ! On a même la parité dans les responsables ! Magnifique !
- Nous ne sommes pas des cases à cocher, Monsieur Michel. On parle d’humanitaire, pas d’un questionnaire à remplir, dis-je le plus calmement possible alors qu’il m’agace déjà énormément avant qu’Arthur n’intervienne.
- Bonjour Monsieur Michel. Ravi de vous rencontrer. Vous allez pouvoir vous rendre compte des sourires que vous avez apportés avec vos sapins, et je suis sûr que vous allez cocher toutes les cases que vous voudrez, lui dit mon beau barbu sur un ton plus politiquement correct et en me jetant un air me signifiant clairement que je dois mettre de l’eau dans mon vin.
- Des sourires ? Vraiment ! J’en suis ravi ! Magnifique ! Allons voir ces petits enfants qui sourient ! Je suis sûr que ce sera magnifique !
- Oh oui, vraiment magnifique, marmonné-je alors qu’Arthur lui fait signe de le suivre.
Snow me lance un sourire moqueur et j’ai tout à coup follement envie de prétexter un appel important pour le laisser gérer la visite de ce type. Ça lui ferait les pieds.
Je leur emboîte le pas et écoute Arthur lui parler du fonctionnement du camp tout en approchant du champ. Je me mets en retrait pour éviter de froisser le type qui pourrait verser une somme considérable d’argent à Food Crisis, permettant ainsi, je l’espère, à nos réfugiés de bénéficier de meilleures conditions de vie. Monsieur Michel s’extasie de tout ce qu’il voit ou presque, et surtout des enfants qui jouent au basket à même la terre mouillée. Réjouissant pour lui, apparemment. Je suis sûre qu’il s’entendrait bien avec Marina, pour le coup.
- Oh là là ces sapins sont vraiment magnifiques ! dit-il d’une voix aiguë qui m’insupporte.
- Oui, vous voyez, ils égaient bien le camp, répond Arthur, imperturbable. Mais ce qui est dommage, c’est que les enfants manquent de vêtements chauds, vous voyez. Ils aimeraient passer du temps à admirer vos arbres, mais ils ne peuvent pas car ils ont trop froid.
- Ah, vous voulez qu’on fasse une collecte de vêtements chauds pour vous ?
- Oh, vous savez, des dons financiers, ça marcherait mieux. On pourrait acheter localement, faire vivre l’économie du pays, faire du gagnant-gagnant ! ment effrontément Arthur.
- Ah oui, magnifique idée ! Des dons financiers pour acheter des habits ! Et les enfants seraient magnifiques avec ces nouveaux vêtements !
Bien sûr, la priorité est qu’ils soient beaux. Bordel, on aurait dû lui proposer de passer une nuit ici, dans les conditions dans lesquelles vivent les réfugiés, histoire qu’il comprenne que des couvertures chaudes, des vêtements épais et un certain confort sont essentiels. Je sens que cette visite va me mettre les nerfs en pelote tant ce type est agaçant, mais je me garde de rétorquer quoi que ce soit, laissant Arthur aux commandes du léchage de bottes.
- Regardez donc ce sapin autour duquel s’est réunie cette belle famille ! continue Arthur dans ce petit tour visiblement bien préparé par Justine et son équipe.
Je suis du regard la direction pointée par Arthur et vois un couple de réfugiés tenant la main de leurs enfants et visiblement admiratifs du sapin. J’essaie de retenir le sourire qui me vient quand je vois cette mise en scène grotesque, mais Monsieur Michel est aux anges.
- Oh la la ! Que c’est magnifique ! Le sapin les a tous réunis ! Vous pensez que je peux les prendre en photo ?
- Non, on va faire mieux que ça, Monsieur Michel, intervient Justine. On va vous prendre avec eux ! Cela vous fera un beau souvenir.
- Ah oui ! Idée magnifique ! Et après, je pourrais avoir une photo de moi avec la jolie Lieutenant ?Mes copains du Rotary vont adorer et de savoir que le camp est dirigé par une femme si magnifique, ils vont tous vouloir venir après !
Je me retiens de peu de lever les yeux au ciel alors que ce type me regarde comme si j’étais un vulgaire morceau de viande. Qu’est-ce que je déteste ça, être seulement qualifiée par mon genre et mon physique. Ça me donne envie de l’envoyer bouler royalement. Ce serait assurément “magnifique” !
- Bien sûr, avec plaisir, dis-je avec un sourire forcé qui ne doit pas avoir grand-chose de naturel.
- Parfait, indique Arthur en me jetant un rictus triste et reconnaissant. Monsieur Michel, après les photos, y-a-t-il autre chose que vous souhaiteriez voir ?
- Oh non, il faut que je me dépêche de rentrer. Mon jet privé attend que je rentre vite. J’ai vu tout ce qui était important. C’était vraiment… Je ne trouve pas le mot.
- Magnifique ? tenté-je de manière sarcastique.
- Oui ! Voilà, Mademoiselle ! C’est exactement ça ! Magnifique !
- Ne traînons pas alors, si votre Jet vous attend. Justine, prête pour les photos ? demandé-je, intérieurement ravie qu’il ne s’attarde pas ici.
- Oui, faisons ça, et ensuite, la Lieutenant et moi, nous vous ramènerons personnellement à l’aéroport, comme ça, nous pourrons répondre à toutes vos questions dans la voiture. Ça vous va ?
- Ma-Gni-Fi-Que ! énonce-t-il, provoquant des rires parmi les soldats présents.
- Alors allons-y, l’opportunité est trop magnifique pour la manquer, dis-je en faisant un clin d'œil à Arthur.
Snow va craquer si je sors seule avec Arthur. Il va me pourrir jusqu’à la moëlle. Mais c’est très tentant, et je ne pense plus qu’à l’organisation possible pendant que Monsieur Magnifique pose pour la photo avec nos pauvres acteurs réfugiés qui semblent masquer le malaise ressenti.
Ce serait risqué de sortir en petit comité. Risqué de s’arrêter dans un endroit calme pour pouvoir enfin profiter l’un de l’autre. Ce serait fou, clairement. Mais c’est plus que tentant et je me dis que je suis suffisamment folle pour tenter la chose.
Je ne suis pas loin de grimacer lorsque je sens la main du potentiel donateur se poser sur ma hanche, et lance mon sourire le plus sincère possible à l’objectif de Justine.
- Monsieur Zrinkak pourrait peut-être faire également une photo avec nous, non ? Après tout, lui aussi gère le camp. La parité quoi, tout ça, tout ça, dis-je en m’éloignant suffisamment de lui pour ne plus sentir son corps contre le mien.
- Oh oui ! Magnifique pensée ! Vous êtes exquise, Mademoiselle ! Allez, Monsieur Zrinkak, je parlerai de vous en haut lieu, vous pouvez me croire ! Merci pour cette visite magnifique !
- C’est ça, oui, dit Arthur que les compliments du gros porc qui nous accompagne exaspère plus que ses remarques sur le campement. Allez, la petite photo et on vous emmène.
J’aurais presque envie de rire de le voir lui aussi agacé, mais la paluche du type qui a perdu son chat se pose à nouveau sur ma hanche et son sourire me donne la gerbe. C’est un total contraste avec ce que je ressens quand Arthur, au lieu de s’installer de l’autre côté du quadragénaire, vient s’intercaler entre nous et passe son bras autour de mes épaules. J’ai juste envie de me lover contre lui après avoir balancé mon genou dans les bijoux de famille de Monsieur Magnifique. Heureusement, Justine prend rapidement la photo et Arthur recule en m’entraînant avec lui avant de malheureusement me relâcher.
- Snow, fais préparer un PVP, que nous puissions ramener Monsieur Michel jusqu’à son Jet, dis-je en intimant d’un geste le groupe à reprendre sa marche en direction de l’entrée du camp.
- Eh Julia, tu ne peux pas rentrer qu’avec Arthur et Monsieur Michel, c’est pas sécurisé, tu le sais bien, non ?
- Je ne veux pas faire prendre de risques aux gars pour ce type imbuvable.
- Et puis, on ne risque rien, Snow, les rebelles savent qu’on a la Gitane parmi nous et le Gouvernement ne fera rien de manière officielle. Faut pas s’inquiéter.
- Voilà ! Allez, c’est acté, Sergent, au boulot, dis-je en lui lançant un sourire satisfait qui le fait ronchonner.
Je le vois lever les yeux au ciel, clairement pas convaincu, mais il prend tout de même de l’avance alors que nous traînons à regagner le chemin de l’entrée. Je n’ai plus qu’une chose en tête à présent et elle n’a rien de professionnel. Arthur. Moi. Un tête-à-tête. Et du plaisir. Vivement que ce trou du cul soit jeté dans son magnifique Jet et regagne ses pénates pour que je puisse enfin jouir d’une opportunité. Dans tous les sens du terme.
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