Chapitre 3
Eylen avala avec difficulté sa bouchée de ragoût, fixant bêtement l’empereur. Faire traverser son armée. La phrase résonnait en boucle dans sa tête. Mais il est fou... Comment pourrais-je faire une telle chose ? Je ne sais même pas faire de magie !
Ce dernier, qui avait continué de l’observer calmement, se releva et posa une main sur son épaule. Aussitôt, la douleur qui lui tambourinait le crâne disparut et elle soupira de soulagement.
— Tu dois dormir maintenant. Lui dit-il en se dirigeant vers la porte.
La jeune femme contracta ses muscles, refusant d’obéir encore une fois à ses ordres.
— Non, dit-elle en serrant les dents.
L’empereur s'arrêta au milieu de la pièce en la regardant sévèrement.
— C’est ridicule, tu es épuisée.
— Pas tant que vous ne m’aurez pas laissé sortir, s’entêta-t-elle en le fixant avec colère.
Il la dévisagea un instant silencieusement.
— Et que feras-tu de plus une fois dehors ?
— Je n’en sais rien, mais ça sera mieux que de rester enfermée à ne rien faire ! Laissez-moi sortir ! De toute façon, comme vous l’avez dit, je ne peux pas m’enfuir, lui dit-elle en se relevant, une main posée contre son collier.
Il sembla réfléchir et la jeune femme s’approcha encore. Ne lâche pas l’affaire, se dit-elle.
— Je pourrais simplement me balader dans la cour intérieure, comme ça, vous pourriez me surveiller.
Il serra les mâchoires avant de soupirer.
— Très bien, tu pourras sortir, lui dit-il tandis que le visage d’Eylen s’illuminait presque de joie. Mais uniquement quand tu auras dormi.
La jeune femme acquiesça avant de se diriger vers le lit, soulagée. Elle sentit la fatigue de sa nuit blanche émerger à nouveau et s’allongea directement sur les draps, trop épuisée pour se mettre dessous et ferma les yeux. Elle entendit à peine la porte qui se refermait doucement derrière l’homme qui quittait la pièce.
***
Qahir regarda la jeune femme s’effondrer sur le grand lit et quitta silencieusement la pièce. Lui aussi sentait la fatigue peser sur ses épaules, mais il n’avait pas encore le temps d’aller dormir. Il sentait la présence de Saki se rapprocher, elle serait là d’ici quelques heures, cela voulait dire que le prince Aodren était certainement déjà arrivé à la cité royale et que leur riposte n’allait pas tarder.
Babil s’avançait justement à sa rencontre, les sangs des monstres qu’il avait combattus collant ses cheveux en arrière.
— Qahir, dit-il avec son habituel grand sourire, la chasse a été bonne !
— Combien en avons-nous ?
— Trois, mais si on y retourne demain, on devrait en trouver encore cinq ou six.
— Ça devra suffire alors. On partira demain dans l’après-midi.
— Déjà ? Tu ne veux pas laisser aux hommes le temps de se reposer ?
— Ils se sont suffisamment reposé mon ami. Il est temps de rentrer chez nous, dit-il avec fermeté.
— Aaah, oui ! J’avoue que le pays commençait à me manquer, s’exclama Babil en se grattant la tête.
— Vraiment ? Le questionna Qahir avec un sourire en coin. Il m’a semblé que les femmes de Toren savaient te faire oublier ta cité natale.
Babil rigola doucement sans répondre.
— Va prévenir les autres. Encore une nuit se chasse avant le départ.
— Bien !
Babil tourna à droite vers le grand escalier qui menait à la salle de banquet tandis que l’empereur se dirigeait vers l’aile Est de la demeure, où se trouvaient les cachots. Il passa une petite porte en bois qui donnait sur un escalier en colimaçon. Arrivé au sous-sol du manoir, il adressa un signe de tête au garde qui s’était avachi sur sa chaise. Ce dernier se releva en sursautant et se tint droit comme un piquet, le saluant de la tête. Qahir le dépassa et alla directement devant la seule cellule occupée.
— Bonjour mage, fit-il en entrant dans la petite pièce aux murs de pierres.
L’Elarien se tenait assis sur un simple lit de bois, les yeux fermés et les mains jointes sur ses genoux. Ses cheveux bruns décoiffés retombaient en bataille sur sa tête et un début de barbe apparaissait sur son menton. Il tourna la tête vers Qahir sans lui répondre, ses yeux verts brillants de colère derrière ses fines lunettes en argent. Un large bracelet doré brillait à son poignet droit.
— Vous êtes aussi bavard que votre amie... lui dit Qahir en refermant la porte.
Il se dirigea vers la seule chaise en boise de la pièce et s’y assit en observant le mage lui jeter un regard mauvais.
— Où est Lyne ? Demanda-t-il.
Lyne ? Qahir sourit en comprenant que ce dernier ne connaissait même pas le véritable nom de celle qui l’accompagnait.
— Qu’est-ce qui vous fait croire que je parle de cette amie ?
— Je ne vois pas de qui d’autre il s’agirait, lui répondit-il sûr de lui.
— Très bien, jouons cartes sur table alors, fit Qahir en s’adossant à sa chaise. C’est en effet de Lyne dont je parle, elle ici, en sécurité.
— Que lui avez-vous fait ?
— Vous n’êtes pas vraiment en position de poser des questions, mage.
— Je ne suis pas mage, je suis guérisseur.
— Vraiment, je pensais que nous aurions une discussion honnête...
— C’est la vérité, répondit-il en redressant le visage, soutenant son regard. J’ai arrêté d’être mage pour me consacrer à ma vocation de guérisseur
— Ah, c’est bien dommage. Je n’ai pas besoin de guérisseur, fit Qahir en le fixant froidement. Je ne vois donc pas de raison de vous garder en vie dans ce cas-là...
L’homme devint soudainement plus pâle, déglutissant avec difficulté.
— Que voulez-vous ?
—Je préfère ça… lui dit l’empereur en souriant.
Ce n’est que peu de temps plus tard que Qahir remonta du cachot et vit par les fenêtres du couloir que soleil était déjà bien levé. Il sentait sa colère sous-jacente sur le point d’émerger à nouveau.
Il arrêta une servante qui passait devant lui.
— Amenez une bassine d’eau dans ma chambre.
— Bien messire, fit-elle en s’inclinant.
Elle se retourna et parti en direction du grand escalier. Qahir se dirigea rapidement vers ses appartements et ouvrit délicatement la porte. Eylen était toujours allongée sur le lit, dans la même position que lorsqu'il l’avait quitté une heure plus tôt.
Il s’approcha silencieusement jusqu’à entendre sa respiration régulière, caressa machinalement sa joue du bout des doigts et ressenti immédiatement une sensation d’apaisement, percevant sa colère se dissiper comme un nuage de fumée. Il fit glisser derrière son oreille une de ses longues mèches de cheveux noirs qui lui tombait sur les yeux. Les mots d’Aamal lui revinrent alors en mémoire :
“— surtout, ne te laisse pas tromper par son apparence Qahir. Si tu représentes l’espoir, elle, n’apporte que le malheur.”
Il eut un bref sourire en coin. Comment une si faible chose pourrait apporter le malheur ? C’est ridicule, pensa-t-il en observant le visage de la jeune femme endormie.
La porte s’ouvrit doucement et la domestique déposa rapidement une bassine d’eau sur la commode avant de ressortir de la chambre.
Qahir se redressa et s’affaira à nettoyer les traces de sang qui recouvraient son corps avant d’aller s’asseoir aux côtés d’Eylen. Il s’adossa à la tête de lit et croisa les bras tout en l’observant, laissant toute sa colère et son aura se dissiper dans le néant, comme absorbés par la jeune femme.
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