Chapitre 9

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Eylen, assise sur le lit, observait du coin de l’œil l’étrange guerrière qui restait debout à côté de la porte d’entrée. Elles avaient passé la journée dans un silence gênant, seulement interrompu par les servantes qui avaient amené le repas d’Eylen et préparé ses affaires. La jeune femme avait grignoté sans grand intérêt son assiette, toujours perturbée par le comportement qu’avait eu l’empereur.

Elle n’avait pourtant rien fait pour le contrarier, s’étant simplement contenté d’explorer le jardin et la cour intérieure. Le soir commençait à tomber et elle pouvait voir la guerrière s’impatienter, toujours posté au même endroit.

— Vous ne voulez pas vous asseoir ? Lui demanda-t-elle finalement.

La guerrière se tourna vers elle et la dévisagea silencieusement.

— Oh, je ne risque pas de m’enfuir ! S'exclama Eylen qui commençait à s’agacer. Rien ne vous interdit de vous asseoir, et ça me fatigue de vous voir debout !

La guerrière hésita quelques instants avant de finir par s’installer sur l’un des fauteuils, Eylen la regardant faire avec soulagement.

— Vous vous appelez Inaya, c’est bien cela ?

— Oui, répondit froidement l’étrangère.

— Moi c’est Eylen...

— Je sais.

La jeune femme hésitait à aborder le sujet qui l’intéressait et lee silence s’installa à nouveau, l’étrangère se contentant de fixer la porte. On dirait un chien qui attend le retour de son maître...Pensa Eylen avec exaspération. Elle porta machinalement la main à son cou et ne put s’empêcher d’observer le collier doré qui encerclait également le cou de la guerrière.

Est-elle comme moi ? Contrainte d’obéir à l’empereur à cause de ce collier ?

— Vous servez l’empereur depuis longtemps ? Finit-elle par la questionner.

La guerrière la dévisagea un istant, semblant hésiter à lui répondre. Eylen attendit qu’elle se décide puis voyant qu’elle ne parlerait pas, aborda un autre sujet.

— Tout à l’heure, vous m’avez appelé Dorogaï...

 Autant parler à un mur, se dit elle en soupirant.

— C’est le nom de ton peuple. Tu devrais le connaître, finit par répondre la femme doucement.

— Eh bien non. Je ne le connais pas, je n’en avais jamais entendu parler jusqu’à ce matin...

L’étrangère l’observa avec une expression perplexe.

— Vous connaissez donc mon peuple ? Il vit de l’autre côté de la frontière ?

— Vivait...

— Vivait ? Demanda Eylen sans comprendre.

— Ils sont tous morts, exterminés par l’ancien empereur. Enfin, c’est ce que nous pensions...

Eylen sentit ses épaules s’affaisser sous le choc et dégluti péniblement. Ils sont tous morts... Elle se tourna vers la fenêtre, repensant à toutes les heures qu’elle avait passées à la bibliothèque de la cité pour trouver un indice sur ses ancêtres. Pour savoir enfin à quel peuple elle appartenait. Tout ça pour en arriver là... songea-t-elle avec un sourire amer.

— Qu’est-ce qui te fait sourire ainsi ? Lui demanda la guerrière avec un ton méfiant.

— Je me disais qu’en fin de compte, je suis toujours seule... répondit-elle en se retournant face à elle.

— Tu n’es pas seule, affirma cette dernière avec assurance.

— Tout mon peuple est mort et ma famille aussi. Qu’est-ce qui vous fait dire le contraire ?

— Parce que tu as ça, répondit fièrement la guerrière en montrant son collier. Tu ne seras plus jamais, seule.

Eylen ricana en agrippant son collier.

— Oui, j’oubliais... L’empereur a fait en sorte que je ne puisse même pas être seule en paix.

Le sourire narquois qu’elle affichait disparut et elle fixa gravement la guerrière qui l’observait avec surprise.

— Porter ce collier est un honneur, dit l'étrangère en fronçant les sourcils

— Un honneur ? En quoi est-ce un honneur de ne plus pouvoir être libre et de souffrir de maux de tête continuellement ?

— Tu es liée au Mokhtar, celui qui détruira la frontière et sauvera son peuple. Tu devrais être fière du lien qui t’unit à lui.

Eylen ouvrit des yeux ronds qu’elle leva au plafond en grimaçant. Il ne manquait plus que ça ! Non-content de la traverser, voilà maintenant qu’il va aussi la détruire ?

— Pourquoi détruire la frontière ?

— Tu n’as pas vécu de l’autre côté, tu ne peux pas comprendre. Mais tu verras lorsque tu arriveras dans le désert, le peuple des sables vit beaucoup moins bien que vous. Les monstres de votre côté sont faibles et ne s’approchent presque pas des cités, vous avez de la chance...

— Pourquoi ? C’est différent chez vous ?

La femme lui sourit froidement avant de répondre.

— Chez nous, les monstres sortent toutes les nuits et rôdent dans les rues pour dévorer ceux qui ne sont pas chez eux. La terre est aride, presque rien ne pousse près de la frontière et cette dernière s’avance peu à peu vers nos cités pour les dévorer...

Eylen encaissa l’information en silence, n’osant plus parler. Heureusement quelqu’un frappa à la porte et la sauva du silence gênant qui s’était installé.

— Entrez, dit-elle.

C’était Clarisse, la servante qui l’avait accompagné plus tôt. Eylen avait découvert son nom en entendant une autre domestique l’appeler ainsi durant le repas.

— Je viens préparer les affaires pour le voyage, s’excusa la femme en entrant.

La servante s’affaire rapidement, se chargeant de mettre dans une malle les effets personnels de l’empereur. Quand elle s’approcha de la sacoche d’Eylen, cette dernière l’interrompit.

— Laissez, je m’en chargerai moi-même.

— Bien mademoiselle, fit-elle en s’inclinant respectueusement. Voulez-vous que je vous apporte votre dîner ?

Eylen jeta un regard en biais à la guerrière, l’idée de manger avec cette dernière lui coupant aussitôt l’appétit.

— Non merci, je n’ai pas faim. 

La domestique ressortir et la jeune femme se massa les tempes en observant sa geôlière. Elle savait qu’elle ne pourrait certainement pas dormir à cause de la douleur qui s’intensifiait au fil des heures et aurait aimé se reposer seule. Et cela ne sert à rien de prendre un remède, se dit-elle en regardant sa besace, seule la présence de l’empereur pourrait la soulager. La nuit venait de tomber et il ne risquait pas de rentrer avant des heures.

— Hum, vous allez rester toute la nuit ?

— J’ai pour ordre de rester avec vous jusqu’au retour de l’empereur.

Je ne pensais pas un jour être aussi impatiente de le voir revenir ! Songea-t-elle en soupirant,  un sourire amer se dessinant au coin de ses lèvres.

Allongée sous les couvertures, Eylen observait les rayons du soleil qui commençait à se lever, souffrant de plus en plus de sa migraine. Que fait-il ?

Passer la journée et la nuit en compagnie d’une étrangère peu loquace lui avait semblait cent fois plus long que les jours précédents, la présence de l’empereur ayant au moins  le mérite de la divertir un peu. Si jusqu’à présent elle s’était contentée de l’écouter sans répondre, elle comprenait désormais ce que cela faisait de se trouver face à quelqu’un de muet.

Allez, je veux bien parler avec lui s’il le faut, mais faites qu’il se dépêche !

Un sentiment d’inquiétude commençait à s’immiscer en elle. Et s’il ne revenait pas ? S’il la laissa là, souffrante à cause du collier et qu’elle finissait par mourir de douleur ?

Le soleil était presque levé et elle commençait à somnoler malgré sa migraine quand la guerrière se releva subitement et que la porte s’ouvrit enfin.

Eylen se redressa vivement et vit l’empereur entrer couvert de boue et de sang, le visage crispé. Il plongea son regard dans celui d’Eylen et s’approcha d’elle.

— Viens avec moi, lui ordonna-t-il avec empressement en lui tendant la main.

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