Chapitre 11
Assise sur un étalon à la robe sombre dont l’empereur tenait fermement la bride, lui-même monté sur un puissant destrier gris, Eylen observait nerveusement l’étrange frontière devant laquelle ils venaient de s’arrêter. La jeune femme, mal à l’aise par son manque d’expérience, serrait les mains si fort sur le pommeau que ses doigts avaient entièrement blanchi.
Ils étaient à l’avant du cortège, juste précédés par un guerrier qui tenait devant lui une étrange caisse en fer, presque entièrement fermée par des plaques d’acier sur lesquelles étaient peints en rouge d’étranges dessins, la dirigeant face à la frontière. Cette dernière semblait onduler sous le vent, déformant l’image du désert aride qu’elle renvoyait. Sous eux, la terre orange était dure et sèche. L’air chaud et aride lui donnait la sensation d’étouffer et la jeune femme déglutit avec peine, se passant la langue sur les lèvres pour les humidifier.
Ils étaient partis aux aurores, juste après avoir fini leur conversation sur le don de la jeune femme et sur ce qu’il s’était passé dans le hall de la demeure du maire.
Le cortège avait avancé à un rythme soutenu, la plupart des guerriers montés à cheval et certains résidents de Toren qui les accompagnaient installés dans des charrettes. Ces derniers étaient en grande partie des enfants ou de jeunes adultes, certains portants des bracelets dorés identique à celui qu’elle avait vu au poignet du jeune Léon. Eylen ne pouvait s’empêcher de se demander si ces gens suivaient l’empereur de leur plein grès ou s’ils y étaient obligés.
L’empereur prononça un mot dans sa langue natale et le cortège démarra lentement. Un silence pesant régnait sur l’ensemble de la procession, la tension semblait presque palpable. Les guerriers jetaient des regards nerveux tout autour d’eux, même l’empereur qui était pourtant dos à elle, lui semblait tendu.
Le guerrier devant eux passa au travers du mur, ne provoquant aucune des ondulations à laquelle Eylen s’était attendu et disparu instantanément de leur regard.
La jeune femme se crispa encore plus sur sa selle et serra les dents. Son cœur tambourinait dans sa poitrine sous l’effet de la peur et elle chercha autour d’elle un moyen de s’enfuir. L’empereur tira alors sur la bride de son cheval, la faisant avancer à son niveau, leurs jambes se frôlant.
— Respire lentement, lui dit-il en la fixant.
Eylen se concentra sur les yeux sombres de l’homme et obéit, prenant une grande inspiration. Puis il fit avancer leurs chevaux et ils traversèrent le mur invisible.
Aussitôt, Eylen ressentit une vague d’Energie qui circulait librement autour d’elle. Elle se sentit alors envahie par un sentiment de plénitude total et de puissance, elle se tourna en souriant vers l’empereur qui à sa grande surprise avait le visage crispé et les marchoires serrées. Se retournant, elle vit la même expression nerveuse et tendue sur les autres guerriers et guerrières qui les suivaient.
Elle ne comprenait pas ce qui les rendait si nerveux, elle-même se sentant en parfaite harmonie avec le lieu empreint de cette mystérieuse Energie. Perplexes, elle observa l’empereur qui descendait de sa monture et s’approchait d’un piquet en bois planté dans le sol. Une large corde y était accrochée et courait au sol loin devant eux. Il attrapa la longe de son cheval et fit une boucle autour de la corde avant de remonter en selle et de repartir.
Autour d’eux d’étranges amas de nuages blancs flottaient au ras du sol, les empêchant d’y voir à plus de cinq mètres de distance. Pourtant, ils ne semblaient pas pouvoir s’approcher d’eux, comme repoussés par un bouclier invisible.
— Ce brouillard et l’un des dangers de la frontière, lui expliqua l’empereur, devant son air étonné. S'il te touche, tu meurs.
Eylen sentit le sang quitter son visage et jeta un regard inquiet à l’un des nuages qui passait non loin d’eux pardessus la corde qui était au sol.
— Cela risque d’être difficile de les éviter si on reste attachés à cette corde...
— Tant que tu restes près de moi, ils ne t’approcheront pas, lui dit-il en regardant devant eux.
En effet, alors qu’ils continuaient d’avançer tout en suivant le cordage, les nuages se dissipèrent autour d’eux, comme s’ils les évitaient.
Elle vit le guerrier devant eux soulever un pan de la caisse qu’il tenait et un son aigu et terrifiant s’en échappa, la faisant frissonner. Elle sentit alors son corps s’engourdir, des chatouillis lui parcourant les mains et les jambes.
— Qu’est-ce que c’est ? Demanda-t-elle en se tournant vers l’empereur.
— Des Sinistris. De futures reines pour être précis. Elles envoient des ondes qui peuvent aller très loin et qui paralysent leurs ennemis. Elles nous permettent d’éviter que l’on soit attaqués par les monstres qui vivent dans la frontière. Cela fonctionne sur la plupart d’entre eux.
— Et les autres ?
— Ceux-là, il faut prier pour que nous ne croisions pas leur chemin, lâcha l’empereur en la regardant froidement.
Ils avancèrent ainsi des heures sans s’arrêter, sous les longues plaintes lancinantes des Sinistris qui entouraient le cortège. Eylen avait inconsciemment rapproché sa monture de celle de l’empereur, rassurée par le contact de sa jambe contre la sienne.
Ses fesses et le bas de son dos commençait à la lancer douloureusement, et la chaleur suffocante lui asséchait la gorge. La terre dure s’était peu à peu transformée en sable fin, les pas de leurs chevaux s’enfonçant de plus en plus dans le sol.
Elle souleva sa gourde presque vide et entreprit de l’ouvrir pour se désaltérer lorsque qu’un grognement lointain la fit sursauter. L’empereur émit un juron et s’adressa à ses hommes dans sa langue gutturale. Aussitôt, ils accélérèrent le pas, leurs montures se mettant au trot.
Eylen serra les dents, n’osant pas questionner l’empereur sur le genre de monstre qui était capable de pousser un tel cri. Ce dernier était concentré sur leur course, ses yeux allants d’un côté et de l’autre, scrutant les nuages d’épais brouillard qui les enveloppait. La jeune femme sentit alors une grande puissance s’approcher sur leur flanc gauche, elle se tourna dans cette direction et aperçut au loin entre deux nuages, une forme blanche qui fonçait à toute vitesse sur eux. Sans qu’elle ait le temps de réagir, elle sentit le bras de l’empereur la coucher sur sa selle tandis qu’un objet vola au-dessus d’elle, lui frôlant le haut du crâne. Quelques secondes plus tard, une explosion retentie là où elle avait vu le monstre et un second cri terrifiant fit trembler le sol.
L’empereur talonna sa monture et ils filèrent au grand galop, le reste de la compagnie les talonnant. Il trancha d’un coup vif de sa dague la longe qui les attachait à la corde et Eylen ne réalisa qu’ils avaient enfin quitté la frontière que lorsqu’elle sentit que l’étrange Energie qui les entourait avait disparu.
Plus aucun nuage ne les entourait, seul le désert leur faisait face, tel un océan d’or et de bleu. Ils continuèrent leur course sur plusieurs mètres avant que l’empereur n’arrête leur monture. Il tendit la bride du cheval d’Eylen à Inaya qui les suivait et reparti au galop en direction de la frontière vers la fin du cortège qui venait d’en sortir.
Ses guerrières et guerriers le suivirent, seuls restants Eylen et les charrettes de voyageurs.
Au loin, la jeune femme vit alors apparaître un gigantesque monstre blanc, ressemblant à un grand buffle aux poils longs et aux énormes cornes noires qu’il pointait droit vers eux. Il dépassait d’une bonne tête les guerriers qui lui faisaient face. Frappant la terre avec sa patte avant, faisant trembler le sol tout autour d’eux.
Les guerriers commencèrent à l’encercler tout en pointant leur lance dans sa direction. L’une des guerrières défit la ceinture rouge qui lui serrait la taille et l’agita face au monstre qui grogna et racla le sol de son sabot. Lorsqu’il s’élança à sa poursuite, les autres guerriers s’écartèrent pour le laisser passer et tous se jetèrent à sa poursuite. Il était étrangement rapide malgré sa corpulence, se rapprochant à tout vitesse de la guerrière qui était parti au galop en longeant la frontière. Soudain, l’empereur sauta de sa monture et atterrit sur le dos du buffle, plantant sa dague dans sa croupe. La bête se cambra, donnant des coups de cornes dans tous les sens et faisant ballotter l’empereur sur son dos qui y resta néanmoins fermement agrippé.
Les combattants s’approchèrent et tentèrent de lui enfoncer leur lance dans le flan, tandis que le démon tournait sur lui-même. Soudain, il se roula au sol, écrasant l’empereur de tout son poids.
Eylen retins sa respiration, médusée et s’élança au galop sans réfléchir ni même entendre la guerrière qui la coursait.
Elle aperçut alors le sang qui gicla de la gorge du buffle quand l’empereur y planta la lame d’un de ses poignards, achevant ainsi la bête. Puis la main de l’homme retomba sur le sol et tout devint calme.
Eylen s’arrêta à quelques mètres de la scène et descendit de selle pour rejoindre l’empereur. Les guerriers étaient affairés à pousser la bête pour la faire chavirer afin de libérer leur chef. L’une des guerrières intercepta la jeune femme lorsqu’elle tenta de s’approcher un peu et la bloquad’un geste ferme.
L’empereur gisait au sol, les yeux fermés et le visage figé de douleur. Eylen s’accrocha au bras qui la retenait, son cœur battant la chamade. Elle devait l’aider, peu importe qu’il soit son ennemi ou autre, il fallait qu’elle le sauve. Elle s’apprêtait a repousser violemment la femme qui la retenait quand elle aperçut le blessé qu’elle avait secouru la veille dans le grand hall.
Ce dernier s’adressa à la guerrière qui relâcha Eylen en grognant. La jeune femme n’y prit pas attention et s’agenouilla auprès de l’empereur, posant une main sur son torse. Fermant les yeux, elle se concentra sur lui, ressentant toute la douleur qui le transperçait de part en part. Plusieurs de ses côtes étaient cassées ainsi que l’une de ses jambes. L’énorme quantité d’Energie torrentielle qui l’habitait en temps normal n’était plus qu’un fin filet faible et presque éteins.
Qu’est-ce qui a tant épuisé sa force ? Se demanda-t-elle inquiète. Elle se souvint alors de leur conversation dans la frontière, lorsque l’empereur lui avait dit que le brouillard ne l’approcherait pas tant qu’elle resterait près de lui. Les nuages étaient en effet restés à l’écart de toute la procession durant leur trajet. A-t-il, à lui seul, éloigné le brouillard de nous tous durant tout notre parcours ? La traversée avait duré au moins cinq heures, voire plus. Ce n’était pas étonnant qu’il soit ainsi épuisé.
La jeune femme posa sa tête son torse et attira à elle toute la douleur qu’elle pouvait supporter. Elle aurait aimé pouvoir lui donner un peu d’Energie, mais elle en était toujours malheureusement dénuée. Elle perçut alors l’aura gigantesque qui s’échappait du corps encore chaud du monstre. Sans réfléchir, elle posa la main sur la bête et appela à elle son Energie, lui intimant de rejoindre le corps de l’empereur.
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