Chapitre 15
Qahir s’installa dans sur l’une des banquettes en tissus et regarda la servante leur servir un thé à la menthe sucré dont le doux parfum vint lui chatouiller les narines. Il attendit que la femme se soit retirée avant de prendre son verre et de le porter à ses lèvres tandis que l’hadjib s’asseyait face à lui. C'était un homme de petite taille, assez mince, ses petits yeux sombres, enfoncés dans leurs orbites, brillants d’intelligence et de malice. Il avait un visage fin, un nez plusieurs fois cassés et un menton anguleux qui se terminait par un petit bouc noir et luisant.
L’empereur était encore un enfant des rues lorsqu’il avait rencontré pour la première fois Musa, ce dernier étant alors âgé une vingtaine d’année. En ces temps-là, le jeune marchand faisait partie de la guilde des espions qui dirigeait la cité dans l’ombre de l’ancien empereur et avait plusieurs fois aidé l'orphelin, lui donnant des petites missions faciles à accomplir qui lui permettaient de gagner de quoi se nourrir.
En devenant Garandï, Qahir avait eu plusieurs fois affaire à Musa, mais en souvenir de leur ancienne relation, le jeune guerrier avait toujours fait en sorte qu’il ne soit pas démasqué par l’empereur et qu’il puisse continuer ses affaires.
Une fois sur le trône, il avait fait de Musa son premier informateur et avait décidé, avant de partir pour Elaria, de faire de lui l’Hadjib du palais de Minar, espérant ainsi le garder suffisamment près de la frontière pour pouvoir rapidement et discrètement le contacter dès son retour.
— Dis-moi, que s'est-il passé durant mon absence, Hadjib ?
— Il n’y a eu aucun incident notable au palais votre grandeur, répondit Musa d’un ton mielleux.
Qahir réprima une grimaça et se ravisa, comprenant que son espion ne voulait pas qu’une oreille indiscrète ne les écoute.
— Tu m’en vois ravi, qu’en est-il du jardin ?
— Il a été parfaitement gardé, comme vous l’aviez demandé, les fleurs se sont merveilleusement épanouies durant votre absence. Notamment les plans de lavandes qui ont pris en grandeur et autonomie, vous ne serez pas étonné de voir que les lys ont eux aussi continué à se multiplier.
— Je vois que les plantes te passionnent Hadjib, répondit Qahir un brin moqueur.
— J’ai toujours eu une certaine attirance pour elles, mon Empereur, particulièrement les fleurs sauvages, les fleurs de lavande s’en rapprochant un peu parfois...
Qahir fronça sévèrement des sourcils, n’appréciant pas le tournant que prenait leur conversation. Par “jardin”, Musa faisait référence au harem de l’empereur, ses concubines étant associées aux fleurs leur correspondant. Aamal était la lavande et Nora le lys, quant aux fleurs sauvages, il s’agissait des guerrières Suharis. Musa n’avait jamais caché son attirance pour ces dernières mais Qahir ne voyait pas très bien ce qu'il voulait lui indiquer dans ses derniers propos. Quel rapport peut-il y avoir entre Aamal et les Suharis ? Shaïa apprécie peu la grande prêtresse pourtant...
— Certains champignons ont réussi à envahir les murs du palais, continua Musa, mais j’ai su en trouver la source et mes hommes se sont occupés d’éradiquer toute menace avant que la moisissure ne s’infiltre trop profondément dans les fondations du palais.
— Parfait, j’ai confié ma demeure à la bonne personne, répondit Qahir en dégustant son thé. J’irai faire un tour moi-même pour observer tout cela. Je te remercie pour ton assiduité Hadjib.
Une servante s’approcha alors en baissant la tête, le fin tissus rose de sa robe volant à chacun de ses pas. Elle s’approcha de Musa qui lui fit signe et lui chuchota quelques mots rapidement avant de repartir aussi vite qu’elle était venue. Le tout sans omettre de lancer quelques œillades timides en direction de l’empereur qui fit mine de ne rien remarquer.
Ce soir elle trouverait certainement quelques tâches de dernières minutes à accomplir tout près des appartements de Qahir, espérant attirer innocement son attention. Le guerrier soupira tout en posant son verre sous le regard légèrement amusé de l’hadjib.
— Vos guerriers viennent de passer les portes de la ville. Les servantes se chargent de préparer les appartements qui leur sont destinés.
— L’un de nos invités préfère être au frais, loin de la chaleur du désert.
— Le nécessaire sera fait, répondit Musa en inclinant la tête.
Qahir acquiesça sans un mot. Le mage Marwen, qui avait été drogué pour le trajet, logerait dans le sous-sol du palais. Qahir avait bien pris garde à ce qu’Eylen et ce dernier ne se croisent pas et il tenait à ce que cela continue ainsi pour le moment.
— Avez-vous fait bon voyage ?
— En effet, ma patience a su porter ses fruits.
— Je parierai que vous nous rapportez des produits de l’autre côté qui sauront nous ravir, fit Musa en se frottant les mains.
—Pas seulement, mais il y a bien quelques présents pour Minar.
— Vous m’en voyez ravi votre grandeur, répondit l’hadjib en souriant de toutes ses dents.
— Je me demande pourquoi tu n’as jamais participé aux expéditions vers Elaria, toi qui es passionné par tout ce qui viens de ce pays ?
— Sans façon, fit l’espion en frissonnant, tout sourire disparaissant de son visage. Je préfère rester à l’écart de la frontière et de ses démons...
Qahir l’observa, intrigué. Il ne savait pas son hadjib si peureux.
— Je ne suis pas très doué en combat, surtout face aux monstres, lui dit l’homme en réponse à son regard. Ce n’est d'ailleurs pas pour cette qualité que vous m’avez engagé...
En effet, Qahir ne l’avait pas choisi pour son talent de guerrier ou sa force, mais plutôt pour sa discrétion et son réseau d’espions. Même si je suis certain qu’il est capable de se débarrasser de ses ennemis tout aussi efficacement que Saki ou Babil, songea-t-il en retenant un sourire.
— Bien, il est temps pour moi d’aller rejoindre mes hommes.
Musa se redressa en même temps que lui et baissa respectueusement la tête.
— Nous vous attendons pour le festin votre grandeur, lui dit-il lorsqu’il s’éloigna.
Qahir lui fit signe de la main sans se retourner et se dirigeât vers l’entrée du palais pour aller rejoindre Babil et le reste de la procession. Dans sa chambre Eylen venait de se réveiller sous la surveillance d’Inaya.
Saki le rejoignit alors qu’il passait la porte du salon et marcha silencieusement à ses côtés. Qahir sentit à travers le collier de la guerrière, le désarroi qui l’habitait.
— Parle Saki, lui dit-il calmement.
— Ce qu’a fait cette Dorogaï tout à l’heure près de la frontière... ou en soignant Babil hier... je n’ai jamais vu ça.
— moi non plus, répondit l’empereur avec un petit sourire.
— Ce n’est pas normal ! Continua la guerrière le visage crispé.
Qahir se stoppa net et se tournant vers la femme, baissant la tête pour la fixer. Saki était sa guerrière la plus agile, mais aussi le plus caractérielle. Elle vouait à Qahir et à Shaïa une adoration sans limite presque trop intense au goût de l’empereur.
— On ne sait pas exactement ce qu’elle vous a fait, continua-t-elle en bombant le torse.
— Je vais parfaitement bien Saki, répondit Qahir en pesant chaque mot. Et Babil aussi, grâce à Eylen.
Saki réprima un grognement, mais finit par acquiescer sous le regard insistant de l’empereur.
— Pourquoi l’as-tu laissé m’approcher lorsque j’étais blessé, si tu ne lui fais pas confiance ? Lui demanda Qahir en levant un sourcil.
— Babil l’a décidé, répondit la guerrière en pinçant les lèvres.
Au moins, elle respecte la hiérarchie, se dit-il en se retournant vers l’entrée du palais.
— Tu as bien fait. Ne t’inquiète pas pour Eylen, si elle avait voulu me faire du mal, je l’aurais su. Et à l’avenir, évite de l’appeler Dorogaï, ordonna-t-il d’un ton sec en lui jetant un regard pesant par-dessus son épaule.
Saki resta immobile dans le couloir sans dire un mot tout en le regardant s’éloigner.
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