Chapitre 18
Guidé par Rainir, Marwen traversait les couloirs sans un mot. Le mage blond le dépassait d’une bonne tête et avançait d’un pas rapide tout en observant autour de lui. Un collier en or, semblable au bracelet qu’il venait d’enfiler, cerclait son cou pâle qui dépassait de sa robe brune.
Marwen plissa des yeux et lâcha un petit soupir de soulagement lorsqu’ils débouchèrent dans une cour extérieure, éclairée pas la lueur du soleil couchant. Cela faisait des jours qu’il n’avait pas revu le soleil ou sentit l’air frais sur sa peau et il prit une grande inspiration tout en fermant les yeux, savourant un instant la sensation de liberté qu’il éprouvait.
Lorsqu’il les rouvrit, Rainir le fixait, quelques mètres plus loin, le visage impassible. Il était plus jeune que lui de quelques années, son visage pâle parsemé de légères taches de rousseur et son menton dénué de barbe. Marwen l’avait entraperçu lors de ses années d’études à l’académie de la guilde et se souvenait d’un jeune garçon timide et discret qui commençait sa formation alors que lui la terminait.
— Nous devrions y aller, lui dit Rainir, les traits tendus.
Marwen acquiesça et remit machinalement ses lunettes en place avant de le suivre. Ils longèrent la cour, passant sous plusieurs arches colorées et s’arrêtèrent devant l’une des nombreuses portes en bois qui courait le long du mur. Rainir poussa cette dernière et entra directement dans la petite chambre chichement meublée avant de lui faire signe d’entrer.
Deux lits en bois étaient placés de chaque côté de la pièce contre les murs, chacun collé à une petite table de chevet. Une fenêtre positionnée à côté de la porte donnant sur la cour intérieure éclairait faiblement la pièce.
Rainir referma la porte derrière eux et tira le fin rideau de la fenêtre pour leur donner un peu d’intimité, avant de s’asseoir sur le lit de gauche. Marwen s’installa avec soulagement face à lui, toujours affaibli par le poison qu’on lui avait fait ingérer.
— Comment vous sentez-vous ? Lui demanda Rainir après un moment.
— Vaseux, faible... et toujours incapable d’atteindre mon pouvoir, répondit l’ancien guérisseur en fixant le mage.
— J’ai du mal à imaginer la sensation que cela doit faire, dit ce dernier en grimaçant.
— Comment ont-ils fait pour me priver de ma magie ? le questionna Marwen d’une voix tendue.
— Je n’en ai aucune idée.
Ils ne lui font donc pas entièrement confiance, supposa Marwen en observant son compagnon de chambre. Ce dernier se tenait bien droit, serrant ses mains l’une contre posée sur ses jambes. Ses courts cheveux blonds, semblables à de la paille, retombaient négligemment sur ses oreilles et son front, dévoilant ses yeux brun clair au regard tendu.
— Pour quelle raison avez-vous décidé de rejoindre l’empereur et ses troupes ?
Rainir ricana nerveusement en ajustant le col de sa robe.
— C’est facile pour vous de juger sans savoir.
— Je ne vous juge pas Rainir, je cherche simplement à comprendre, répliqua Marwen doucement. Qu’est-ce qui a poussé un mage, normalement fidèle au roi et à la guilde, à se rallier à un peuple ennemi du sien...
— Vous n’avez aucune idée... vous ne savez rien, de ce que nous avons vécu... de comment était la vie à Toren avant l’arrivée de l’empereur...
Marwen sentit la colère et la tristesse envahir les yeux du mage tandis qu’il lui parlait.
— J’ai été envoyé à Toren juste à la fin de mes études il y a six ans. J’ai vite compris qu’on s’était débarrassé de moi, parce que je n’avais pas la chance d’être puissant, noble ou riche, cracha le jeune homme blond avec mépris. La vie était foncièrement différente de celle que j’avais vécue à l’intérieur de la cité royale.
» Toutes les nuits des gardes et des civils se faisaient emporter ou blesser par les monstres qui venaient de la frontière. On pouvait entendre leurs cris dans toute la ville, jusque dans la demeure du maire...
L’effroi se peignit sur le visage pâle de Rainir, faisant ressortir ses taches de rousseur.
» Le peu de récoltes et de richesses que pouvaient produire les fermiers et commerçant servait à payer les taxes du roi, qui se désintéressait de la situation sur place, continua-t-il en regardant le sol.
— Je ne savais pas, j’en suis navré... dit doucement Marwen, sentant la culpabilité l’envahir.
— Non, vous ne savez pas ! Pendant que vous viviez tranquillement derrière les murs de la cité royale, bien à l’écart de la frontière, les habitants de Toren servaient de gibiers aux monstres. J’ai passé des mois entiers à fortifier les murs de la ville le jour et à protéger et soigner les citoyens la nuit avec le peu de pouvoir que j’avais.
» Puis les étrangers ont commencé à traverser la frontière. Ils n’étaient que de petits groupes aux départs, mais ils savaient se battre contre les monstres. En échange de son silence et de quelques services... ils ont proposé au maire de lui offrir des trésors et de l’or pour fortifier sa ville. Ainsi, nous avons pu améliorer la défense des murs et engager des mercenaires et des chasseurs de monstres. Mais ce n’était toujours pas suffisant pour protéger convenablement les Toréens. Le maire se servait des présents des étrangers pour son propre compte, oubliant la défense de la cité...
Rainir eut un petit rire dépité et se frotta le visage.
— À croire que tous les nobles et les riches d’Elaria sont corrompus par leur avarice...
— C’est malheureux, si j’avais su...
— Si vous aviez su ? Qu’auriez-vous fait de plus ? S'exclama le jeune mage en le fixant avec mépris.
— J’aurais fait mon possible pour aider, répondit calmement Marwen en ajustant ses lunettes. Et j’aurais fait en sorte que les autres mages de la cité soient informés de la situation.
— Croyez-vous qu’ils ne savaient pas ? Lui rétorqua Rainir avec un rictus narquois. La guilde était tout à fait au courant de la situation, mais ils n’ont rien fait.
Cela ne m’étonnerait pas, en effet... Ils se sont servi des habitants de Toren comme d’un bouclier, nourrissant les monstres qui ainsi étaient moins tentés de venir chasser vers la cité royale. Songea Marwen avec amertume.
— Mais tout a changé quand l’empereur a traversé avec ses guerriers, continua Rainir, son regard étant redevenu vif et plein de courage. Ils ont protégé la ville toutes les nuits et ont distribué de l’or directement aux commerçants et aux habitants. En quelques mois, un nouveau mur a vu le jour, la pauvreté et la misère ont presque totalement disparu. Il a su redonner espoir aux gens, il a sauvé Toren. L’empereur a pris soin des Toréens, il nous a bien mieux traité que le roi et les nobles d’Elaria, il a su nous protéger.
Marwen le fixa sans plus savoir quoi dire, comprenant les raisons qui avaient pu pousser le mage et les habitants de Toren qui lui faisait face à se détourner de la couronne.
— Et où sommes-nous exactement ? Finit-il par demander.
— À Minar, une ville située au nord de la frontière, dans le désert.
— Je vois... et vous comptez vivre le reste de votre vie ici ? Parlez-vous au moins leur langue ? Que vous a donc promis l’empereur en vous emmenant avec lui dans son pays ?
— Non je ne parle par leur langue, je n’ai pas encore appris, répondit Rainir en se frottant l’oreille, gêné. L’empereur... l’empereur nous a promis à tous la sécurité et...
Il ne finit pas sa phrase se contentant de fixer le rideau de la fenêtre en soupirant.
— Quoi d’autre ?
— Rien, il nous a simplement demandé de l’aider et nous avons tous accepté. Nous lui devons bien ça...
— Que signifient ces bijoux ? Votre collier et ce bracelet ? Lui demanda-t-il en lui montrant son poignet gauche.
Rainir porta machinalement les doigts à son cou, effleurant le métal doré qui lui ceignait le cou.
— Pour le bracelet je ne sais que très peu de choses, si ce n’est que ceux qui l’ont reçu l’ont tous mis de leur plain grès et que l’empereur l’a donné aux jeunes les plus prometteurs.
— L’empereur m’a dit qu’il garantirait que je ne le trahisse pas... Comment ?
— Je serais vous, je ne tenterais pas l’expérience, le prévint Rainir en se redressant soudain anxieux.
— Pourquoi ?
— Parce que si vous trahissez l’empereur, vous mourrez.
— Comment ? Le questionna vivement Marwen en se levant à son tour. Comment un bracelet peut-il me tuer ?
Rainir se mordit la lèvre tout en reculant vers la porte.
— Vous devriez vous reposer maintenant. Il y aura un repas ce soir, offert par nos hôtes. Vous pourrez y manger à votre faim et peut-être mieux les comprendre.
Sur ces mots, il rouvrit la porte avant de sortir de la chambre en se massant les tempes, laissant Marwen seul avec ses pensées.
L’ancien guérisseur se laissa tomber sur le lit épuisé, regardant la cour s’assombrir par la porte restée ouverte. Il était de l’autre côté de la frontière, dans un autre pays, entouré d’étranger dont il ne connaissait même pas la langue.
Et maintenant j’ai cet étrange bracelet dont je ne connais absolument pas les effets et dont je ne peux pas me débarrasser. Il souleva son bras pour observer l’étrange bijou. Trahir l’empereur pouvait se faire de mille façons, il lui fallait savoir comment se déclenchait le mécanisme. Le simple fait de fuir était-il une trahison pour le bracelet ou s’agissait-il d’un acte plus fort comme blesser l’empereur ou tenter de le tuer ?
— Aaah, une chose est sûres, je ne trouverais pas les réponses à mes questions en restant allongé sur ce lit, dit-il en se redressant.
Il entendit à l’extérieur le bruit des conversations de femmes qui se dirigeaient vers sa chambre. Il s’avança vers la porte au moment où deux servantes passaient devant, vêtues de robes en tissu brillant et colorées, les cheveux entièrement cachés par des voiles du même ton.
— Excusez-moi ? Les interpella-t-il hésitant.
Les deux femmes s’’arrêtèrent et le fixèrent intriguées.
— Euh... Est-ce que vous savez où je pourrais aller me laver ?
Elle se regardèrent perplexes et l’une d’elle s’adressa à lui dans leur langue étrange.
— Désolé, je ne comprends pas, répondit vivement Marwen en levant une main. Hum... bain ? De l’eau pour ma toilette ?
Il mima l’action de se frotter le bras tout en se sentant ridicule.
— Oh ! S'exclama la deuxième servante qui semblait avoir compris.
Elle lui sourit et se retourna tout en s’adressant à sa compagne et lui fit signe de les suivre. Elles le guidèrent tout en souriant gentiment. Marwen les suivit, ajustant machinalement ses lunettes et leur adressa un petit sourire de gratitude.
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