Chapitre 21

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Eylen, assise en bout de table aux côtés de l’empereur sur un petit coussin à même le sol, observait la salle de banquet.

Les murs étaient d’un blanc presque irréel, de longues bandes de tissus et des lanternes en papiers colorées pendaient du plafond. La grande table basse étaient remplis de plats en or et en argent, débordants de mets sucrés et salés, chacun se servant à main nue.

La jeune femme, entourée de guerriers à la peau sombre, sentait peser sur elle leurs regards curieux tandis qu’ils discutaient entre eux dans leur langue étrange. Elle n’était pas habituée à attirer tant l’attention, l’ayant au contraire évitée des années durant en se camouflant derrière son bandeau et ses tenues sobres. L’extravagante robe dont elle était attifée n’arrangait pas à son malheur, dévoilant explicitement une grande partie de son dos et de sa peau.

Elle se concentra donc sur la table, examinant les petites pâtisseries luisantes qui se trouvaient juste devant elle.

À sa droite, l’empereur sirotait un verre d’alcool aux épices, dont la douce odeur parvenait jusqu’à elle, tout en discutant avec un guerrier aux cheveux bouclés et à l’allure imposante. Ce dernier arborait un large sourire et enchaînait les verres uns à uns, les empilant devant lui une fois vides. L’empereur lui adressa quelques mots sur un ton qui semblait sarcastique et le guerrier lui répondit sur le même ton, son regard brun croisant celui d’Eylen qui reconnut alors l’homme qu’elle avait soigné dans le hall du manoir du maire Lughen.

— Je ne vous ai pas remercié pour l’autre jour madame, lui dit-il avec une prononciation un peu plus saccadée que celle de l’empereur et d’Inaya. Vous m’avez évité le grand voyage.

Il leva son verre à son intention avant de le vider d’un trait, tandis que les joues d’Eylen rosissaient de gêne. Le guerrier tendit les mains vers le plateau que l’une des servantes et attrapa deux verres, en proposant un à Eylen avec un grand sourire.

Cette dernière hésita un instant avant de le prendre timidement entre ses deux mains. Elle jeta un coup d’œil à l’empereur qui avait observé leur échange, un étrange sourire aux lèvres et porta le verre à sa bouche. Le goût puissant d’épices lui emplit la bouche et sa gorge se réchauffa instantanément tandis que le liquide descendait en elle.

Le guerrier eut un petit rire et adressa quelques mots à l’empereur tout en engloutissant son propre verre.

Eylen s’apprêtait à en faire autant, appréciant l’alcool sucré et merveilleusement parfumé, mais l’empereur lui attrapa le poignet, retirant doucement le gobelet de ses mains. Elle  le regarda faire, étonnée.

— Tu devrais manger un peu avant, dit-il d’une voix assurée, devant l’air contrarié de la jeune femme.

Elle n’avait en effet rien avalé depuis le matin même et les gargouillis dans son ventre lui donnèrent raison. Elle fusilla néanmoins l’empereur du regard, se retenant avec peine de le maudire intérieurement sous peine de souffrir encore plus du mal de tête qui couvait en surface et attrapa la première pâtisserie qui se trouvait à portée, la fourrant instantanément dans sa bouche.

Le rire du grand guerrier fusa automatiquement, résonnant tout autour de lui. La pâte fine croustilla sous les dents d’Eylen et un goût prononcé de miel se rependit dans sa bouche. Elle dégusta la gourmandise avec plaisir, surprise par les saveurs inconnues qui s’en dégageaient, le sucre lui collant aux dents. L’empereur lui rendit son verre, le posant devant elle et lui tendis une petite boulette de viande trempée dans une sauce claire qu’il posa sur ses lèvres en la fixant.

Eylen sentit instantanément le sang lui monter au visage et recula instinctivement, mais il approcha à nouveau la nourriture d’elle avec insistance. Elle ouvrit donc la bouche et accepta à contrecœur l’amuse-bouche dont la sauce lui rafraîchit avec délice les papilles.

Elle releva les yeux en apercevant Inaya et d’autres guerrières aux cheveux de feu qui s’approchaient d’eux, leurs regards fixés sur l’empereur. Une fois arrivées à leur niveau, elles adressèrent quelques mots respectueux à l’empereur et s’inclinèrent solennellement devant lui. Quelques-unes jetèrent des regards contrariés dans la direction d’Eylen qui ressentit de plein fouet l’hostilité qu’elles ressentaient à son égard. L’empereur leur répondit tout en leur faisant signe de la main de se lever, semblant lui aussi soudainement agacé.

Le guerrier bouclé lâcha une phrase sur un ton moqueur à l’une d’entre elle, cette dernière lui répondant sur un ton sec en lui lançant un regard mauvais.

— Saki, Babil... gronda l’empereur entre ses dents.

La femme en question inclina la tête avant de se retirer, suivit par ses compagnes. Eylen se détourna et son regard croisa alors des yeux verts familiers qui la dévisageaient avec curiosité. Elle reconnut aussitôt Marwen, malgré ses traits tirés, étrangement vêtu d’un ensemble clair et coiffé en arrière, ses fines lunettes posées comme à leur habitude sur son nez fin.

— Marwen ! S'exclama-t-elle en se levant pour le rejoindre.

— Lyne ?

Aussitôt, la main de l’empereur attrapa la sienne, la tirant vers le bas pour la rasseoir. Eylen se dégagea vivement, son agacement certainement décuplé par le verre d’alcool qu’elle venait de finir.

— Mage Marwen, vous vous êtes donc joint à nous ! Installez-vous, je vous en prie. Dit l’empereur en souriant.

Marwen s’exécuta visiblement à contrecœur et s’installa à gauche d’Eylen.

— Comme promis, vous pouvez voir de vos propres yeux que votre ancienne assistance se porte bien et qu’elle n’est pas mal traitée.

Se porte bien ? Je me porterais mieux sans ce foutu collier qui me vrille la tête à longueur de journée ! Songea la jeune femme en fusillant l’empereur de regard. Son mal de tête s’accentua violement et elle porta machinalement une main à son front, détournant son attention de la conversation. La main de l’empereur se posa alors discrètement sur son avant-bras, soulageant instantanément sa migraine.

— Avez-vous rencontré vos futurs disciples ?

— Rapidement, maître Rainir me les a présentés juste avant la soirée.

Eylen dévisagea Marwen avec surprise. Ses disciples ? Il va leur enseigner la magie ? Pourquoi ? L’empereur était l’ennemi d’Elaria et il comptait certainement utiliser ses futurs mages pour attaquer le royaume. Pour quelle raison Marwen aurait-il accepté de l’aider ? Son maître avait toujours été fidèle à la couronne, malgré quelques désaccords sur leur façon d’aider le peuple, cela semblait étrange qu’il accepte de former les futurs mages de l’empereur.

Marwen détourna le regard, ses yeux se posant sur la main de l’empereur, toujours posée sur son avant-bras.

— Je vois que vous prenez grand soin de mon asssistante...

Eylen sentit la honte lui chauffer les joues et déplaça discrètement son bras pour se libérer mais l’empereur resserra sa prise, le visage toujours souriant malgré un certain agacement qu’elle sentait émaner de lui.

— Il ne s’agit plus de votre assistante désormais, dit-il d’un ton froid. Il se trouve qu’Eylen était justement la personne que je cherchais à retrouver, et vous m’y avez fortement aidé. Pour cela, je vous remercie.

Eylen se figea tandis que Marwen la dévisageait avec curiosité. Oh, non, se dit-elle en se mordillant la lèvre et en baissant les yeux. Marwen ne connaissait pas son vrai nom, Eylen n’ayant jamais osé le dévoiler à quiconque depuis son départ de chez Elie, par crainte de mettre ses proches en danger.

— Je vois... dit Marwen d’une faible voix. J’avoue être assez étonné par ce que vous m’annoncez, mais je suppose que c’était l’effet recherché...

— N’en soyez pas trop offensé, mage. On ne connaît jamais réellement les gens qui nous entourent...

—En effet, c’est une leçon que je garderais en mémoire, répondit le mage, la déception transpirant dans ses paroles. Si vous permettez, je vais me retirer.

— Bien sûr, profitez bien de la soirée.

Eylen releva les yeux, tentant de croiser le regard de son maître qui l’ignora volontairement et se leva pour partir, lui tournant ostensiblement le dos.

Le sang de la jeune femme se glaça, comme s’il venait de la gifler.

— Marwen... souffla-t-elle tout bas.

La tristesse et la déception se mélangée en elle. Il a tout compris de travers ! Se dit-elle, frustrée. Elle se tourna vers l’empereur, le fixant avec colère.

— Vous l’avez fait exprès !

— Est-ce ma faute si tu lui as caché ton nom durant tout ce temps ? Lui demanda-t-il avec froideur en levant un sourcil. Le sentiment de trahison qu’il ressent ne vient pas de moi.

Eylen le dévisagea sans répondre avant de se détourner. Il avait raison, c’était elle qui avait menti à son ami pendant toutes ces années, basant leur relation sur un mensonge. Elle retira son bras de la poigne de l’empereur et se leva brusquement sans lui laisser le temps de l’interrompre avant de s’éloigner.  

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