Chapitre 22
Eylen se précipita à travers la salle de banquet, zigzaguant entres les servantes et les guerriers jusqu’à atteindre la grande porte d’entrée. Cette dernière, restée ouverte, était gardé par deux étrangers à la carrure imposante et au regard froid. Pourtant, ils ne semblaient pas bloquer l’entrée ou la sortie à quiconque, laissant les gens aller à leur guise d’un espace à l’autre.
La jeune femme s’arrêta et observa les environs à la recherche de Marwen, mais ce dernier n’était nulle part en vue.
Il a dû sortir. Elle se retourna vers les deux gardes qui observaient l’ensemble de la salle. Allaient-ils la laisser passer ? L’empereur leur avait-il donné l’ordre de la retenir ? Eylen examina sa tenue outrageusement provocante avec une grimace. Ce n’est pas avec cette robe que je vais pouvoir passer inaperçu.
Mais il fallait qu’elle rattrape Marwen. Elle devait lui expliquer, lui dire pourquoi elle lui avait caché la vérité !
Elle prit une grande inspiration et s’avança vers la porte en baissant la tête, espérant cacher ses traits bien trop distincts.
Elle percuta alors une servante qui passait juste devant elle, manquant de renverser son plateau de verres vides. Cette dernière était vêtue d’une affriolante tenue rose bonbon, dont les voiles transparents laissaient apercevoir presque l’intégralité de son corps bronzé.
— Pardon, s’excusa-t-elle machinalement.
La servante la dévisagea un instant surprise, puis lui sourit avant d’incliner respectueusement la tête.
Prise d’une soudaine idée, elle attrapa le plateau de la servante à deux mains et le tira vers elle. L’étrangère la laissa faire sans comprendre, se contentant de l’observer étonnée.
— Vous voulez autre verre ? Lui demanda-t-elle perplexe.
— Non, merci. Juste le plateau, répondit Eylen en souriant.
Elle s’éloigna rapidement de l’étrangère, sans lui laisser le temps de la bloquer et se dirigea à nouveau vers la grande porte. Lorsqu’elle passa entre les gardes, la tête baissée, ces derniers lui accordèrent à peine un regard.
Une fois hors de la salle, elle poussa un long soupir de soulagement et inspira profondément l’air frais extérieur. Le couloir dans lequel elle se trouvait longeait une superbe cour intérieure, magnifiquement fleurie.
Elle avança rapidement, vérifiant que personne ne la suivait, mais la cour comme le couloir étaient entièrement déserts. La jeune femme s’apprêtait à poser son fardeau sur le petit muret qui délimitait le jardin quand elle fut surprise par le croassement d’un oiseau. Relevant la tête, elle l’aperçu. Posé sur les branches d’un olivier au centre de la cour, son plumage noir brillant éclairé par les reflets de la lune, il l’observait de ses pupilles sombre.
Elle grimaça en reculant instinctivement. Un corbeau ! Elle détestait ces animaux. Non pas parce qu'ils étaient souvent synonymes de malheur, mais parce qu'ils lui avaient toujours fait froid dans le dos avec leur regard noir et leur cri lugubre.
— Qu’est-ce que tu fais là toi ? Lui lança-t-elle en lui jetant un regard mauvais.
L’oiseau croassa à nouveau et sautilla sur sa branche, se rapprochant d’elle.
Eylen fit un autre pas en arrière avant de finalement s’éloigner dans le couloir, mais l’oiseau la suivit, sautant sur une autre branche de l’arbre. Elle accélérât le pas pour le dépasser quand il s’envola finalement, disparaissant de sa vue.
La jeune femme poussa un léger soupir de soulagement avant de rire doucement. Pff, c’est ridicule, reprend toi ma vielle !
— Croa !!
Elle sursauta violemment. Le corbeau était face à elle, posé sur le sol carrelé du couloir et sautillait dans sa direction.
— Mais va-t'en ! Cria-t-elle en faisant de grands gestes pour l’apeurer.
L’animal battit des ailes et s’envola avant de foncer droit sur elle, serres en avant. Eylen leva son plateau pour se protéger, faisant tomber les verres au sol qui se brisèrent en mille morceaux et entendit ses griffes frapper violement contre le métal. L’oiseau poussa un cri strident avant de reculer pour mieux l’attaquer à nouveau. Elle fit un grand geste du bras pour l’envoyer valser avec son arme improvisée mais n’atteignit que le vide.
Une vive douleur lui fit lâcher un cri de surprise lorsque les serres de l’animal se refermèrent sur son avant-bras, lui déchirant la peau. Puis elle entendit des pas de course suivit d’un claquement sourd, avant que l’animal ne s’effondre au sol, inconscient.
— Vous allez bien ? Lui demanda une voix essoufflée.
Elle reconnut le jeune Léon qui s’approchait d’elle en courant, ses cheveux blonds en bataille et ses joues rosit par l’effort.
— Ça va ? Lui redemanda-t-il inquiet, une fois arrivé près d’elle.
Eylen se rendit compte qu’elle le fixait sans rien dire depuis plusieurs secondes avant de répondre.
— Oui...
Elle regarda le corbeau, étalé sur le sol.
— C’est toi qui as fait ça ?
— Oui, répondit fièrement le garçon en lui souriant. C’est mon maître qui m’a appris !
— Merci ... Tu es Léon, c’est ça ?
— Oui, fit-il en rougissant et en se frottant l’arrière de la tête.
— Je m’appelle Eylen, dit-elle en lui tendant sa main libre. Tu m’as sauvé, sans toi j’aurais fini en charpie, je crois...
Le garçon fixa son bras en grimaçant.
— Oula ! Il t’a bien griffé !
Eylen observa son bras, le sang coulant des entailles qu’avait fait l’oiseau, ces dernières la lançant vivement.
— Oui. Je ne sais pas ce qui lui a pris...
— On devrait aller faire soigner ça, suis-moi. Mon maître saura te guérir.
— C’est bon, merci. Je suis guérisseuse, lui dit-elle en souriant. Je vais m’en occuper, tu peux y aller.
— Vraiment ?
Il la fixait de ses grands yeux bruns, le visage inquiet.
— Oui, ne t’inquiète pas. Je vais me débrouiller maintenant.
— Alors j’y vais... Bonne soirée.
— Oui à toi aussi, et merci encore.
Eylen regarda le jeune mage s’éloigner avant de se retourner vers le corbeau toujours au sol. Sa poitrine se soulevait à rythme régulier, indiquant qu’il était toujours vivant, seulement inconscient.
Elle s’approcha et s’accroupit près de lui. Il ressemblait à n’importe quel corbeau, aucun signe particulier ne le distinguant des autres oiseaux. Elle finit par tendre la main et toucha du bout des doigts ses longues plumes brillantes.
Aussitôt, la vision d’un autre lieu s’imposa à elle :
Le soleil éclairait le couloir en terre brune. Elle s’approchait d’un homme à la longue chevelure noire.
— Maître Raito ! Appela-t-elle d’une voix suave.
L’homme se retourna et lui adressa un doux sourire, la fixant avec gentillesse de ses yeux sombres et bridés. Sa peau était aussi pâle que celle d’Eylen et sa mère, et ses traits aussi exotiques que les leurs.
— Princesse ! Comment allez-vous ?
— Parfaitement bien, je suis en pleine forme !
— Ne forcez pas trop, excellence. Vous avez utilisé beaucoup de votre Energie hier durant notre cour.
— Ne vous inquiétez pas maître, je fais attention, dit-elle en posant sa main à la peau halée, recouverte de bagues aux pierres étincelantes sur la manche de l’homme.
Ce dernier posa sa fine main sur celle de la femme et lui adressa un doux regard.
— Je ne cesserai de m’inquiéter pour vous princesse. La pratique de la magie du sang est un art dangereux et vous devez faire attention de ne pas vous épuiser. Vous êtes précieuse...
La jeune femme gloussa.
— Précieuse pour l’empire ? Ou pour vous ?
— Les deux, princesse, le deux... répondit-il en lui tapotant la main.
— Serafa. Appelez-moi Serafa. Cela fait plusieurs fois que je vous le demande...
Une main se posa sur l’épaule d’Eylen, la ramenant d’un coup à la réalité. Elle était toujours dans le couloir qui longeait la cour, la lune éclairant faiblement sa main posée sur le corbeau assommé.
Une seconde main lui saisit la joue pour tourner son visage et elle se retrouva nez à nez avec l’empereur, accroupit à côté d’elle, la fixant avec inquiétude.
— Vous... dit-elle incapable de détourner son regard de ses yeux sombres.
— Que s’est-il passé ? Lui demanda-t-il. Tu ne répondais pas...
— C’est cet oiseau qui m’a attaqué.
L’empereur souleva son bras blessé, le sang coulant toujours de ses plaies.
— C’est lui qui t’a fait ça ?
— Oui. Il s’est mis à m’attaquer sans raison, je n’ai pas compris...
Une guerrière s’approcha silencieusement d’eux et s’accroupit à leur niveau, ses yeux gris fixés sur l’empereur. Eylen reconnu la dénommée Saki qu’elle avait vu plus tôt au banquet.
— Il n’y a personne aux alentours Votre Excellence...
— Vérifie encore, lui répondit-il sèchement sans la regarder. Faites le tour du palais.
— Bien.
La guerrière se releva et repartit aussi discrètement qu’elle était arrivée, les laissant à nouveau seuls avec l’oiseau.
— Inaya.
La guerrière surgit de derrière Eylen la faisant sursauter.
— Enferme ce corbeau et amène-le à l’Hadjib.
— À vos ordres.
Eylen l’observa faire, encore étourdie par ce qui venait de se passer. L’empereur l’aida à se redresser, et défit le foulard blanc de sa ceinture pour l’enrouler fermement autour de sa plaie.
— Viens, on doit nettoyer ça, fit-il en la tirant derrière lui.
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