Chapitre 23
Eylen se laissa faire, sa peau la picotant là où la main de l’empereur la tenait. Arrivés à l’angle de la cour, elle aperçut au fond d’un couloir, Marwen qui s’avançait vers eux.
— Marwen !
Mais oui ! C’était pour ça qu’elle était sortie du banquet, pour venir tout lui expliquer !
Elle essaya de se dégager de l’empereur pour aller le voir, mais ce dernier resserra sa prise sur son bras en se tournant vers elle, perplexe. Son regard alla alors jusqu'au mage qui s’avançait vers eux le visage inquiet.
— Lyne, ça va ?
Son regard se posa alors sur le bras de la jeune femme et il accéléra le pas.
— Tu es blessée ?
— Ce n’est rien, s’empressa-t-elle de le rassurer en s’avançant.
L’empereur poussa un soupir d’agacement avant de la tirer fermement en arrière.
— Nous n’avons pas le temps pour ça, dit-il en la dévisageant.
Eylen ouvrit la bouche pour protester, mais fut interrompu par le bruit d’une corne qui résonna non loin, suivi d’un deuxième. L’empereur tourna vivement la tête en direction du son et Eylen sentit ses muscles se contracter tandis qu’il resserrait sa main sur son bras.
— Qu’est-ce que c’est ? Lui demanda-t-elle inquiète.
— Ce sont les gardes de l’entrée de la ville. Ils annoncent l’arrivée des démons, lui répondit-il froidement en lui faisant face.
La jeune femme revit l’image du taureau blanc géant qui les avait suivis hors de la frontière et frissonna de tout son corps.
L’empereur s’était à nouveau tourné vers la cour, les mâchoires crispées, semblant hésiter. Il se tourna finalement vers Marwen, le regard dur.
— Il est temps de me prouver que je ne vous ai pas laissé la vie sauve pour rien.
Marwen se redressa, bombant les épaules et lui rendit son regard.
— Il n’a jamais été question que je combatte des monstres.
— Je ne vous demande rien de tel, cette tâche est réservée aux guerriers, répondit l’empereur avec un sourire mauvais. Suivez-moi.
Il se retourna sans attendre la réponse du mage et traîna Eylen derrière lui en direction de la salle du banquet.
Une fois arrivés devant l’entrée, ils virent Babil et plusieurs guerriers qui en sortaient à la hâte. Ces derniers s’arrêtèrent lorsqu'ils les aperçurent et inclinèrent respectueusement la tête devant l’empereur qui leur adressa plusieurs ordres dans leur langue avant qu’ils ne repartent en direction de l’entrée du palais.
Le mage Rainir se tenait dans l’ouverture de la porte, attendant certainement que l’empereur lui dise quoi faire.
— Rainir, réunissez vos élèves et dirigez-vous vers les murs de la ville. Le mage Marwen va vous assister pour ériger une barrière. Certains de mes guerriers vont vous guider.
Le mage blond jeta un regard surpris en direction de Marwen avant de s’incliner.
— Bien, votre grandeur.
Il rentra en vitesse dans la salle à la recherche de ses élèves et revint quelques instants plus tard, suivit d’une dizaine d’Elariens, dont le jeune Léon qui lançait des regards inquiets tout autour de lui.
Eylen eut envie d’aller le rassurer, mais ses jambes s’étaient changées en coton et donnaient l’impression de pouvoir s’effondrer au moindre pas.
— Il est temps pour vous de donner votre premier cours à vos apprentis, maître Marwen, lâcha l’empereur en se tournant vers ce dernier qui était resté derrière Eylen.
Marwen fixa l‘empereur un instant, semblant hésiter à contester son ordre, mais finit par acquiescer et s’avança pour rejoindre Rainir et le groupe de jeunes Elariens. Deux étrangers s’approchèrent alors pour les escorter et ils disparurent de l’autre côté de la cour.
L’empereur se dirigea à nouveau vers le couloir qui menait à leurs appartements sans dire un mot à Eylen qui finit par tirer vivement sur son bras pour se libérer.
— Lâchez-moi !
— Aahhh... Je n’ai pas le temps pour ça, soupira-t-il en se retournant vers elle. Tu dois retourner dans ta chambre !
— Pourquoi ?
— Pour ta sécurité ! S'énerva l’empereur en s’approchant d’elle. Je dois aller chasser les démons qui menacent la ville, et toi, tu dois rester dans ta chambre, en sécurité.
— Et Marwen ? Et les Toréens ?
— Ils ont choisi de nous suivre, répondit-il froidement, ils devront se battre eux aussi pour l’empire désormais.
Eylen recula, horrifiée.
— Mais... ce sont des enfants ! dit-elle en songeant à Léon et à l’expression apeurée qu’il avait sur le visage.
— Plus maintenant.
Il lui tourna le dos et avança à nouveau le long du couloir tandis que la jeune femme restait obstinément sur place.
— Eylen... finit-il par dire en se retournant vers elle. Viens ici !
La jeune femme sentit son corps répondre à l’appel instinctivement et lutta de toute ses forces contre l’envie d’obéir qui s’empara soudainement d’elle.
— Est-ce aussi comme cela que vous avez forcé les Toréens à vous suivre ? Questionna-t-elle entre ses dents serrées.
L’empereur la fusilla du regard et poussa un grognement avant de s’avancer vers Eylen, figée par la peur. Une fois face à elle, il se baissa et l’attrapa vivement pour la balancer de force par-dessus son épaule.
— Ah ! Non ! S'exclama-t-elle en se débattant, la migraine lui vrillant le crâne.
— Tais-toi !
Eylen se mordit les lèvres, folle de rage, tandis qu’il passait la porte de la chambre. Il la jeta alors sans ménagement sur le lit et ressortit sans un mot, la laissant seule avec sa colère.
Eylen ouvrit les yeux avec la sensation étrange d’être observée. La chambre était plongée dans le noir, seulement éclairée par la faible lueur de la lune. Elle tenait dans sa main une tige de fleur de pureté fanée et ne ressentait plus aucune douleur dans son bras droit.
Aucun son ne lui parvenait, Inaya devait se trouver derrière la porte de la chambre où elle s’était postée plus tôt quand elle l’avait rejoint.
Sans oser bouger, la jeune femme balaya la pièce du regard, ses yeux se posant instinctivement sur l’ouverture de la fenêtre. Deux petites sphères lumineuses brillaient de l’autre côté de la vitre, la fixant intensément. Eylen se figea, bloquant sa respiration.
Inaya était juste derrière la porte, un cri suffirait à l’alerter. Pourtant, elle n’en fit rien, incapable de détacher son regard des deux ronds brillants.
Soudain, les yeux bougèrent en direction de la porte et disparurent dans la nuit. Eylen demeura immobile encore un instant avant de reprendre sa respiration. Elle se redressa quand la porte s’ouvrit sur l’empereur.
Combien de temps s’était écoulé entre son départ et cet instant ? Le ciel était encore sombre, la jeune femme supposa que seules deux ou trois heures avaient dû s’écouler. L’empereur alluma l’une des lampes à huile fixée au mur et s’avança vers elle.
Sans un mot, il tendit la main pour attraper son bras et l'examina le visage fermé.
Du sang sombre tachait ses vêtements de fête par-dessus lesquels il avait enfilé une cuirasse de protection. Eylen sentait la colère qui se dégageait de lui, comme une force oppressante et sourde.
— Comment te sens-tu ? Lui demanda-t-il en posant une main sur le front de la jeune femme.
Eylen ferma les yeux et sentit immédiatement sa migraine s’atténuer jusqu’à disparaître. Elle lutta contre l’envie de s’appuyer sur sa main et rouvrit les yeux.
— Comment vont les jeunes mages ? Et Marwen ?
L’empereur ricana et se redressa.
— Ils vont bien. Ils sont restés à l’abri des murs, aucun démon n’a pu les approcher.
Il retira sa cuirasse, dévoilant son torse souillé et se dirigea vers la coiffeuse où une bassine d’eau était posée. Eylen le suivit du regard, hésitant à le questionner un peu plus tandis qu’il se nettoyait. Elle l’observa faire, les son muscles de son dos roulants sous sa peau à chacun de ses gestes.
Ses yeux remontèrent jusqu’au miroir de la coiffeuse où l’empereur la dévisageait avec un air amusé. Ses joues s’enflammèrent immédiatement et elle se tourna vivement, fixant obstinément le mur en grimaçant.
— L’Hadjib a examiné le corbeau qui t’a attaqué, dit-il en se servant un verre d’alcool.
Eylen se retourna vers lui, intriguée.
— Il est mort.
— Mort ? Mais il respirait encore tout à l’heure !
— Son cœur s’est arrêté lorsque l’Hadjib a essayé de le réveiller, expliqua-il en s’asseyant sur l’un des fauteuils face à elle. Le coup que tu lui as donné était peut-être trop pour lui.
Eylen se mordit la langue sans répondre. Elle n’avait pas dit à l’empereur que c’était le jeune Léon qui l’avait sauvé. Inutile de l’impliquer là-dedans.
— Il n’a rien trouvé d’autres ?
— Qu’aurait-il dû trouver ? la questionna-t-il en levant un sourcil.
— Je ne sais pas. Mais un corbeau n’attaque pas les gens sans raison.
— Non, en effet... Raconte-moi ce qu’il s’est passé.
— Je suis simplement sorti prendre l’air et j’ai vu l’oiseau dans la cour, perché sur un arbre. Quand j’ai tenté de m’éloigner, il s’est envolé et m’a bloqué le passage. Ensuite, il a fondu sur moi pour m’attaquer, sans raison, et je l’ai assommé avec mon plateau.
— C’est tout ?
— Oui.
Un long silence s’installa tandis qu’il la dévisageait en sirotant son verre, la jeune femme faisant de son mieux pour contrôler les battements de son cœur.
L’empereur termina sa boisson et se relava pour la rejoindre près du lit. Il posa ensuite son verre sur la table de chevet et posa sa main sur la joue d’Eylen, lui redressant le visage pour la dévisager.
— Le collier que tu portes me permet de savoir lorsque tu me mens ou quand tu me caches quelque chose.
Le cœur de la jeune femme s’arrêta et elle sentit le sang quitter son visage. Il lui caressa la joue doucement, glissant lentement sa main derrière sa nuque. Il attrapa alors vivement ses cheveux et tira sa tête en arrière tout en se penchant vers elle. Eylen posa sa main sur celle de l’empereur et laissa échapper un cri de douleur.
— Dit moi ce que tu me caches.
Eylen pinça les lèvres et le fusilla du regard, envahie de colère. Il poussa un juron et attrapa le visage de la jeune femme de son autre main.
— Réponds !
— ... Une vision... répondit-elle entre ses dents serrées.
— Quelle vision ? Demanda-t-il en resserrant sa poigne sur ses joues.
Eylen sentit les larmes lui monter aux yeux sous la douleur.
— J’ai eu une vision en touchant l’oiseau...
L’empereur relâcha son visage et l’observa, déconcerté.
— Qu’as-tu vu ?
Eylen lui raconta alors sa vision tout en massant ses joues endolories. Il finit par relâcher ses cheveux et se tourna vers la fenêtre en réfléchissant.
La colère qui l’habitait semblait s’être apaisée, mais l’air autour de lui semblait toujours aussi pesant et suffoquant. Une puissance sourde, semblable à celle qu’elle avait perçu dans le taureau géant, se dégageait de lui, l’attirant sans qu’elle ne sache pourquoi. Elle se pencha inconsciemment vers lui, s’imprégnant de L’Energie qui l’entourait, l’appelant involontairement à elle et la sentit s’engouffrer dans son propre corps, comme si elle l’absorbait.
Aussitôt, les épaules de l’empereur se détendirent et elle ressentit une vague de chaleur agréable lui parcourir le corps de part en part. Elle avait l’impression d’enfin remplir le vide persistant qui l’habitait.
L’empereur soupira avant de se tourner vers elle.
— Tu devrais dormir, lui dit-il.
— Et vous ?
Il la dévisagea surpris.
— Vous semblez épuisé, dit-elle en observant son visage tendu.
— Je vais aussi me reposer, dors maintenant, lui dit-il en faisant le tour du lit.
Eylen s’allongea et ferma les yeux, soudainement épuisée. Elle entendit l’empereur s’installer à ses côtés tandis qu’elle sombrait dans le sommeil.
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