Chapitre 27
Qahir avançait à vive allure dans le couloir des prêtresses de divination, chacun de ses pas résonnant dangereusement sur le sol de marbre.
La colère couvait en lui, sourde et froide.
Il ouvrit la grande porte sombre du bureau de la grande prêtresse sans prendre la peine de s’annoncer et entra sans attendre d’invitation.
Aussitôt, les effluves d'encens et de fleur d’oranger vinrent lui chatouiller les narines, ravivant en lui des souvenirs nostalgiques de son passé.
— Qahir, le salua la chaude voix d’Aamal.
Elle se tenait debout derrière son bureau, face à la grande fenêtre, observant le soleil couchant de la fin d’après-midi. Ses longs cheveux noirs ondulaient librement dans son dos, un voile violet d’où pendaient de petites pièces dorées recouvrait le haut de son crâne et descendait sur ses épaules dénudées. Sa robe mauve, faites de tulles fluides, s’ouvrait sur son dos, dévoilant sa peau halée, et retombait harmonieusement jusqu’au bas de ses pieds.
Lorsqu’elle se retourna vers lui, un grand sourire aux lèvres, ses magnifiques yeux gris envoûtants plongèrent comme à leur habitude dans les siens.
Qahir serra les dents et laissa libre cours à sa colère, s’enveloppant dans son aura froide et sombre.
— Aamal.
La prêtresse s’avança jusqu’à lui, ignorant totalement la fureur qui couvait en lui et l’aura destructrice qui l’entourait.
— Bon retour chez vous, empereur, prononça-t-elle en s’inclinant avec grâce.
Qahir continua de la fixer, les mâchoires toujours crispées. Se moquait-elle de lui à nouveau ?
— Vous deviez être trop occupée pour venir m’accueillir devant le palais ?
— C’est un honneur qui est réservé seulement à vos épouses, votre grandeur, lui répondit-elle en toute sérénité.
Qahir lâcha une brève exclamation moqueuse tandis qu’elle s’avançait dans le petit salon sur sa droite.
— Une tasse de thé ? Lui demanda-t’elle en attrapant la théière encore fumante.
Qahir soupira avant de s’installer face à elle, regardant la prêtresse qui lui servit une tasse sans attendre sa réponse.
— Votre voyage a-t-il été productif ? Lui demanda-t-elle en poussant la tasse devant lui.
— Ne tournons pas autour du pot, répondit-il agacé. Dis-moi d'abord ce qu'il en a été des affaires de la cité durant mon absence.
Aamal sembla contrariée par le changement de sujet, mais se contenta de prendre une gorgée de thé.
Elle fit un topo rapide sur la culture et les événements qui avaient eu lieu durant ses deux années d’absences avec une efficacité évidente, se contentant d’énoncer les faits les plus marquants ou important.
Musa lui avait fait un exposé similaire à celui de la prêtresse, mais Qahir tenait à vérifier l’honnêteté de cette dernière, la soupçonnant de lui cacher volontairement certaines informations. Notamment sur les étranges actions des prêtresses de sang durant son absence que l’Hadjib lui avait révélé.
— Qu'en est-il des différents palais ? La questionna-t-il en portant la tasse fumante à ses lèvres.
— Vos deux épousent ont œuvré ensemble au bon maintien des palais et de la cité, elles ont su gérer les affaires commerciales et sociales avec les différentes tribus du désert.
— Mmm... Et pour ce qui est du palais des prêtresses ?
Aamal reprit une gorgé de son thé, semblant hésiter.
— Les prêtresses ont commencé un projet d’envergure sur les défenses des murs et le renforcement de l’armée. Pour ce faire, nous avons eu besoin de l’aide du peuple. Des collectes de sang ont donc été mises en place auprès de la population. Ils ont bien sûr été récompensés pour leurs dons.
Qahir acquiesça silencieusement en regardant sa tasse, Musa l’ayant déjà informé de la situation.
— Sous les ordres de qui ?
Aamal fronça les sourcils, déconcertée.
— Les miens. Finit-elle par admettre à contre-cœur.
Qahir releva les yeux sur la prêtresse, la fixant calmement.
— Qu’en est-il des Garandïs qui gardent les portes de tes appartements ? Ainsi que ceux qui t’escortent lors de tes déplacements dans la cité ?
La prêtresse le dévisagea, faisant mine de ne pas comprendre.
— Ils assurent ma sécurité...
— Qui leur en a donné l’ordre ?
— ... C’est moi...
— À qui les Garandïs ont-ils juré allégeance et fidélité ? Lui demanda-t-il en haussant la voix cette fois-ci.
— À l’empereur, répondit-elle.
Qahir se releva, posant sa tasse de thé toujours pleine sur la table en bois verni et s’approcha de la grande prêtresse qui se releva pour lui faire face.
— As-tu cru que je ne reviendrai pas ? Lui demanda-t-il froidement.
— À aucun moment je n’ai douté de votre retour votre Excellence, lui répondit-elle en baissant humblement la tête. J’ai outrepassé mes droits... continua-t-elle doucement.
— En effet, souffla Qahir en relevant doucement son menton du bout des doigts. Mais je vais m’assurer que chaque chose reprenne la place qui lui est dû...
Il continua de la fixer un instant, cherchant une pointe de colère ou d’agacement dans les yeux gris de la grande prêtresse, mais n’y vit rien de cela, cette dernière affichant un visage totalement neutre et digne.
— t’ai-je manqué ?
— Terriblement, majesté, répondit Aamal doucement.
Qahir lui sourit et s’écarta.
— Merci pour le thé, dit-il en se retournant pour quitter la pièce.
Lorsqu’il se tourna pour voir les portes se refermer, Aamal était toujours au même endroit, les yeux fixés sur lui et les poings serrés sur le voile de sa robe mauve.
Qahir était assis sur un large fauteuil en bois sculpté, face au terrain d’entraînement du palais impérial, une jambe croisée sur l’autre, le menton posé sur sa main gauche.
À l’extérieur des murs la cité se mettait lentement en éveil, préparant les festivités pour le retour de l’empereur, qui durerait une bonne dizaine de jours.
Devant lui se tenaient les Garandïs, tout de noir vêtus et agenouillés, fixant au sol.
L’empereur laissait libre cours à son aura destructrice, l’étendant jusqu’à chaque recoin de la cour en terre, la faisant peser sur les épaules de chacun.
Il les avait fait réunir ainsi depuis son retour du palais de la grande prêtresse, les obligeant à rester inclinés en silence jusqu’à ce que le soleil se couche complètement.
La sueur perlait sur le front de certain d’entre eux, certains même tremblants imperceptiblement.
Qahir lâcha un bref soupir avant de se relever et commença à déambuler entre les rangs des quelques cinq cent guerriers surentraînés, totalement immobiles.
Il avait fait placer à l’avant tous ceux qui s’étaient approchés de près ou de loin du palais des prêtresse ou des concubines.
— Deux hivers ont passé depuis mon départ pour les terres d’Elaria. Les terres de nos ennemis. Commença-t-il d’une voix puissante qui résonna à travers toute la cour. J’ai laissé ma cité entre les mains de mes plus valeureux guerriers. Afin que vous protégiez au mieux mon peuple. En cela, vous avez rempli mes attentes.
— C’est un honneur de servir notre Empereur ! Récitèrent fièrement les guerriers en cœur.
— Deux longues années. Certains ont dû penser que je ne reviendrai peut-être pas... Peut- être votre fidélité s’est-elle estompée durant ces longs mois d’absence ?
— Non, votre grandeur ! Clamèrent à nouveau tous en cœur les Garandïs, toujours tête baissée. Les Garandïs jurent fidélité à l’empereur des sables ! Nous existons pour le servir ! Qahir continua d’avancer entre les guerriers, laissant peser sur la cour un lourd silence. Une fois revenue devant le premier rang, il s’arrêta devant un jeune Garandï qui semblait à peine avoir atteint la majorité. Des gouttes de sueur coulaient le long de son front jusqu’à la pointe de son nez.
— Pourtant, il m’a été rapporté des faits étranges. Il semblerait que l’allégeance de certains ait changé de maître durant mon absence, dit-il en s’accroupissant devant le Garandï.
Il attrapa d’un geste vif le poignard accroché à sa ceinture et posa la lame sous le menton du garçon, lui relevant le visage. Les yeux bruns du jeune guerrier restèrent fixés sur le sol.
— Les Garandïs jurent fidélité à l’empereur, dit-il d’une voix forte. Nous donnons notre vie à l’empereur ! Nous existons pour le servir !
Qahir se pencha sur le Garandï, approchant son visage du sien.
— J’aurais aimé te croire mon garçon, lui chuchota-t-il à l’oreille, sentant les effluves de fleur d’oranger et d’encens qui s’étaient accrochés à ses vêtements. Vraiment...
Il posa sa main libre à l'arrière de la tête du jeune guerrier tandis qu’il enfonçait lentement sa lame au travers de sa gorge, le sang chaud coulant sur sa main.
Le garçon émit un faible son, crachant du sang sur l’épaule de l’empereur avant de s'écrouler au sol, mort.
Qahir se redressa, essuya la lame ensanglantée sur son pantalon blanc et releva les yeux sur le reste des troupes toujours inclinées.
— Debout ! Cria-t'il avec force.
Tous les Garandïs se levèrent de concert, à l’exception d’une dizaine de guerriers, maintenus au sol par l’écrasante aura de l’empereur. Ce dernier n’eut qu’un regard à jeter et les Garandïs qui se trouvaient derrière les traîtres se baissèrent pour leur trancher la gorge.
— Nous jurons fidélité à l’Empereur ! Clamèrent puissamment l’ensemble des Garandïs en cœur. Nous donnons notre vie à l’empereur ! Nous existons pour le servir ! Vive Mokhtar !
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