Chapitre 28

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Eylen suivait la servante à la peau sombre à travers les couloirs du palais impérial, la respiration bloquée par le stress.

Elle était restée une bonne heure, seule dans sa chambre à se reposer dans son lit avant que l’étrange femme n’entre. C’était la première fois qu’elle voyait quelqu’un à la peau aussi sombre et aux traits si étranges. Elle avait de hautes pommettes, un nez écrasé et une large bouche aux lèvres pleines. Elle s’était présentée comme étant une servante du palais des concubines, l’informant que la princesse Shaïa demandait à s’entretenir avec elle de toute urgence.

Eylen avait hésité un instant, avant de réaliser qu’elle n’était certainement pas en position de refuser une entrevue avec une princesse impériale. L’empereur lui avait clairement dit qu’elle pouvait se balader librement dans l’enceinte du palais “ — Tant que tu ne quittes pas les murs de la cour intérieure”, avait-il précisé avant de la laisser seule dans sa chambre.

Elles venaient de sortir du magnifique édifice par une petite porte et se trouvaient désormais à l’angle de la grande cour pavée qu’elle avait traversé avec l’empereur.

— Excusez-moi, demanda-t-elle en approchant de la servante. Où la princesse souhaite-t-elle me rencontrer ?

— Au jardin, répondit la femme avec un fort accent.

Eylen acquiesça et lui emboita le pas. Alors qu’elles arrivaient devant le mur blanc, face à une grande porte en bois rouge, elle sentit une certaine angoisse naître en elle. Je suppose qu’il ne s’agit pas du mur de la cour intérieure ? Se dit-elle en scrutant les alentours. Aucun garde n’était présent, la cour restant étrangement déserte. Où sont-ils tous passés ? Se demanda t’elles en repensant aux étranges guerriers vêtus de noir qu’elle avait croisé à son arrivée.

La servante ouvrit une petite porte sculptée dans le battant de la grande porte et Eylen fut encore une fois étonnée par l'absence de garde. Mais après tout, si cette porte menait au jardin du palais des guerrières Suharis, elles n’avaient certainement pas besoin de guerriers pour veiller sur elles.

Elles avancèrent alors dans une magnifique oasis de verdure où résonnaient les chants mélodieux de dizaines d’oiseaux. Les chemins sur lesquels elles marchaient étaient fait de petits galets blancs, bordés d’étranges plantes exotiques aux grandes feuilles vertes et aux fleurs rouge vif qui cachaient la vue, lui faisant oublier la présence de la cité et des murs gigantesques qui l’entouraient.

Eylen s’arrêta pour contempler de superbes fleurs aux longues pétales orange et violette qui ressemblaient étrangement à une tête d’oiseau, laissant son esprit dériver librement.

L’image de l’iempereur s'imposa aussitôt à elle. Elle repensa à la colère qui l’avait animé plus tôt. Qu’est-ce qui l’avait tant contrarié ? Qui était réellement cette grande prêtresse dont lui avait parlé Inaya ? Et pour quelle raison l’empereur lui avait-il semblé si triste et seul lorsqu’il l’avait quitté plus tôt ?

Elle continua d’avancer tout en réfléchissant et arriva à un petit carrefour. Cherchant son chemin, elle réalisa alors qu’elle avait perdu de vue la servante, se retrouvant seule au milieu du jardin.

Le soleil commençait à se coucher et la jeune femme s’apprêtait à faire demi-tour vers le mur qui donnait sur la cour du palais impérial, quand des bruissements à sa gauche lui firent tourner le regard. Elle aperçut alors une ombre qui se jetait sur elle, une lame pointée au-dessus de sa tête.

Elle eut à peine le temps de lever les mains pour empoigner les bras de son assaillant, qu’elle se retrouva plaquée au sol, son dos percutant douloureusement les graviers. Elle reconnut aussitôt la servante à la peau noire qui la dominait, assise sur son ventre, essayant avec force d’abaisser son arme vers le cou d’Eylen. Elle réalisa que son bandeau s’était détaché de ses yeux quand le visage de la femme se figea en apercevant le visage à découvert d’Eylen.

Dorogaï ! cracha-t-elle avec férocité, son regard s’emplissant de haine

— Non ! Laissez-moi !

Eylen repoussa la femme en arrière et tenta de reculer, mais cette dernière fut plus rapide et se releva d’un coup avant de plonger à nouveau sur elle. Elle leva alors les bras pour se protéger et ferma les yeux, attendant le choc qui ne vint pas.

Un son rauque, semblable à un ettouffement, s’échappa de la femme et Eylen rouvrit les yeux, observant son assaillante au travers de ses bras. Cette dernière se tenait face à elle, sur les genoux, les yeux grands ouverts en une expression surprise, puis elle tomba en avant et s’écroula face contre terre, un couteau planté dans son dos.

Terrifiée, Eylen entendit alors des pas qui s’approchaient rapidement. Relevant les yeux, elle reconnut la princesse des guerrières Suharis, Shaïa, qui s’approchait, regardant tout autour d’elle avec inquiétude.

— C’est bon, il n’y a personne d’autre, lui dit-elle d’une voix douce et posée en s’accroupissant auprès d’elle.

Elle avait de grands yeux gris et sa longue tresse retombait élégamment devant sa poitrine généreuse.

— Tout va bien ? lui redemanda la guerrière en la dévisageant.

— Oui, répondit Eylen en vérifiant ses bras, le cœur encore battant.

Elle se releva et tata son dos douloureux du bout des doigts. Elle réalisa alors que son bandeau était resté au sol, dévoilant toujours l’intégralité de son visage. Shaïa l’observait avec un air étrange mais elle ne sentit aucune animosité dans son regard. Eylen leva immédiatement une main devant ses yeux et sempresser de ramasser le bandeau et le remettre en place.

— Tu es donc la fameuse Eylen, lui dit-elle avec un petit sourire.

— Votre Grâce, s’empressa de répondre Eylen en s’inclinant.

Elle grimaça, ne sachant pas quel était le protocole pour saluer une princesse guerrière, encore moins l’épouse d’un empereur. Inaya lui a déjà parlé de moi ? Ou peut-être était-ce l’empereur lui-même. Après tout, cela faisait déjà quelques heures qu’ils étaient arrivés, il avait très bien pu rendre visiter à son épouse.

— Que faisais-tu ici ? Je suis presque certaine que l’empereur ne t’a pas donné l’autorisation de te promener hors du palais impérial...

La jeune femme se mordit les lèvres en réfléchissant. Aurais-je franchi les murs de la cour intérieure ? En même temps, personne ne m’a donné le plan de ce fichue palais !

— La servante est venu me chercher, elle a dit que vous aviez demandé à me voir.

Shaïa leva les sourcils, surprise.

— Quelle servante ?

— Celle-ci, dit Eylen en pointant la femme morte, allongée derrière la guerrière.

Shaïa s’avança vers le corps, le retourna sur le dos et se pencha dessus pour observer son visage.

— Cette femme n’est pas une servante du palais. Ni même de la cour extérieure... Elle vient certainement de la cité, ou de plus loin... Elle se redressa pour faire à nouveau face à Eylen. Les gardes vous ont laissé passer ?

— Nous n’en avons pas croisé... répondit Eylen réalisant à quel point elle s’était montré crédule.

Bien sûr que des gardes auraient dû garder la porte du mur ! Songea-t-elle en rougissant de honte.

La guerrière sembla voir son tourment, car elle posa une main sur son épaule et sourit.

— Ne vous en veuillez pas trop. Vous venez d’arriver, il est normal que vous soyez encore un peu perdue. Venez, je vais vous reconduire jusqu’à vos appartements.

— Et la femme ? demanda Eylen, se tournant vers la femme sans vie.

— Mes guerrières vont s’en occuper, répondit la princesse en avançant.

Quelques minutes plus tard, elles arrivèrent devant la grande porte qu’Eylen avait traversée avec la fausse servante. Deux gardes vêtus de noir étaient postés devant, le visage dur.

Shaïa s’avança jusqu’à eux le dos bien droit et s’adressa autoritairement à eux. La discussion sembla s’envenimer, Eylen ne pouvant comprendre leur langue, elle supposa que la princesse leur demandait des comptes quant à leur abasence car peu à peu, le visage des gardes se décomposa, tandis que la guerrière continuait son monologue avec fougue. Finalement ils acquiescèrent, l’un d’eux partis en courant dans la direction d’où elles arrivaient et l’autre frappa deux coups sur la grande porte qui s'ouvrit lentement sans un bruit.

De l’autre côté du mur, la cour impériale était plongée dans l’obscurité de la nuit. Le soleil s’était rapidement couché et des torches, placées tout le long du grand mur et devant le palais avaient étaient allumées, les guerriers en noir ayant chacun repris leur poste devant les portes.

Au loin, Eylen aperçut l’empereur qui se dirigeait rapidement vers l’entrée du palais, les épaules droites et les poings serrés.

— Son Excellence semble contrariée, lui souffla Shaïa en s’arrêtant.

— Il semble plutôt attristé, répondit machinalement Eylen, soudain envahie par une lourde peine

Shaïa la dévisagea étrangement.

— Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

Eylen la regarda sans comprendre, puis fixa le collier doré que la guerrière portait également autour du cou.

— Je suppose que c’est grâce à ce collier...

— Certainement pas, répondit la princesse d’un ton catégorique.

— Et bien, je ne sais pas alors... Une intuition peut-être ?

Shaïa hocha de la tête avant de repartir vers l’entrée du palais.

— De toute façon, ce que j’ai à lui dire ne risque pas d'arranger son humeur. Tu devrais rester dans tes appartements, le temps que je m’entretienne avec mon époux.

Eylen acquiesça silencieusement, sa gorge se serrant. Il va encore m’enfermer dans une chambre pendant des jours... songea-t-elle avec amertume.

La guerrière la raccompagna jusqu’à sa chambre, la salua avant de fermer la porte et elle l’entendit frapper quelques coups à la porte voisine. Les appartements de l’empereur étaient collés à sa chambre, les deux pièces reliées par une petite porte en bois noir sculptée.

La voix de l’empereur résonna contre les murs lorsqu’il invita la guerrière à entrer. Eylen tendit l’oreille quand la porte se referma de l’autre côté, mais ne parvint à entendre que des sons étouffés. Elle renonça à coller son oreille à la petite porte sombre et s’assit sur son lit, observant la flamme de la lampe à huile accroché au mur. De toute façon, je ne comprendrais pas un traitre mot de ce qu’ils se disent.

Elle passa les bras autour de ses jambes repliées, sentant le froid de la nuit s'installer peu à peu dans la pièce. La peur et le stress des derniers événements étaient en train de retomber et son corps se mit à trembler sans raison. Elle aurait donné cher pour se retrouver à la fuste, dans la petite maison en bois de la vielle guérisseuse. Elie lui manquait, Rose et ses enfants aussi. Elle ferma les yeux, essayant avec peine de se remémorer leurs visages. Plus de deux ans s’étaient déjà écoulés et leurs traits étaient peu à peu devenus flous au fil du temps.  J’aurai mieux fait de rester là-bas... Non, l’empereur m’aurait quand même trouvé, se dit-elle en tremblant plus fort encore.

La voix de l’empereur résonna soudainement à travers la porte.

— Eylen.

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