Chapitre 31

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Lorsque Marwen ouvrit les yeux, la chambre était encore plongée dans le noir. Il chercha instinctivement du regard Rainir qui dormait dans le lit voisin, mais là où aurait dû se trouver son compagnon de chambre, se tenait une silhouette imposante, assise sur le rebord du sommier face à lui. Il érigea instantanément barrière magique autour de lui et se redressa vivement avant de reconnaitre l’inconnu.

L’empereur laissa échapper un petit rire.

— J’aurai pu vous tuer au moins dix fois durant votre sommeil si je l’avais voulu, mage. Baissez cette barrière inutile.

Marwen s’exécuta à contre-cœur et attrapa ses lunettes posées sur la table de chevet.

— Votre Excellence, salua-t-il l’empereur en inclinant la tête. Que me vaut votre visite matinale ?

— J’ai besoin que vous me rendiez un service.

La voix de l’empereur était tendue, Marwen compris immédiatement qu’il ne pourrait pas refuser cet ordre.

— Je vous écoute.

— Eylen a été attaquée...

Marwen réagit aussitôt, tenta de se relever, mais l’empereur leva la main pour le stopper.

— Elle va bien, lui dit-il.

— Que s’est-il passé ?

— Une tentative d’assassinat. Une femme s’est faite passer pour une servante et a essayé de l’attaquer à l’abri des regards.

Marwen sentait la colère froide tapie derrière les paroles de l’empereur.

— Bien sûr, la femme est morte. Nous savons cependant que la tentative a été commanditée par quelqu’un d’autre.

Le mage fixa l’empereur, attendant la suite.

— Un enfant a été emmené dans le palais des prêtresses de sang hier, pour y être soigné. J’ai besoin que vous trouviez ce garçon et que vous découvriez qui l’y a fait entrer. C'est un jeune garçon à la peau sombre et chétif, il doit avoir sept ou huit ans.

— Ne pouvez-vous pas demander directement aux prêtresses ? Vous êtes l’empereur, exprima tout haut le mage, perplexe.

— Justement, soupira l’empereur. Si je pose moi-même la question, je ne ferai qu’attirer l’attention sur l'incident, et ce n’est pas ce que je veux. J’ai besoin que la question soit réglée en toute discrétion.

— Je vois.

— Bien sûr, vous ne direz rien de tout cela à qui que ce soit, continua froidement l’empereur.

— Oui.

Aussitôt, Marwen sentit le petit bracelet doré chauffer contre son poignet.

— Bien, fit l’empereur en scrutant son regard.

Il se redressa et s’avança vers la porte.

— Attendez ! S'exclama le mage en se levant à son tour. Comment vais-je entrer dans le palais des prêtresses ?

— Les prêtresses de sang sont chargées de soigner nos blessés graves, lui dit alors l’empereur en lui lançant un coup d’œil par-dessus son épaule.

Sans un mot de plus, il ouvrit la porte et disparut dans le couloir sombre, laissant Marwen seul au milieu de la chambre.

Rainir revint rapidement dans la chambre et lui adressa un regard inquiet.

— Tout va bien ?

— Oui...

— Vous semblez bien pâle, insista lejeune mage en s’approchant.

— Ce n’est rien, éluda Marwen en repoussant la main du mage qui tentait de prendre sa température. Nous devrions y aller, les novices ne vont pas tarder à se réveiller.

Le soleil commençait à peine à se lever quand ils arrivèrent tous ensemble dans la cour d’entraînement de Garidans. Ils avaient été logés dans l’une des ailes de la caserne des gardes, sous la surveillance de Babil et de ses hommes. Le palais Impérial se trouvait derrière le terrain, de l'autre côté du grand mur blanc, juste après la caserne des Garandïs. Une partie de la cour leur avait été dédiée afin qu’ils puissent confortablement s’entraîner sans gêner les guerriers.

— Aujourd’hui, vous allez apprendre à vous protéger d’une attaque magique, fit Marwen en s’adressant aux jeunes Elariens réunis devant lui. C’est légèrement différent d’une attaque de monstre ou d’épée et de flèche. Il s'agit-là de créer une barrière totalement hermétique à la magie ennemie, sinon celle-ci passera au travers de votre bouclier.

Les jeunes élèves écoutaient avec grand intérêt leur maître, concentré sur chacun de ses mots. Après quelques explications, ils passèrent rapidement à la pratique, Rainir se chargeant de créer une frappe magique, tandis que Marwen aidait les novices à ériger une barrière impénétrable. Quand les novices eurent correctement assimilé la technique, Marwen les sépara en plusieurs groupes de quatre afin d’unir leur force a trois pour se défendre de la faible attaque que leur avait enseigné le mage.

Deux élèves dont le jeune Léon restèrent seuls.

— Rainir et moi allons vous assister, proposa Marwen en faisant signe au mage blond d’approcher. Pour commencer, je vais vous attaquer, Rainir se joindra à vous pour ériger la protection.

Ils s’exécutèrent en silence durant quelques minutes.

— Bien, nous allons échanger les rôles maintenant.

Rainir fronça les sourcils et le dévisagea avec méfiance. Marwen sentit sa gorge s’assécher et déglutit péniblement.

— Vous allez unir vos forces pour m’attaquer. Vous pourrez ainsi ressentir ce qu’il se passe lorsque quelqu’un bloque votre magie, continua-t-il en essayant d'avoir l'air le plus décontracté possible.

Il ne devait rien laisser paraître s’il voulait que son plan fonctionne. Du coin de l’œil, il pouvait voir les Garidans qui s’entraînaient comme tous les jours. Ça doit faire naturel, comme un accident.

Les deux élèves joignirent leurs mains et se tournèrent vers Rainir qui restait immobile, dévisageant Marwen.

— Maître Rainir ? demanda le jeune Léon.

Allez, pensa Marwen en rendant son regard au mage. Ce dernier finit par tendre la main vers son jeune élève, les mâchoires crispées. Il était évident qu’il se doutait de quelque chose, mais Marwen avait promis à l’empereur de ne rien dire à personne et il sentait qu’il ne valait mieux pas trahir sa parole.

Il érigea devant lui une barrière protectrice et sentit la magie de Rainir en évaluer la force tandis qu’il aidait ses élèves à créer une lame de vents. Lorsque l’attaque fila vers lui, Marwen créa une fine brèche dans son bouclier qui se brisa sous l’attaque, celle-ci atteignant douloureusement son épaule gauche.

Avec un cri de souffrance, il tomba à genoux, une main sur sa blessure, le sang coulant chaudement entre ses doigts.

— Maître ! S'exclamèrent Léon et la jeune Mélissa en accourant.

Rainir les dépassa et posa ses mains sur l’épaule de Marwen dans l’espoir de le soigner, mais ce dernier le repoussa fermement en secouant la tête.

— Il faut stopper l’hémorragie.

— Non, fit le mage entre ses dents serrées.

La douleur lui vrillait le bras qui commençait à s’engourdir. Deux guerriers s’approchèrent la mine sérieuse.

— Vous êtes blessé ?

— Oui, j’ai mal évalué la force de mes élèves, répondit le mage en se redressant difficilement.

Rainir passa son bras sous l’épaule valide de Marwen pour le supporter et l’un des guerriers évalua rapidement la blessure avant de s’adresser à son compagnon dans leur langue puis de se retourner vers eux.

— Farid va vous accompagner jusqu’au palais des prêtresse, elles vont s’occuper de ça.

— Merci, souffla faiblement Marwen.

Ils s’apprêtaient à suivre le Garidan, mais le guerrier leur bloqua le passage.

— Juste vous, l’autre reste avec les enfants, dit-il en fixant Rainir. Seuls les blessés sont autorisés à pénétrer dans le palais des prêtresses.

Marwen vit le jeune mage grimacer du coin de l’œil, mais il finit par lâcher son compagnon et rejoignit les novices inquiets, laissant Marwen se faire guider vers la grande porte du mur blanc.

Marwen était allongé dans l’une des nombreuses couches de l’immense pièce en pierre grises, un rideau encadrant son lit le séparait des autres patients. la salle était silencieuse, seul le bruit des respirations des occupants des lits voisins résonnait dans l’espace clos. De largues fenêtres entrouvertes illuminaient la grande pièce, laissant passer un agréable courant d’air qui soulevait faiblement les rideaux blancs.

Les prêtresses s’étaient occupées avec efficacité de sa blessure et l’avaient pensée avec soin. On lui avait également donné une étrange potion sombre à avaler, dont le goût ferreux lui avait désagréablement rappelé celui du sang. Mais le mage s’était docilement laissé faire pour ne pas éveiller les soupçons, attendant qu’elle le laisse ensuite se reposer tranquillement.

Une fois seul, il tâtonna du bout des doigts son épaule encore douloureuse et y insuffla assez d’Energie pour endormir la douleur. Ce n’était pas aussi efficace que les remèdes qu’il préparait, mais ça ferait l’affaire jusqu’à ce qu’il atteigne sa chambre. Il était étonné que les prêtresses ne lui aient rien donné pour calmer la douleur. Est-ce parce que je suis un étranger ?

Les gémissements d’un patient à l’autre bout de la pièce lui indiquèrent qu’il n’était pas le seul à souffrir de ses blessures. Peut-être ne soignent-elles que les blessures sans se soucier de la douleur des patients. Il trouvait la pratique assez barbare, mais n’avait pas le temps de s’inquiéter de cela. Les prêtresses avaient quitté la pièce et il ne savait pas quand elles reviendraient, ni même si l’une d’elles n’était pas restée pour surveiller les malades.

Il sortit discrètement de son lit et ouvrit le plus silencieusement possible le rideau qui le séparait des autres blessés. Le couloir était vide, il s’y avança avec précotions, longeant les rideaux aux pieds des lits. Ceux-ci étaient presque tous entrouverts, certainement pour laisser passer la lumière.

La moitié des lits étaient inoccupés, chaque patient étant séparé d’une ou deux cabines de son voisin le plus proche. Il continua d’avancer, le dos courbé pour se faire le plus discret que possible, croisant en grande majorité des guerriers et quelques civils, mais pas d’enfants. Ce n’est qu’en arrivant au fond de la pièce qu’il découvrit un jeune garçon à la peau aussi sombre que le café, adossé à son oreiller, le regard perdu par la fenêtre.

Ça doit être le fameux garçon. Il se redressa et tira le rideau.

— Bonjour, fit-il en souriant au jeune garçon pour le rassurer.

L’enfant le dévisagea avec méfiance et Marwen grimaça. Il ne comprend certainement pas ma langue ! Il se retint de jurer et leva les mains en l’air. Rainir, qui avait étudié la langue du désert depuis deux ans, lui avait appris quelques mots ces trois derniers jours, mais il ne savait pas pour autant bien s’exprimer. Il se tapota la poitrine et se présenta.

— Marwen... Toi ? demanda-t-il en pointant le garçon du doigt.

Le jeune patient recula sans répondre.

La mage leva aussitôt les mains en l’air et recula. Il pointa la fenêtre pas laquelle on apercevait la cour intérieure du palais des prêtresses et s’en approcha pour mieux l’observer. Cette dernière était déserte, le soleil indiquait qu’il était l’heure du repas et elles devaient toutes être occupées à manger.

— Tali, lui dit timidement le garçon au bout d’un moment.

Marwen lui sourit gentiment et ouvrit le rideau pour s’asseoir sur le lit voisin, puis observa l’enfant. Il avait de grands yeux foncés et des cheveux noirs crépus qui formaient une couronne autour de sa tête.

Le garçon lui posa une question en désignant l’épaule du mage et Marwen reconnu le mot “blessé”, il acquiesça en portant la main à son épaule.

— Toi blessé ? Lui demanda-t-il à son tour.

— Non, fit le garçon.

Il pointa sa poitrine du doigt et prit de grandes inspirations sifflotentes. Une maladie respiratoire, conclut l’ancien guérisseur. C’était le genre d’affection rare difficile à soigner, même pour lui.

Il observa l’enfant, ne sachant comment faire pour lui demander plus d’informations quand des bruits de conversation résonnèrent dans le couloir.

Il se releva d’un bond et se précipita vers son lit, l’atteignant juste avant que la porte ne s’ouvre. Une femme parlait d’un ton neutre, la voix qui lui répondit avec autorité résonna familièrement dans les oreilles du mage.

Quelques secondes plus tard l’empereur apparaissait devant son lit, accompagné d’une prêtresse entièrement voilée de noir. Marwen le dévisagea avec surprise tandis que ce dernier donnait un ordre sec à la femme qui repartit aussitôt, refermant la porte derrière elle.

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