Chapitre 32

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Eylen se releva pour la centième fois au moins de la matinée. Chaque muscle de son corps la faisait souffrir, chaque respiration était difficile, et son cœur battait à toute allure contre sa poitrine, résonnant jusque dans ses oreilles.

— Encore, lui ordonna Inaya adossée nonchalamment au mur du terrain d’entraînement.

Eylen se raplatit aussitôt au sol pour se relever à nouveau et répéta l’opération tout en comptant dans sa tête. Un... Deux... Trois...

La guerrière l’avait réveillée aux aurores avec un sourire carnassier et une joie non dissimulée. Elles s’étaient rendues sur le camp d’entraînement des Garandïs, les gardes impériaux vêtus de noir. Ces derniers les avaient platement ignorées, se concentrant sur leur propre entraînement.

Après plusieurs tours de course qui avaient bien failli lui arracher les poumons, Inaya lui avait donné une série d’exercices plus épuisants les uns que les autres, dont justement celui qu’elle s’appliquait à effectuer depuis une bonne dizaine de minute.

La tenue blanche semblable à celle des guerrières qu’on lui avait donné le matin même était à présent recouverte de terre ocre et lui collait à la peau à chacun de ses mouvements. Quinze... Seize...

— Inaya !

Saki apparu de derrière Eylen, sa longue tresse se balançant à chacun de ses pas. Ses yeux jetèrent des éclairs lorsqu’elle s’adressa à Inaya dans leur langue, lançant des regards appuyés à Eylen. Inaya ne se laissa pas démonter pour autant et répliqua calmement à la guerrière, prononçant au passage le nom de l’empereur, Mohktar, qu’Eylen avait appris à reconnaître.

Saki serra les mâchoires et repartis le dos droit sans un regard pour la jeune femme.

— Qu’est-ce qui lui arrive ? demanda Eylen en se redressant.

— Rien qui te concerne, répondit un peu trop durement Inaya en croisant les bras.

— Vraiment, fit la jeune femme le souffle court. Bizarre, il m’a semblé qu’elle me fusillait clairement du regard...

Elle leva un sourcil interrogateur et dévisagea la guerrière patiemment. Inaya soupira et se frotta la tête.

— Elle n’est pas très enthousiaste à l’idée que je t’apprenne à te battre.

— Ah...

— Ce n’est pas personnel, Saki a toujours été la plus colérique des nôtres.

— Si ça l’est, répondit Eylen avec un petit rire amer. Elle me déteste depuis le premier jour où elle m’a vue.

— Ce n’est pas toi qu’elle déteste, ce sont les Dorogaïs.

La guerrière fixa sur Eylen un regard froid et distant.

— Elle s’y fera, continua-t-elle, c’est un ordre de l’empereur. Elle n’a pas son mot à dire.

Elle se pencha pour ramasser une outre et la tendit à Eylen qui l’accepta avec gratitude.

— Ne bois pas trop, lui conseilla la guerrière tandis qu’Eylen avalait l’eau avec soulagement.

— Merci, fit-elle en lui rendant la gourde.

— Bien, on va travailler tes réflexes maintenant. Tiens-toi droite, les mains derrière le dos et respire calmement.

La jeune femme s’exécuta, essayant de calmer sa respiration toujours saccadée. La guerrière prit alors deux petites balles en cuir, une dans chacune de ses mains, et les leva au-dessus de sa tête, face à Eylen.

— Je vais lâcher l’une de ces balles et tu devras la rattraper d'une seule main.

Eylen leva les yeux pour fixer les mains de la guerrière. Lorsque cette dernière lâcha la balle de gauche, Eylen tendit aussitôt sa propre main pour la rattraper, mais la balle fut plus rapide et tomba au sol avec un petit bruit sourd. Elle pesta et se précipita pour la ramasser avant de la rendre à Inaya qui tendit à nouveau les bras au-dessus d’elle.

Quand le soleil fut à son zénith, Inaya décida enfin d’octroyer une pose à Eylen et elles repartirent ensemble pour le palais impérial.

Une servante les rejoignit au bas des marches, s’inclinant humblement devant les deux femmes.

— La grande prêtresse souhaite vous rencontrer, dit-elle à Eylen, les yeux fixés au sol.

La jeune femme hésita, se tournant vers Inaya. La dernière fois qu’une servante était venue ainsi la chercher, c’était pour l’assassiner à l’abri des regards indiscrets.

Inaya fronça les sourcils, mais ne répondit rien, se contentant de fixer Eylen. Elle ne peut pas s’interposer...

— Je dois d’abord aller me changer, hasarda la jeune femme pour gagner du temps.

— Ça ne sera pas long, la prêtresse vous attend depuis un moment déjà, répondit la servante.

Eylen soupira et jura intérieurement. Encore une fois, elle ne pouvait pas refuser cette invitation.

— Bien, nous vous suivons.

— La guerrière n’est pas invitée, fit la servante avec un bref regard en direction d’Inaya.

— L’empereur m’a donné l’ordre de suivre l’étrangère partout où elle ira, intervint Inaya en s’interposant entre Eylen et la femme. Si elle doit se rendre au palais de la grande prêtresse, ce sera avec moi.

La servante pinça les lèvres, se retenant de contredire la guerrière et se retourna pour les guider. soulagée qu’Inaya l’accompagne, Eylen poussa un discret soupir avant de lui emboiter le pas.

Elles longèrent le palais impérial sur la gauche pour atteindre l’arrière de la cour. Une gigantesque porte donnait accès à une seconde cour pavée et fleurie. Elles passèrent devant une fontaine puis entrèrent dans un bâtiment en terre rouge et s’enfoncèrent dans les sombres couloirs, croisant de temps à autre des prêtresses, certaines entièrement voilées de noir, d’autres vêtues de longues robes sombres, toujours visage baissé.

Puis, la servante s’arrêta devant une petite porte et y frappa deux coups.

— Entrez, résonna une voix suave, derrière le battant.

La domestique ouvrit la porte et s’effaça pour laisser entrer Eylen et Inaya. En pénétrant dans la pièce, la jeune femme fut immédiatement envahie par l’odeur d’encens et de fleur d’oranger qui occupait tout l’espace. Derrière un grand bureau d’acajou, se tenait une femme, vêtue d’une élégante robe violine en soie brillante. Elle portait sur la tête un fin voile de la même couleur que sa tenue, d’où dépassaient quelques mèches de cheveu brun et fixait sur Eylen de magnifiques yeux gris en amande maquillés de noir.

— Eylen... Ravie de pouvoir enfin vous rencontrer, lui dit-elle en souriant. Je vous en prie installez-vous.

Elle désigna le petit canapé à gauche du bureau et s’avança vers elle avec élégance, tandis que son regard se posait sur Inaya.

— Il ne me semble pas vous avoir invité dame Inaya, lui dit-elle le regard froid sans se défaire de son sourire.

— Je suis chargée de la sécurité d’Eylen, répondit la guerrière en inclinant tout de même la tête.

— Elle ne craint rien ici, mais vous pouvez patienter devant la porte si vous le souhaitez.

La guerrière garda tête baissée, mais Eylen vit ses lèvres se pincer légèrement tandis qu’elle lui jetait un coup d’œil.

— Je suis certaine que l’empereur serait du même avis que moi, insista la prêtresse sans bouger.

— J’attendrai dans le couloir, répondit Inaya en se redressant avant de sortir.

La guerrière quitta la pièce et referma la porte derrière elle après avoir jeté un dernier regard inquiet à Eylen qui s’installa dans le canapé en tissus.

— J’ai préparé du thé, lui dit la grande prêtresse en lui servant une grande tasse fumante. Je vous en prie.

Eylen attrapa machinalement la tasse chaude et observa son hôte tandis qu’elle s’installait face à elle. N’y tenant plus elle finit par poser la question qui la taraudait.

— Pour quelle raison souhaitiez-vous me rencontrer ?

— Vous avez raison, inutile de tourner autour du pot, répondit la femme en posant sa tasse sur la petite table basse. Je suppose que l’empereur vous a déjà informé de la raison pour laquelle il vous avait amené ici ?

— Il a évoqué le fait que je devrai l’aider à faire franchir la frontière à son armée. Mais je ne vois absolument pas comment je pourrais faire ça, s'empressa-t-elle d’ajouter avec scepticisme. Je n’avais encore jamais traversé ni vu la frontière il y a trois joursde cela et je ne sais quasiment rien sur elle, si ce n’est ce que j’ai entendu dans les contes et  récits !

La prêtresse la dévisagea un instant et lui sourit doucement.

— Je comprends vos inquiétudes, et c’est pour cela que je vous ai fait venir aujourd’hui. La réponse que vous cherchez ne se trouve pas là où vous pensez, je vais vous aider à la trouver.

Eylen la regarda sans comprendre, encore plus perdue par ses mots.

— Buvez, insista la femme en désignant la tasse que la jeune femme tenait toujours entre ses mains.

Eylen examina alors l’infusion brun foncé qui fumais toujours dans le petit récipient en porcelaine.

— N’ayez crainte, il n’y aucun poison dans cette infusion, la rassura la grande prêtresse. Il s’agit d’un mélange particulier qui aide à avoir une meilleure perception et à mieux trouver ce que l'on recherche.

Eylen jeta un regard suspicieux à sa tasse avant de la porter à sa bouche et d’avaler une première gorgée. Le liquide chaud coula le long de sa gorge, lui laissant un goût amer et âpre sur la langue.

— Parlez-moi de vos parents. D’où viennent-ils ? Que font-ils ?

— Mon père était originaire d’Essert, il tenait la ferme familiale, ma mère était une ancienne nomade. Elle s’est installée à Essert lorsqu’elle a rencontré mon père et ils ont fondé notre famille. Ils sont tous les deux décédés il y a plusieurs années… souffla la jeune femme.

Elle avait répondu instinctivement, sans chercher à cacher quoi que ce soit. Sa bouche commençait à être pâteuse et elle sentait son esprit s'embrouiller légèrement.

— Votre père était donc originaire d’Elaria ?

— Oui, comme tous ses ancêtres.

— Et votre mère ? Savez-vous d’où elle venait ?

— Papa disait toujours qu’elle était venue de l’ouest...

— Vos parents vous ressemblaient-ils ?

Eylen fixa la prêtresse sans comprendre, l’esprit embrumé.

— Je vous demande s’ils vous ressemblaient physiquement... insista la femme.

— Oh... Ma mère seulement, on disait souvent que je lui ressemblais comme deux gouttes d’eau... Sauf les yeux. J’ai ceux de mon père...

Le visage de la grande prêtresse se figea un instant en une expression de franche surprise avant qu’elle ne reprenne son sérieux.

— Donc votre père n’était pas Dorogaï, mais votre mère oui ?

— Elle avait les mêmes traits que moi, mais je ne sais pas s'il s’agissait d’une Dorogaï tel que vous l’entendez... répondit Eylen avec hésitation. Ma mère ne m’a jamais parlé de ce peuple, elle avait grandi parmi des nomades toute sa vie avant de rencontrer mon père.

— Je vois...

Eylen posa la tasse à moitié pleine sur la petite table et s’enfonça dans son siège, sentant ses muscles s’engourdirent lentement. La grande prêtresse se releva brusquement et attrapa vivement la main de la jeune femme qui aperçut l’éclat d’une dague dans son autre main.

Non ! Pensa-t-elle tandis que ses doigts entraient en contact avec ceux de la femme. Aussitôt, elle se sentit comme happée dans un autre lieu.

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