Chapitre 33

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Un homme à longe chevelure lui faisait face à travers l’ouverture de la carriole. Ses yeux sombres bridés semblaient empreints d’un lourd chagrin tandis qu’il lui adressait un faible sourire.

Une profonde tristesse lui entravait la gorge, bloquant les mots dans sa gorge.

L’homme lui tendit alors une magnifique fleur aux fines pétale bleu azur. Elle avança sa main à la peau halée, parée de bijoux scintillants, et attrapa le présent, effleurant au passage les doigts de l’homme.

— Faites bon voyage princesse, lui souffla-t-il doucement.

— J’aurais aimé vous entendre dire mon nom au moins une fois...

La calèche démarra au claquement du fouet et l’homme disparut. Elle se pencha à travers la fenêtre ouverte, retenant à grand-peine les sanglots qui entravaient sa gorge.

— Adieu, Serafa... lut-t-elle sur les lèvres de l’homme qui continuait de lui sourire tristement.

Une vague de colère brûlante envahie l’espace et la vision fut aussitôt balayée.

Une violente douleur s’empara de tout le corps d’Eylen tandis qu’elle reprenait conscience. La grande prêtresse tenait toujours sa main, face à elle, le visage empreint d’une rage folle, ses yeux semblant bouillonner de colère. La jeune femme se releva d’un bond, se dégagea et recula instinctivement vers la porte d’entrée.

Ses yeux se posèrent sur la lame que la femme tenait fermement dans sa main gauche derrière elle et elle déglutie avec peine. La prêtresse semblait perdue dans ses pensées et restait immobile le regard toujours fixé sur elle.

Sans se retourner, Eylen tendit la main en arrière, ouvrit la porte s’y faufila avant de la refermer aussitôt.

Inaya, adossée au mur, se redressa et la dévisagea avec inquiétude.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Lui demanda-t-elle en posant une main sur son épaule.

Eylen, jeta un coup d’œil discret dans le couloir et fit non de la tête avant de s’éloigner d’une démarche maladroite. Inaya la suivit sans un mot, aussi silencieuse qu’une ombre.

Eylen accéléra le pas, se laissant diriger par son instinct à travers le labyrinthe de couloirs, et ne repris sa respiration que lorsqu’elle atteignit enfin la petite cour fleurie.

— Ne t’arrête pas, lui ordonna Inaya en lui attrapant le bras.

Elle la tira alors vers la grande porte d’un pas rapide, faisant signe aux prêtresses qui montaient la garde de leur ouvrir.

Ce ne fut que quand elles arrivèrent devant les marches du palais impérial que la guerrière ralentie la cadence et laissa à sa compagne le temps de reprendre sa respiration.

Eylen fixait le sol, le souffle court, le poing posé sur sa poitrine. Une main chaude et familière se posa alors sur sa joue, la forçant à relever le visage et elle plongea son regard dans les yeux sombre de l’empereur qui la dévisageait avec inquiétude. Que fait-il là ?

Son cœur affolé se calma aussitôt et son esprit toujours embrumé sembla se réveiller au contact de sa peau. Elle posa naturellement sa main sur celle de l’empereur, ferma les yeux et y appuya sa joue comme pour y puiser un peu plus d’Energie.

Ce n’est que lorsqu’elle entendit les toussotements gênés d’Inaya qu’elle rouvrit les yeux et tenta en rougissant de se défaire de l’empereur. Ce dernier ne la laissa pas faire et saisit fermement son poignet.

— Que s’est-il passé ? Demanda-t-il froidement à la guerrière.

— La grande prêtresse a demandé à voir Eylen dans son bureau.

La poigne de l’empereur se resserra imperceptiblement sur le poignet d’Eylen et les muscles de son avant-bras roulèrent sous sa peau. Inaya baissa les yeux face à la colère grandissante qui envahit l’espace. Eylen perçut aussitôt l’Energie bouillonnante qui semblait s’échapper du corps de l’empereur et se sentit immédiatement attirée par elle. Sa peau la picotait au contact de la main de l’empereur et ressentait la force qui circulait en lui.

Toujours assommée par l’infusion que lui avait donné la grande prêtresse, elle réagit instinctivement, poussée par le désir qui montait en elle et appela l’Energie de l’empereur à elle, la laissant glisser le long de sa main jusque dans son poignet. Aussitôt, l'atmosphère tendue s’apaisa et l’empereur, qui s’entretenait avec Inaya, se tourna vivement vers elle.

— Arrête ça ! Lui ordonna-t-il avec colère.

Eylen sursauta et dégagea vivement son bras. Son esprit était à nouveau limpide et elle grimaça devant les regards soucieux que lui adressaient l’empereur et Inaya.

— Désolée, fit-elle en s’inclinant.

Elle-même ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Elle avait agi en suivant son désir sans réaliser ce qu’il se passait.

L’empereur soupira et se passa machinalement la main dans les cheveux.

— Ramène Eylen dans ses appartements.

— Bien.

La jeune femme ne put s’empêcher de ressentir une pointe de déception tandis qu’elle regardait l’empereur s’éloigner sans un mot vers le palais des prêtresses.

— On y va, lui dit la guerrière qui l’attendait.

— Oui.

Elle jeta un dernier regard au dos de l’empereur. Il semble exténué...

Elle se mordit la lèvre et emboîta le pas à Inaya qui avait commencé à gravir les marches du palais.

***

Qahir avança d’un pas rapide vers la cour intérieure des prêtresses. La colère qui l’avait envahie quelques instants plus tôt avait mystérieusement disparu au contact d’Eylen.

Il ne savait pas pour quelle raison elle semblait réussir ainsi à l’apaiser, mais il avait senti à l’instant qu’elle puisait dans sa force, comme si elle l’aspirait en elle. Que se passerait-il s’il la laissait faire sans l’interrompre ? Puiserait-elle toute son Energie jusqu'à l’en épuiser ?

Une fois la grande porte passée, il se dirigea directement vers le quartier des soins. Une prêtresse qui allait justement dans la même direction s’inclina en l'apercevant, son voile ne laissant apercevoir de son visage que ses yeux bruns et ternes.

— Votre grandeur, dit-elle avec déférence.

— J’ai appris que le mage Elarien avait été blessé.

— Oui, il est dans la grande salle commune.

— Mène-moi à lui.

La femme s’inclina et le dépassa pour lui ouvrir la marche. Une fois arrivée devant la porte de l’infirmerie, elle s’inclina à nouveau face à lui.

— Il y a de nombreux patients, souhaitez-vous que j’aille le chercher pour vous, afin qu’il vous rejoigne ?

— Je n’ai pas fait tout ce chemin pour attendre devant la porte, répondit Qahir avec assurance.

La femme baissa les yeux et ouvrit rapidement la porte. Qahir entra dans la pièce, parcourant du regard les nombreux lits alignés. La prêtresse lui indiqua d’un signe de la main, la couche du mage et lui emboîta le pas.

Le mage était assis sur son lit, le souffle court et le dévisageait avec une surprise mal dissimulée.

— Laissez-nous seuls, ordonna l’empereur à la prêtresse. Que personne n’entre sans mon accord.

La femme recula aussitôt et sortit rapidement de la salle, refermant doucement la porte derrière elle.

— Que faites-vous ici ? Le questionna immédiatement le mage incrédule.

— Je suis simplement venu voir comment se portait mon précieux mage Elarien, répondit Qahir avec un petit sourire amusé.

— Vous... Vous m’avez envoyé ici par ce que vous ne pouviez pas venir directement ! S'énerva le mage.

— En effet, et vous, m’avez fourni la parfaite excuse pour entrer. Je suis agréablement surpris. Maintenant, dites-moi : avez-vous trouvé le garçon ?

Le mage soupira et se leva avec difficulté de son lit. Un bandage dépassait du col de sa tunique et il gardait son bras gauche serré contre lui. Babil, qui avait vu la scène de loin, lui avait raconté comment le mage s’était blessé lors de l’entraînement des novices. Ce mage à du cran.

L’Elarien s’arrêta devant un lit, tout près d’une fenêtre, et attendit que l’empereur le rejoigne, le dévisageant avec appréhension.

Il me prend vraiment pour un monstre. Qahir passa devant lui et découvrit un jeune garçon à la tignasse brune et la peau sombre comme le charbon. Ce dernier pâlit aussitôt en découvrant l’empereur et descendit précipitamment de son lit pour s’aplatir au sol.

Qahir attendit quelques instants, conscient du regard plein de reproche que devait certainement lui jeter le mage dans son dos et s’approcha de l’enfant.

— Tu peux te relever petit.

— Votre Grâce ; dit timidement le garçon en se releva.

Il garda pourtant les yeux baissés vers le sol, son corps frêle tremblant de peur. Qahir sentait l’aura du garçon, faible et inégale, comme sur le point de disparaître à tout instant.

— Remonte dans ton lit. Inutile de t’épuiser ainsi.

Le garçon obéit et se rassit sous les draps.

— Comment t’appelles-tu ?

— Tali, fit-il en jetant un rapide regard au mage qui s’était avancé.

— Quand es-tu arrivé au palais des prêtresses ?

Le garçon se mordit les lèvres.

— Hier... Dans l’après-midi, répondit-il timidement.

— Qui t’a fait entrer ?

Le garçon le fixa sans répondre.

— Ne t’imagine pas pouvoir me mentir, petit. Le menaça Qahir d’une voix posée. Je sais que tu n’as pas les moyens pour te payer les soins des prêtresses. Je sais que quelqu’un, une femme, t’a emmené ici. Je veux savoir de qui il s’agit.

— Je ne sais pas qui c’est ! s'empressa de répondre l’enfant affolé. Je ne l’avais jamais vu avant ! Elle est venue hier et a proposé à ma maman de me faire entrer ici, pour me soigner.

— Qu’a-t-elle demandé en échange ?

— Je ne sais pas. Elle a parlé pendant un long moment avec maman, puis elle m’a ensuite emmené ici.

— À quoi ressemblait-elle ?

L’enfant hésita un instant, cherchant dans sa mémoire.

— Elle était voilée, comme les autres prêtresses, je n’ai pas vu sons visage... Elle avait des yeux brun clair...

— Continu de réfléchir, il me faut plus de détails, insista Qahir avec impatience. Avait-elle des bijoux ? Un signe particulier ?

— Des bagues ! De jolies bagues dorées avec de grosses pierres colorées.

— Autre chose ?

— Oui, elle avait un drôle de dessin sur l’un de ses doigts.

— Quel doigt ?

— Celui-là, fit le garçon en lui montrant son annulaire gauche.

Qahir ferma les yeux et soupira d’agacement. Maintenant, il n’y avait plus de doute possible.

— Merci petit.

Il se releva et se dirigea vers le rideau.

— Attendez ! L'appela l’enfant en se penchant en avant. Ma maman... Où est-elle ? Elle va bien ?

Qahir lui jeta un regard par-dessus son épaule sans répondre et vit le visage du garçon s’affaisser, les larmes lui montant aux yeux.

— Les prêtresses vont s’occuper de toi et soigner ta maladie. Deviens fort, profite de la chance qui t’est offerte.

Il aperçut alors dans les yeux de l’enfant la flamme qui animait la plupart des orphelins de la cité, comme lui autrefois. La soif de vivre et de se battre.

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