Chapitre 37
Eylen fit glisser sa main dans l’eau chaude laiteuse de son bain, attrapant au passage quelques pétales de fleurs roses dont le parfum enivrant embaumait l’espace.
Elle n’avait pas revu l’empereur depuis la veille, ce dernier étant certainement rentré tard de la chasse aux monstres à laquelle il s’adonnait tous les soirs. Dans la cité, le bruits des festivités avait continué toute la nuit tandis qu’elle demeurait prisonnière de sa chambre, en compagnie de Saki qui n’avait pas lâché un mot de la soirée.
Lorsqu’elle s’était réveillée au petit matin, l’empereur était déjà parti et Inaya avait remplacé Saki à son chevet. Mais alors qu’elle pensait se préparer pour un nouvel entraînement matinal, trois servantes avaient débarqué dans sa chambre, la traînant jusque dans une grande salle de bain en pierre. Là, elles l’avaient rapidement déshabillée, insensibles aux plaintes de la jeune femme.
— Que se passe-t-il ? Avait-elle alors questionné Inaya.
La guerrière avait évité son regard avant de répondre qu’elle serait informée en temps voulu de la situation, puis s’était s’installée à l’autre bout de la pièce, le plus loin possible d’elle.
La jeune femme avait alors décidé de se laisser faire. À quoi bon s’énerver ? Aucune des servantes ne semblait comprendre sa langue et le bain n’était pas si désagréable que cela, l’eau chaude apaisant avec soulagement ses muscles endoloris.
Une fois sortie du bain, l’une des servantes se chargea de la coiffer tandis que les deux autres commencèrent à recouvrir sa peau de petits dessins en utilisant une étrange pâte brune et odorante. Bientôt, son corps en fut entièrement recouvert, de ses pieds jusqu’à la racine de ses cheveux, en passant par le bout de ses doigts.
Les servantes ne cessaient de sourire et de glousser durant le processus et Eylen sentait l’angoisse lui monter au fur et à mesure que les heures défilaient. On ne lui apporta ni de petit-déjeuner ni de repas à midi, ni même de quoi se désaltérer. D’autres servantes les rejoignirent dans l’après-midi portant une multitude de robes brodées et colorées.
À la fin de l’après-midi, la princesse Shaïa la rejoignit, vêtue d’une magnifique robe rose pâle brodée de fils dorés, sa tresse entrelacée de fleurs exotiques.
— Vous êtes magnifique, lui dit-elle avec un doux sourire.
— J’aimerais surtout savoir pourquoi on me prépare ainsi depuis ce matin, répondit Eylen en lançant un regard accusateur à Inaya qui demeurait obstinément muette.
La princesse Suharï leva les sourcils étonnés avant de se tourner vers la guerrière.
— l’empereur à marmonné quelques mots ce matin avant de partir précipitamment, concernant l’intendant impérial, beaucoup de documents à traiter... Et qu’il se chargerait du problème le moment voulu... énonça finalement la guerrière en fixant la princesse.
Eylen crut voir un léger sourire étirer un instant les lèvres de la guerrière qui disparut aussitôt qu’elle croisa son regard.
Shaïa eut un petit rire, semblant trouver la situation amusante.
— Quel problème ? demanda Eylen de plus en plus inquiète.
— Certains hommes ont plus de courage face à une horde de démons que lorsqu’ils doivent affronter une femme en colère, lui dit la princesse sans se défaire de son air amusé.
Eylen s’apprêtait à la questionner à nouveau quand des coups furent frappés à la porte.
— Justement, pile à l’heure, fit la princesse en s’approchant de la porte tout en faisant signe à Inaya de la suivre.
La porte s’ouvrit et les deux femmes s’inclinèrent respectueusement face à l’empereur. Il avait revêtu un ensemble blanc et or en soie qui contrastait avec sa peau bronzée, ses cheveux noirs étaient coiffés en arrière et deux fines tiges en or pendaient de ses oreilles.
Il laissa sortir Inaya et Shaïa avant de se figer devant Eylen, son regard glissant lentement le long de son corps.
La jeune femme croisa les bras et détourna le regard, sentant ses joues rougir de gêne. On lui avait enfilé une magnifique robre noir, brodée de fleurs argentée, le tissu épousant parfaitement les courbes du haut de son corps pour s’évaser en une longue traîne dans son dos. Le fin tissus glissait agréablement contre ses jambes à chacun de ses pas, une ouverture sur le côté remontant jusqu’au haut de sa cuisse dévoilant l’une de ses jambes tatouées d’une multitude d’arabesques et de dessins floraux.
— Allez-vous enfin me dire ce qu’il se passe ? Demanda-t-elle.
L’empereur s’avança vers la commode et se servit un verre d’alcool ambré qu’il engloutit d’une traite avant de s’en resservir un deuxième.
— Tu emménages dans le palais des concubines ce soir.
Eylen acquiesça.
— Je vois...
Cela semblait logique, il était étrange qu’elle soit restée dans le palais impérial de toute façon. Il sera aussi plus simple pour Inaya de me protéger et de m’entraîner.
L’empereur s’installa dans l’un des fauteuils et sirota son verre, évitant son regard.
— Mais pourquoi tous ces préparatifs ?
— Nous allons participer aux festivités ce soir.
— Oh ! S'exclama Eylen enthousiaste.
Cela faisait deux jours que la fête battait son plein tous les soirs, et la jeune femme espérait secrètement pouvoir y assister le temps d’une soirée. Après plusieurs jours à être enfermée, soit dans une calèche, soit dans un palais, participer à une fête semblait être une agréable idée.
Elle s’installa dans le canapé face à l’empereur, espérant qu’il lui en dise un peu plus.
— Il va y avoir une cérémonie, repris l’empereur en terminant son verre. Durant cette cérémonie, tu seras présentée au peuple. Tu devras porter ton bandeau devant les yeux et ne le retirer à aucun moment.
— Bien, fit la jeune femme qui sentait tout à coup le stress lui monter à la gorge.
Elle se leva pour aller récupérer le bout de tissu posé sur la table près de son lit et entreprit de le nouer par-dessus l’élégante coiffure que lui avaient faite les servantes, le fil du tissu s’emmêlant dans les barrettes argentées accrochées dans ses cheveux. Les doigts de l’empereur qui l’avait rejoint se mêlèrent au siens et elle le laissa finir de nouer les lacets.
Il posa ensuite ses mains sur les épaules de la jeune femme et la fit se retourner pour lui faire face. Leurs deux corps se trouvaient à quelques centimètres l’un de l’autre et la jeune femme dut relever la tête pour le dévisager.
— Ce soir, tu seras présentée comme étant ma nouvelle concubine, lui dit-il alors en glissants une main sous son menton.
Eylen écarquilla les yeux et son cœur rata un battement tandis que l’empereur la fixait de ses yeux sombres. La colère explosa alors en elle comme le tonnerre qui éclate.
— Quoi ? S'entendit-elle crier tandis qu’elle attrapait le bras de l’empereur.
Son cœur se mit à battre à toute vitesse tandis que la douleur lui vrilla le crâne, mais elle continua de fixer l’empereur, sentant une rage incontrôlable monter en elle. L’empereur resta impassible, la dévisageant calmement.
— Non ! C'est hors de question ! Je ne serai pas une autre de vos nombreuses épouses !
— Tu seras plus en sécurité auprès des guerrières que dans le palais impérial.
— Il était juste question que je vous aide à franchir la frontière avec votre armée, pas que je devienne l’une de vos concubines !
— Soit ! Alors allons-y ! Allons traverser la frontière ! s’emporta L’empereur. Sais-tu comment faire finalement ?
Eylen repoussa violemment la main de l’empereur, consciente qu’elle était incapable de faire ce qu’il demandait.
— Je dois te protéger le temps que nous découvrions comment traverser, reprit-il. Et le meilleur moyen pour cela est de te présenter comme mon épouse. Ainsi, chacun saura ce qu'il risque en t’attaquant et personne n'osera plus s’en prendre à toi...
— Dans ce cas, pourquoi garder ce bandeau, souffla la jeune femme sur un ton de défi en attrapant le lacet noué dans ses cheveux.
— Arrête ! Lui ordonna l’empereur en stoppant son bras. Arrête ça et calme toi.
Eylen laissa retomber sa main et dévisagea l’empereur. Elle était coincée, c’était lui qui décidait. Depuis qu’il l’avait attrapé, elle n’avait plus son mot à dire, obligée d’obéir à chacun de ses ordres... L’injustice de sa situation lui fit monter les larmes aux yeux de rage et elle fut amèrement soulagée de porter son bandeau à cet instant. Au moins, il ne pourrait pas voir ses larmes couler.
Elle se détourna et retourna dans les appartements de l’empereur tandis qu’il la suivait silencieusement. Là, ses yeux se posèrent sur la bouteille d’alcool qui se trouvait toujours sur la commode. Impossible que je fasse ça en étant sobre ! Elle attrapa la bouteille pour se servir un verre, mais une fois encore, l’empereur stoppa son geste en lui bloquant le bras.
— Je ne peux même plus boire ni manger maintenant ? Explosa-t-elle.
— Pas maintenant. Après la cérémonie, tu pourras boire et manger tout ce que tu veux, lui dit-il en retirant la bouteille de sa main. Écoute, tout ce que j'attends de toi c’est que tu m’aide à faire franchir la frontière à mon armée...
— Et ensuite ? Fit-elle avec un sourire mauvais. Qu’exigerez-vous de moi ensuite ? Peut-être me laisseriez-vous partir ?
Elle finit sa phrase sur un ton sarcastique, la colère lui serrant la gorge. L’empereur la dévisagea en silence, semblant réfléchir à toute allure. Elle émit un petit rire amer et se dégagea pour s’éloigner.
— Une fois que la frontière sera détruite... Lâcha-t-il finalement d’une voix grave. Quand la frontière aura disparu, tu pourras aller ou cela te chante. Je n’exigerai plus rien de toi...
— Pardon ? Détruire la frontière ? Vous parlez de cette bande de terre magique qui longe le désert et existe depuis plus d’une centaine d’années ? Éclata la jeune femme, abasourdie. Et comment comptez-vous faire ?
— Je sais que c’est faisable et je le ferais, fit l’empereur avec détermination en s’approchant d’elle. Je détruirais la frontière et libérerais mon peuple des démons qui l’habitent. Une fois que ce sera fait, tu seras libre. Jusque-là, tu feras ce que je te dis... souffla-t-il en ajustant une de ses mèches de cheveux.
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