Chapitre 39
Marwen était allongé sur son lit, dans la chambre encore sombre, les yeux fixés au plafond, perdu dans ses pensées. Il avait assisté quelques heures plus tôt à la cérémonie d’union de l’empereur et d’Eylen, totalement désemparé et ne savait plus quoi penser désormais. Eylen avait-elle épousé l’empereur de son plein gré ou y avait-elle été forcé ? Le sourire qu’elle avait affiché tout au long de la soirée semblait dire le contraire... Mais elle portait également cet étrange collier, peut-être faussait-il son jugement ? Rainir semblait vouer une loyauté indéfectible au tyran, peut-être était-ce là le véritable effet de ce bijou ?
Pour le moment, il ne ressentait de son côté aucun sentiment d’adoration ou de dévouement à l’empereur. Je suppose que mon bracelet n’a pas la même utilité que le collier. L’empereur me l'a donné en me disant qu’il lui assurerait que je ne la trahisse pas. Que se passerait-il si j’essayais ?
Il leva le bras pour observer l’anneau doré qui lui enserrait le poignet, se remémorant la chaleur qu’il s’en était dégagé lors de sa dernière entrevue avec l’empereur. Le mage ferma les yeux, se concentrant sur la source de son pouvoir. Celle-ci était revenue à la normale peu à peu et il pouvait désormais utiliser sa magie comme à son habitude, sans aucune contrainte. Aucune entrave ne semblait bloquer son Energie ni même sa force vitale, son corps était totalement normal. Pourtant, il sentait une irrégularité, minime, comme un filin tendu relié à sa source. Il se concentra dessus, essayant de suivre l’étrange phénomène et remonta peu à peu jusqu’à son poignet gauche, là où se trouvait le bracelet. C’était comme s’il alimentait l’objet sans en avoir conscience, lui donnant une infime partie de son Energie. Il tenta de réduire le flux ou de la stopper, mais rien ne se produisit, comme s'il n’était pas maître du phénomène. Sentant qu’il n’arriverait à rien, il rouvrit les yeux avec un petit soupir exaspéré et se tourna dans son lit, vers son compagnon de chambre.
Rainir dormait paisiblement, émettant de faibles ronflements réguliers. Il se rappela en souriant du regard de reproche que lui avait adressé le jeune mage à son retour du palais des prêtresses avant d’observer sa blessure sous toutes le coutures. Une vraie mère poule.
Cédant à une impulsion, il se releva et sortie silencieusement de son lit pour s’approcher de l’homme endormi. Puis, retenant son souffle, il posa une main sur son front et entra en contact avec lui, essayant de ressentir son Energie. Il opéra le plus discrètement possible, insufflant le moins possible de son propre pouvoir, se mouvant comme une brise, glissant avec légèreté dans le corps du jeune mage jusqu’à atteindre son cou.
À nouveau, il perçut une autre anomalie, semblable à celle qu’il avait trouvé en lui. Mais, contrairement au bracelet, le collier se divisait en plusieurs filins, l’un partant vers la source d’Energie du mage, un autre remontant le long de sa nuque jusqu’à l’intérieur de son crâne et un dernier relié à son cœur. Quand il tenta de s’en approcher, une vive douleur le repoussa et il s’empressa de regagner son esprit et de retirer sa main.
Rainir eut un petit froncement de sourcil et rata une respiration avant de ronfler de plus belle. Marwen gagna son lit à reculons et s’y assis la gorge serrée. Il en était persuadé, le lien qui unissait le collier au cœur de Rainir était dangereux, bien plus que celui qui liait son bracelet à son Energie. Eylen est en danger. Il faut que je la voie.
Il se rallongea, essayant d’imaginer une solution pour fausser compagnie à Rainir et réussir à se faufiler jusqu’à son ancienne assistante. Il devait la prévenir du danger que signifiait ce collier. Il devait lui poser toutes les questions qui tournaient en boucle dans son esprit.
***
Lorsqu’Eylen ouvrit les yeux, elle était seule dans son lit. Des bribes de souvenir de la veille lui revinrent en mémoire et elle fut soulagée que l’empereur ne se soit pas trouvé avec elle pour la voir rougir de honte. Mais qu’est-ce que j’ai fait ! Se dit-elle en se cachant le visage. Elle ne pourrait plus lui faire face. Comment assumer son comportement ?
Elle n’eut pas le temps de se questionner trop longtemps, car deux servantes frappèrent à sa porte et se présentèrent, l’une avec un plateau de nourriture, la seconde avec une pile de vêtements blancs.
— On fait la grasse matinée ? Lui demanda Inaya moqueuse, adossé au montant de la porte.
— Tu à la langue bien plus pendue ce matin qu’hier, lui répondit la jeune femme en rougissant tout de même.
La guerrière se racla la gorge avant de chiper un petit gâteau sur le plateau que les servantes avaient posé sur une petite table.
— Je préférais laisser le plaisir à l’empereur de t’annoncer l’heureuse nouvelle.
Eylen lui lança un oreiller au visage, que la guerrière évita nonchalamment, avant de se lever. Elle attrapa sa tenue d’entraînement et l’enfila, secrètement réjouie que la guerrière soit redevenue normale avec elle.
Elle eut juste le temps d’attraper un petit quelque chose à grignoter que déjà Inaya sortait de la chambre, lui ordonnant de la suivre. Elles arrivèrent rapidement sur une petite cour en terre battue, semblable au terrain d’entrainement des Garandïs, où une quinzaine de guerrière s’entrainaient déjà.
Eylen reconnut Saki qui se battait armée de deux sabres contre une autre guerrière, et la princesse Shaïa qui tenait un grand arc en bois, visant une cible à cinquante mètres de distance. Loin de la femme douce et élégante qu’elle avait pu voir à maintes reprises, la princesse semblait empreinte d’une extrême concentration et de puissance, le regard fixé sur sa cible, bandant la corde de son arc avec une habilité sûre. Lorsqu’elle relâcha ses doigts, la flèche fusa à toute allure pour aller se planter directement au centre de la cible.
Eylen, qui avait retenu sa respiration, poussa une profonde expiration, impressionné par la précision de la princesse. Cette dernière l’aperçut et déposa précautionneusement son arc avant de la rejoindre.
— Bonjour, la salua-t-elle aimablement. Bien dormi ?
— Oui... répondit la jeune femme gênée.
La princesse savait-elle qu’elle s’était endormie dans les bras de l’empereur ? Le petit sourire que lui adressa la princesse des Suharï fini d’effacer ses doutes et elle rougit aussitôt, évitant son regard.
— Prenons le thé ensemble lorsque tu auras fini ton entraînement, lui dit-elle en repartant vers le stand de tir.
Eylen acquiesça et suivit Inaya qui partait en petites foulées autour du terrain.
À la fin de la matinée, la jeune femme en sueur s’apprêtait à quitter le terrain quand Saki et trois autres guerrières la dépassèrent et lui jetèrent des regards moqueurs en parlants entre elles.
Eylen les observa s’éloigner en fronçant les sourcils.
— Qu’est-ce qu’elle a à la fin ? Demanda-t-elle à Inaya quand elle l’eut rejoint.
— Si tu veux savoir, il va falloir apprendre à parler notre langue, lui dit la guerrière en lui jetant un regard en biais.
Eylen la dévisagea ahurie. Mais oui ! Pourquoi n’y avait-elle pas pensé plus tôt ?
— Ah, non ! Fit Inaya en levant la main lorsqu’Eylen ouvrit la bouche. Laisse tomber. Je t’apprends déjà à te battre, trouve-toi quelqu’un d’autre.
La jeune femme referma la bouche, déçue et suivit la guerrière jusqu’au bain commun.
— Nous devons toutes nous laver ensemble ? Demanda-t-elle tout bas en voyant les autres guerrières nues déjà installées dans le grand bain carré.
— L’eau est une ressource précieuse dans le désert.
Eylen grimaça avant d’acquiescer. Encore une chose à laquelle elle n’avait pas songé. À force de rester auprès de l’empereur, elle n’avait pas vu la réalité du monde qui l’entourait. Je suis restée passive trop longtemps. Il est temps de se réveiller, songea la jeune femme en commençant à se dévêtir. Elle risquait de rester dans le désert un certain temps. Je ne peux pas compter sans cesse sur Inaya pour me traduire les conversations ou pour m’expliquer les choses... Elle réalisa que chacun avait fait l’effort de parler dans sa langue depuis son arrivée, Inaya, la princesse Shaïa, l’empereur...
La jeune femme sentit aussitôt ses joues rosir de honte en se remémorant la veille et elle se versa un petit seau d’eau sur la tête avant de se rendre compte que cette dernière était complètement gelée. Elle poussa alors un petit cri en suffoquant et Inaya la dévisagea avec de grands yeux avant d’exploser de rire. Eylen l’observa déconfite avant de rire à son tour.
Elle avait oublié comme cela pouvait être agréable de rire aux éclats. Depuis quand n’avait-elle plus ri ainsi ? Depuis Essert... Cette révélation la stoppa immédiatement dans son éclat de joie, tandis que sa gorge se serrait de peine. Elle se détourna de la guerrière et se leva pour entrer dans le bain. L’eau trouble dégageait un petit nuage de buée vaporeuse à l’agréable senteur fleurie. Elle descendit avec précautions les trois marches avant d’aller s’asseoir dans un coin isolé. Inaya la rejoignit juste après, suivie d’une autre guerrière.
— Voici Asha, lui présenta Inaya.
Eylen salua la jeune femme d’un hochement de tête avec un petit sourire timide que la guerrière lui rendit. Les deux Suharï reprirent alors leur conversation avec enthousiasme tandis qu’Eylen se prélassait en tendant une oreille. Elle ne comprenait certes rien de ce que se disaient les deux femmes, mais cela ne coûtait rien d’essayer.
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