Chapitre 40
La princesse Shaïa l’attendait, assise devant une petite table ronde en fer forgé, au milieu du jardin du palais des concubines. Le même jardin où elle l’avait sauvé trois jours plus tôt de la fausse servante.
— Princesse, la salua Eylen en s’inclinant le plus respectueusement possible.
— Je t’en prie assied-toi, lui dit-elle en souriant.
La princesse fit signe à une domestique qui se chargea de leur servir le thé et Eylen en profita pour observer la luxuriante végétation qui les entourait.
— Tu dois te demander comment peuvent pousser de telles plantes en plein milieu du désert, supposa la princesse en prenant sa tasse.
— Inaya m’a dit que l’eau était une ressource rare dans le désert. Pourtant, les plantes ont besoin d’eau pour grandir.
— Ce sont des plantes typiques de notre pays, qui garde l’eau dans leurs feuilles. De plus, les prêtresses se chargent d’entretenir la végétation du palais, ainsi que celle de la cité.
— Comment font-elles cela ? La questionna Eylen, sincèrement curieuse.
— Cela reste un secret. Les prêtresses de sang ne partagent leur savoir qu’entre elles et gardent très précieusement leurs secrets, répondit la princesse les lèvres pincées.
Cela semble la contrarier...
— Vous souhaitiez me voir ? Demanda la jeune femme pour changer de sujet.
— En effet, je voulais savoir comment tu t’adaptais à ta vie dans le palais.
La jeune femme hésita un instant avant de répondre.
— Je sais que vous avez fait de nombreux efforts, vous ainsi qu’Inaya pour m’aider à m’adapter...
— C’est tout à fait naturel, tu es l’invitée de mon époux.
Eylen grimaça, n’osant contredire la princesse, le terme d’invitée n’étant pas tout à fait celui qu’elle aurait choisi.
— Enfin “notre” époux désormais... rectifia la princesse en la fixant intensément.
Eylen avala de travers la gorgée de thé qu’elle buvait, s’étranglant presque.
— Non ! Je ne suis pas l’épouse de l’empereur...
— Tu l’as pourtant bien épousé hier, insista Shaïa en levant un sourcil.
— C’était pour me protéger... bredouilla la jeune femme en évitant le regard de la guerrière. Il n’y avait rien de vrai dans tout cela...
— Nos cérémonies sont tout ce qu’il y a de plus sérieux Eylen, l’interrompit froidement la princesse avec sérieux. L’engagement que vous avez échangé avec l’empereur est tout à fait réel.
Eylen dévisagea la femme qui lui faisait face, incapable de répondre quoi que ce soit.
— J’ai accepté uniquement parce qu’il a dit qu’il me libérerait ensuite. Se défendit-elle finalement.
— La cérémonie qui a lieu hier vous unit jusqu’à la mort, peu importe les raisons qui t'ont poussé à accepter.
La jeune femme retint de justesse un soupir de frustration avant de reprendre une gorgée de thé à la menthe.
— Je n’ai rien contre vous princesse, reprit-elle plus calmement. Vous m’avez sauvé la vie, vous avez également rendu mon arrivée ici moins difficile, pourtant...
— Pourtant ?
— Pourtant, je reste une prisonnière... répliqua Eylen en plantant ses yeux dans ceux de la Suharï. Je n’ai pas demandé à être ici, ni à épouser l’empereur.
» Il m’a emmené ici pour l’aider à accomplir son but, et même si je ne comprends pas toutes les raisons qui le motivent, je sais qu’il le fait pour son peuple. Seulement, je ne suis pas liée aux vôtres, même si mes ancêtres vivaient de ce côté de la frontière, je suis née et j'ai grandi en Elaria. J’y ai des gens que j’aime et si l’empereur réussi à franchir la frontière, il mettra en danger ceux qui me sont chers...
» Peu importe l’engagement que nous avons échangé hier, nous restons ennemis... Je ne suis ici que parce que j’y suis contrainte, et je ne l’ai épousé que parce qu’il me l’a ordonné. Je ne me considère pas comme son épouse.
La princesse resta silencieuse tout en l’observant.
— Je comprends... lui dit-elle finalement. L’empereur m’a chargé de prendre soin de vous comme si vous étiez lui et je compte bien honorer sa volonté. S’il y a quelque chose qui rendrait votre séjour dans le palais des concubines plus agréable, je vous en prie, faites le moi savoir.
Eylen se sentait légèrement honteuse d’avoir parlé ainsi à la princesse, elle qui s’était montrée tellement sympathique avec elle depuis son arrivée.
— Je souhaiterais apprendre à parler votre langue, si c’est possible... dit-elle en baissant les yeux.
— Bien, je demanderai à l’une de mes guerrières de vous l’enseigner, fit la princesse en se relevant.
— Merci, lui dit Eylen tandis qu’elle se retournait.
— C’est vraiment dommage que vous pensiez ainsi... répondit la princesse en lui adressant un regard peiné par-dessus son épaule. J’espère que vous nous donnerez une chance de vous faire changer d’avis...
Eylen se mordit la lèvre en regardant la princesse s’éloigner.
Elle resta seule dans le jardin un long moment, repensant à sa discussion avec la princesse. Une chance de me faire changer d’avis... En avait-elle envie ? Elle avait certes passé une soirée agréable la veille, et l’empereur ne lui avait pas paru si monstrueux que cela pendant un instant. Mais elle ressentait toujours au fond d’elle ce sentiment de colère et d’injustice, cette impression d’être piégée comme une petite souris dans sa cage. Je ne risque pas de changer d’avis comme ça... songea-t-elle en frôlant du bout des doigts le collier doré qui lui ceignait le cou.
Un bruit dans les arbustes lui fit tourner la tête. Quelques mètres plus loin, les feuilles d’une grande plante verte bougeaient en silence. Eylen jeta un coup d’œil à la servante qui était restée près d’elle tête baissée.
Le plus naturellement possible, Eylen se releva et fit mine d’observer les grandes fleurs rouges qui longeaient le chemin. Pendant un instant, elle crut apercevoir une lueur verte qui disparut aussitôt sans un bruit. Elle écarta vivement les grandes feuilles, mais l’endroit était désert.
— Étrange... Je suis pourtant sûre d’avoir vu quelque chose...
— Madame ? Lui demanda la servante en s’approchant.
Eylen se redressa et se tourna vers la femme.
— Votre repas vous attend dans vos appartements...
— Ah... Oui, merci, fit la jeune femme en suivant la domestique vers le palais.
Eylen passa l’après-midi à étudier la langue du désert et dina seule dans sa chambre. L’empereur ne vint pas cette nuit-là, ni la nuit suivante. Les deux jours suivants se déroulèrent sans accro, comme le premier, sans aucun signe de sa part et la jeune femme commença à se demander ce que pouvait bien faire l’empereur.
Que fait-il ? La princesse Shaïa lui a-t-elle rapporté mes paroles ? Se demandait-elle en courant tout autour du terrain. Laisse tomber, ce n’est pas important ! Elle secoua vivement la tête et accéléra le rythme pour chasser ses pensées inutiles.
Inaya avait commencé à lui apprendre à manier des petits poignards qu’elle pourrait aisément camoufler dans ses vêtements et elles s’entraînaient ensemble à des techniques de défense en cas d’agression.
A-t-il été dégoûté par mon comportement de l’autre soir ? Se dit-elle en rougissant tout en parant l’attaque de la guerrière. Est-ce qu’il a décidé de ne plus m’approcher ?
— Concentre-toi ! La réprimanda Inaya qui s’était glissée derrière elle, passant un bras autour de son cou.
La guerrière serra un peu plus son bras, augmentant la pression sur la gorge de la jeune femme.
— Oui ! C'est bon, c’est bon, je me concentre ! S'écria Eylen en lui tapotant le bras.
— À quoi tu penses, la questionna la guerrière en la relâchant.
— À rien... répondit-elle en se massant le cou.
— Si tu n’es pas concentrée, tu finiras tuée.
— Oui maître, prononça Eylen dans la langue de la guerrière en s’inclinant.
Inaya leva un sourcil étonné avant de lui adresser un petit sourire satisfait.
— Je vois que tu as trouvé quelqu’un pour t’apprendre à parler notre langue.
— Oui.
— Allez, viens avec moi. C’est l’heure du bain.
Eylen ramassa les deux petits poignards, les rangea dans leurs étuis et suivit la Suharï vers les bains communs. Elles avaient pris l’habitude de se joindre à Asha lors du bain, Eylen écoutant les deux femmes échanger dans leur langue en espérant apprendre rapidement à les comprendre.
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