Chapitre 43
Le lendemain, la première prêtresse se présenta au bureau de l’empereur aux premières lueurs du jour. Après l’avoir fait entrer, Qahir l’invita à le suivre dans le salon afin de s’entretenir avec elle.
La première prêtresse était une femme dans la force de l’âge, elle portait la tenue rouge, révélatrice de son autorité, son visage voilé ne laissant apercevoir que ses yeux bruns. L’empereur n’avait parlé avec elle qu’une seule fois, le lendemain de la mort de l’ancien empereur, il se souvenait encore des mots qu’elle lui avait alors adressé : “Un règne qui débute dans le sang, se finira à son tour dans le sang.”
— Cela faisait longtemps que nous ne nous étions pas vus, première prêtresse.
— Quatre ans, votre Excellence, répondit la prêtresse en le fixant. Cela peut paraître long pour certains et très court pour d’autres.
— Insinuez-vous que vous auriez préféré ne pas me revoir si vite ?
— Ce que je souhaite ou non n’a pas d’importance, votre Grâce. Il est rare que l’empereur demande à s’entretenir avec la première prêtresse de sang, mais vous n’êtes pas réputé pour faire les choses comme vos prédécesseurs, dit-elle en s’inclinant.
— En effet, et je ne suis pas connu pour être très patient non plus, donc j’espère que vous saurez répondre convenablement à mes questions.
— Je ferais mon possible votre Excellence.
Qahir eut un petit rictus, conscient que la tâche allait être ardue. Il s’adossa à son siège et s’y accouda pour croiser les doigts.
— Vous avez commencé les collectes de sang dans la cité il y a quelques mois. À quoi a servi ce sang ?
— Comme annoncé au peuple, il a été utilisé pour défendre et nourrir la cité.
— Soit, expliquez m’en les détails, continua l’empereur la veine de sa tempe commençant à pulser dangereusement.
— Une partie a servi à graver des runes de protections sur les murs de la cité, une autre a été dispersé dans l’eau qui irrigue les plantations aux alentours et à l’intérieur de la ville.
— Les runes déjà existantes sur le mur étaient-elles défectueuses ?
— Non, mais elles peuvent faiblir avec le temps.
— Je n’ai pas trouvé mention dans les archives d’une précédente collecte de cette envergure, pourquoi avoir besoin de tant de sang.
— Nous avons simplement développé nos méthodes, empereur. L’idée d’utiliser notre art pour les plantations et très récent.
— Qui a eu l’idée
— Pardon ? Demanda la prêtresse étonnée.
— Qui a eu l’idée d’utiliser le sang dans les champs.
— L’une de nos consœurs a émis l’idée, il y a un peu plus d’un an. Après quelques essais, il s’est révélé que c’était une brillante idée.
Elle ne me dira pas de qui il s’agit.
— Qu’en est-il de l’autre partie du sang ?
— ... De quelle partie parlez-vous ?
— Vous avez dit qu’une partie avait servi à dessiner les rues protectrices et qu’une autre avait été utilisée pour les plantations... À quoi a servi le reste du sang collecté ? Demanda Qahir en la dévisageant froidement.
— Ce que font les prêtresses avec le sang ne concerne pas l’empereur, votre Grâce... répondit la première prêtresse avec dureté. Votre prédécesseur vous en aurait informé si vous lui aviez posé la question.
— en effet, Il n’en a pas eu l’occasion avant que je ne lui tranche la gorge. Fit Qahir en souriant férocement. Mais j’ai tout de même appris de lui. L’ancien empereur était aveugle, ignorant de ce qu’il se passait dans sa propre cité. Je ne compte pas réitérer ses erreurs... Maintenant première prêtresse, si vous tenez à votre tête, je vous conseille de ne pas tester ma patience plus longtemps. Auquel cas, je couperais court à notre conversation.
Les yeux de la femme jetèrent des éclairs tandis qu’elle le dévisageait, mais elle finit par s’incliner avant de répondre.
— Une autre partie a servi à faire des expériences au sein du palais des prêtresses.
— Quelles expériences ?
— Cela est compliqué à expliquer, nous avons effectué divers essais, certains pour renforcer la puissance des armures de soldats, d’autre sur les pierres magiques ou les artefacts de démons...
— Qui s’est chargé de récolter le sang et de le distribuer ?
— Les novices, votre première épouse a également aidé à superviser les collectes auprès des citoyens.
Qahir fronça les sourcils en entendant cette dernière information. Pour quelles raisons Nora avait-elle participé à la collecte ? Elle ne faisait plus partie des prêtresses de sang depuis qu’elle avait arrêté son noviciat pour l’épouser.
— La première concubine aide-t-elle souvent les prêtresses de sang ?
— Non, votre Grâce, mais étant donné comme les citoyens ne se sentent pas très à l’aise en compagnie des prêtresses de sang, la princesse a proposé son aide afin de les rassurer.
Cela paraît plausible. Les explications de la première prêtresse semblaient également claires et justifiées.
— Bien, j’irai vérifier tout cela dans les jours à venir. Je vous remercie pour vos explications, première prêtresse, fit-il en se relevant.
La femme se leva à son tour et s’inclina, s’apprêtant à quitter le salon.
— Une dernière question, l’arrêta Qahir tandis qu’elle atteignait la porte.
— Oui, votre Grâce ?
— Parmi les expériences que vous avez faites, y en a–t-il eut de réalisées sur des animaux ?
Pour la première fois de la conversation, l’empereur vit la surprise se refléter dans les yeux sombres de la prêtresse.
— Les animaux ? Non, pas à ma connaissance...
— Je vois... fit Qahir en cachant sa déception.
La grande prêtresse continuait de le dévisager sans bouger.
— Puis-je vous demander pourquoi cette question ?
— Une idée, comme ça... éluda-t-il.
Il la vit froncer les sourcils sous son voile.
— Je vous laisse méditer sur la question, prêtresse. Nous nous reverrons très bientôt.
Il adressa à la femme un regard lourd de sens et la regarda s’incliner avant de partir en silence.
Le soleil était sur le point de se coucher quand Qahir se plongea dans l'un des derniers rouleaux laissés par l’intendant la veille.
» Deux Dorogaïs se sont présentés au palais. Ils proposent d’enseigner de nouvelles pratiques à nos guerriers et à améliorer leur défense et leurs techniques de combats.
» L’empereur a accepté de les loger dans le palais Grenat. Maître Aoru se chargera d’enseigner aux guerriers impériaux. Maître Ronin s’occupera de l’enseignement de la princesse Serafa et d’autres nobles.
Qahir reposa le rouleau et s’adossa à son siège. Des techniques de combat et de défense. De quelles techniques est-il question exactement ? Je n’ai jamais entendu dire que les Dorogaï nous aient enseigné quoi que ce soit.
— Garde ! appela-t-il.
La porte s’ouvrit et un Garandï s’inclina respectueusement.
— Faites venir l’intendant.
Ce dernier ne mit pas longtemps à apparaître avant de s’incliner avec aisance.
— Votre Grâce.
— Avez-vous trouvé d’autres informations concernant Ronin ?
— pas encore, malheureusement...
— Il est dit dans ces rouleaux que les deux Dorogaïs se sont chargés d’enseigner aux soldats impériaux, ainsi qu’à la princesse Serafa. De quels enseignements s'agissait-il ?
— Je ne sais pas votre Grâce, répondit le vieil homme.
Qahir émit un petit grognement d’exaspération. Il lui manquait une information, un détail. Quelque chose manquait, comme s’il s’était agi d’un puzzle dont une pièce manquait. Mais laquelle ? Que c’était exaspérant ! Il savait qu’il passait à côté de quelque chose d'important !
Puis soudain, un détail lui revint. Lors de sa première vision à Minar, Eylen lui avait rapporté la conversation du Dorogaï et de la princesse : ce dernier s’inquiétait qu’elle n’utilise trop d’énergie.
— Intendant... dit-il en se penchant vers le vieux conseiller. Il n’est fait mention dans aucun de ces documents des prêtresses de sang, n’existaient-elles pas à l’époque ?
— Et bien, il semblerait que le palais des prêtresses ait été assigné quelque temps après le départ de la princesse, la création de leur faction date également de cette même période.
— De quel palais s’agissait-il ?
— Du palais Grenat.
Qahir reposa le rouleau qu’il tenait dans les mains. Il venait de trouver la pièce manquante. Le palais Grenat où logeaient les Dorogaïs. Ronin enseignait la magie du sang à la princesse Serafa.
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