Chapitre 44
Qahir retira sa lame du dernier démon et regarda les survivants fuirent vers la frontière. Une dizaine d’ombre de monstre s’éloignant se découpaient devant le ciel rose, éclairé par les premières lueurs du jour.
Ils étaient moins nombreux que d’habitudes... Le dernier message de Musa qui était arrivé dans la journée, faisait désormais rapport d’une cinquantaine de monstres rassemblés près de la frontière. D’autres continuaient à sortir de la frontière pour attaquer les cités comme à leur habitude, mais ils semblaient être de moins en moins nombreux et n’être que des démons de inférieurs. Tout cela est étrange. Mais je ne peux pas envoyer les guerriers de Minar les attaquer, les démons sont trop nombreux désormais.
Il émit un petit grognement de frustration. Si seulement il avait autorisé l’Hadjib à attaquer deux jours plutôt, le problème serait déjà réglé. La rage qui dormait en lui s’éveilla à nouveau, déferlant autour de lui comme une tempête de colère. Il chercha du regard un démon sur lequel se défouler, mais tous étaient déjà mort, étalés sur le sol tout autour de lui.
L’empereur réalisa alors qu'il était seul dos à la cité, plus aucun Garandï ni Garidan ne se trouvait avec lui. Plissant les yeux, il aperçut Babil, appuyé au mur de la cité, qui semblait attendre.
Il essuya sa lame et la rangea dans sa ceinture avant de se diriger vers la grande porte, enjambant les cadavres de monstres qui gisaient sur le sable.
Babil se redressa à son arrivé et chancela soudainement, s’appuyant au mur de pierre brune. Qahir le regarda sans comprendre, se demandant à quoi jouait son ami.
— Tu pourrais arrêter ça s’il te plaît ? Souffla le chef de Garidans en palissant.
Arrêter quoi ? Il réalisa alors qu’il avait inconsciemment laissé libre cours à sa colère, étendant son aura destructrice tout autour de lui. Il se concentra pour la maîtriser et grimaça.
Babil reprit son souffle et se redressa.
— Cela faisait longtemps que tu ne t’étais pas autant défoulé mon ami, lui dit-il alors en l’observant.
— Comment ça ? Demanda Qahir, perplexes.
— Comment ça ? S'exclama le guerrier. Tu as tué à toi tout seul tous les démons qui se sont présentés cette nuit ! Tu ne nous en as pas laissé un seul ! Même les Garandïs n’ont pas osé t’interrompre et sont repartis abattus vers la cité en te laissant te défouler ! Regarde par toi-même !
Babil pointait du doigt l'étendue de cadavres de monstre, tous réunis dans le même périmètre autour d’un point central, les premiers rayons du soleil éclairant sinistrement la mare de sang qui s’étendait tout autour d’eux.
— Viens, on va aller boire un verre, peut-être que cela te détendra, fit le chef des Garidans en entrant dans la cité.
Qahir le suivit en soupirant. Il avait en effet besoin d’un bon verre.
— Raconte-moi ce qu’il t’arrive ? Fit Babil alors qu’ils étaient enfin installés dans son bureau.
La pièce était modestement meublée, les murs et le sol étant fait de la même pierre brune qui servait à construire la plupart des bâtiments de la cité.
— J’avais simplement besoin de relâcher un peu la pression, répondit Qahir en engloutissant son verre.
— À d’autres ! fit le guerrier en resservant son verre vide. Cela faisait des jours que je ne t’avais pas vu ainsi. Il s’est passé quelque chose...
— Rien, la paperasse, les prêtresses à gérer...
— Et comment va ta nouvelle femme ?
Qahir se figea instantanément à l’évocation de la jeune femme.
— Comment ça ? Demanda-t-il entre ses dents serrées.
— Tu t’en es déjà lassé ? On dit que tu n’es pas retourné au palais des concubines depuis la cérémonie.
— Qui dit ça ?
— Tout le monde ! La cité ne parle que de ça, plaisanta Babil avec son sourire habituel.
— N’ont-ils pas mieux à faire que d’espionner leur empereur ? Gronda Qahir en serrant les poings.
— De quoi te plains-tu ? S’ils ont le temps de ragoter sur tes histoires de cœur, c’est qu’ils se sentent suffisamment en sécurité pour pouvoir le faire.
Qahir soupira en se massant les tempes.
— Alors ? Insista Babil en finissant son verre. Celle-ci semblait pourtant bien te plaire...
— Ce n’est pas la question, râla le jeune empereur.
— Ben si, justement. Elle te plaît ou pas ?
— Bien sûr qu’elle me plaît ! S'énerva Qahir, les mots sortants tous seuls sans qu'il ne s'en rende compte.
Il regretta aussitôt sa révélation et vit avec horreur le visage de son ami s’illuminer de plus belle. Aaah... il ne va plus me lâcher !
— Aaah, enfin ! Il faut fêter cela ! fit le Garidan en resservant son verre pour le lever face à lui avec un sourire jovial.
Il engloutit son verre d’une traite et fixa Qahir.
— Que fais-tu ici dans ce cas ? Tu devrais rester au lit avec ta nouvelle femme au moins une bonne semaine pour lui rendre honneur. Le peuple attend avec impatience que tu lui donnes un héritier...
— Ce n’est pas aussi simple que ça figure-toi !
Babil le dévisagea avec inquiétude.
— Quoi ? Ne me dis pas... Tu ne sais pas comment faire ? Je savais que tu n’étais pas porté sur la chose, mais à ce point-là ? Il va falloir remédier à cela, fit-il en se levant.
— Assieds-toi si tu ne veux pas que je te tranche la langue, Gronda Qahir en tentant de contenir la fureur qui menaçait d’exploser.
Son ami s’exécuta en grimaçant.
— Il ne s’agit pas de moi ... continua-t-il finalement quand il eut réussi à se contrôler. Eylen... Elle ne voulait pas devenir ma femme...
— Elle ne m’a pas semblé si contrariée que ça durant la cérémonie, fit Babil toujours perplexes.
— Tu ne l’as pas vu quand je lui ai annoncé la nouvelle. Elle a littéralement explosé.
Babil ricana avant de lever la main pour calmer son ami.
— Si on m’avait dit que l’empereur, le grand Mokthar tremblerait devant la colère d’une si petite femme ! Ne t’en fait pas, la colère des femmes passe aussi vite que leurs envies, elle a déjà dû oublier.
— Je n’ai simplement pas envie de m’imposer à une femme qui ne veut pas de moi...
— Crois-moi, j’ai vu le regard qu'elle portait sur toi lors de la soirée, reprit Babil en retrouvant son sérieux. Cette femme avait envie de toi.
— Elle était ivre, elle ne savait pas ce qu’elle faisait.
— Moi aussi j’étais ivre, et pourtant, je ne t’ai pas regardé comme elle l’a fait ! S'exclama le guerrier.
Cette discussion ne rime à rien.
— J’ai du travail qui m’attend, je dois y aller, dit l’empereur en se relevant. L’intendant m’attend.
— Un empereur qui n’honore pas sa nouvelle épouse et qui obéit à son intendant, je me demande ce qu’il est advenu de mon ancien camarade...
Qahir dégaina sa lame d’un geste vif et la pointa sous le menton du Garidan, les muscles tendus.
— Prend garde Babil, être mon ami d’enfance ne t’autorise pas à parler ainsi de ton empereur, dit-il froidement en le fixant avec colère.
Babil se figea et pinça les lèvres, les yeux pointés sur la lame de son ami. Qahir regretta aussitôt son geste, mais n’en laissa rien paraître, rangeant simplement sa lame avant de se retourner.
— J’y vais, fit-il avant de sortir du bureau.
Il laissa libre cours à son aura tout en se dirigeant vers la cour intérieure du palais, Babil avait raison, quel empereur il faisait ! Incapable de dominer ses émotions, se défoulant sur son seul et unique ami.
En entrant dans son bureau, il découvrit la pile de documents qui s’entassait et poussa un profond soupir.
— Faites appeler l’intendant, dit-il à l’un Garandïs qui gardait la porte.
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