Chapitre 49

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Après son repas, la princesse Shaïa l’invita à se joindre à elle dans son salon pour prendre le thé.

Les appartements de la princesse ne ressemblaient en rien à ceux qu’elle avait vu jusqu’à présent. De grandes toiles colorées étaient accrochées aux murs, des lanternes étaient posées un peu partout dans la pièce et des coussins à même le sol sur des tapis de laine aux motifs exotiques étaient placés autour d’un grand plateau argenté.

La princesse s’inclina et la salua en souriant avant de s’installer sur l’un des coussins.

— Bonjour Eylen, comment se passe l’entraînement avec Inaya et Saki ?

— Bien, répondit-elle mal à l’aise.

Elle se voyait mal lui dire que Saki s’en été pris à elle, au risque de passer pour une pauvre petite fille sans défense

La princesse ria doucement en servant le thé sous le regard étonné d’Eylen. Elle souleva très haut la théière en argent, faisant tomber le liquide chaud avec bruit dans les grands verres transparents d’où s’échappa une douce odeur sucrée de menthe.

— Saki est assez colérique, contrairement à Inaya, mais elle est tout autant dévouée à l’empereur, reprit-elle. Je sais qu’elle prendra soin de bien t’enseigner.

— Mmmm, fit Eylen en humant son thé, peu convaincue.

Elle restait persuadée que la guerrière lui en voulait personnellement.

— Qu’en est-il de l’apprentissage de notre langue ? La tâche, te parait-elle ardue ?

— C’est la première fois que j’apprends une autre langue, mais c’est assez plaisant. Lyra est très patiente, elle parle aussi très bien ma langue.

— Ce n’est pas étonnant, nous avons commencé à l’apprendre il y a un peu plus de deux ans, avant le départ de l’empereur. Depuis, nous nous exerçons tous les jours, même si nous ne sommes pas venus avec lui.

— Pourquoi ? Ne put-elle s’empêcher de demander. Pourquoi apprendre la langue d’Elaria ?

— Parce que le Mokthar brisera la frontière. Il nous libérera de cette prison et des démons qui en sortent.

— Vous dites que vous êtes prisonnier. La frontière, jusqu’où s'étend-elle ?

— Elle encercle tout le désert, répondit la princesse avec une pointe de tristesse. Elle coupe les plaines, les montagnes et traverse même les mers qui nous entourent. Il n’y a aucune échappatoire... Nous sommes coincés dans ses terres arides depuis des décennies, sans avoir la possibilité de fuir ou de commercer avec les autres pays...

Eylen reposa sa tasse, mesurant enfin la gravité de la situation dans laquelle vivaient les gens du désert. Elle était persuadée depuis toujours que la frontière séparait simplement Elaria du désert, mais en réalité, c’était tout autre chose. Ils sont piégés, encerclés par la frontière, depuis plus de cent ans...

— Si seulement il n’y avait que cela, continua Shaïa en se tournant vers la fenêtre. Mais en plus de nous priver de notre liberté, la frontière assèche nos terres et rend l’eau vide de toute vie et de toute Energie. Près d’elle, rien ne pousse, et même si c’était le cas, les démons détruiraient tout.

— Mais alors, comment faites-vous pousser vos cultures ?

— Les prêtresses, ce sont elles qui rendent cela possible. Elles rendent l’eau saine et la terre fertile, de biens des manières et au prix de nombreux sacrifices...

— Je... Je ne me doutais pas... souffla la jeune femme.

— Tu comprends maintenant pourquoi l’empereur veut briser la frontière... lui dit la princesse en la dévisageant.

Eylen acquiesça. Difficile de ne pas en comprendre, en effet. 

— Ses méthodes n’en sont pas pour le moins violentes... 

— Crois-tu que le roi d’Elaria accepterai de défaire la frontière qu’il a créée si on le lui demandait gentiment ? Demanda la guerrière avec cynisme avant de ricaner. 

Eylen grimaça.

— Les Elariens se cachent derrière leur frontière, à l’abri tandis que nous nous faisons dévorer, continua la princesse avec amertume.

— Les habitants d’Elaria ne sont pas tous responsable de ça ! Certains ont aussi souffert du frontière, certains ont perdu des êtres chers... Peut-être pas autant que vous, certes, mais ils ne méritent pas de mourir pour autant.

— Peut-être... répondit la princesse avec froideur. Mais s’il faut choisir, si le roi d’Elaria ne coopère pas, alors ce seront eux plutôt que nous.

Eylen regarda son verre la gorge serrée. Ne pouvaient-ils pas trouver un moyen plus civilisé de régler cette affaire ? 

— Mais je ne t’ai pas fait venir ici pour parler de cela, reprit soudain la princesse.

Eylen releva la tête, surprise.

— La grande prêtresse va venir te rendre visite cet après-midi.

Le sang de la jeune femme se glaça et elle serra les doigts autour de son verre.

— Maintenant ? Demanda-t-elle en se tournant vers la porte.

— Elle ne devrait plus tarder en effet. Je resterai avec vous, renchérit la princesse d’une voix rassurante. Je sais qu’elle peut être un peu... Impressionnante, mais elle ne te fera aucun mal.

Oui enfin, je n’y mettrais pas ma main à couper, songea Eylen en revoyant la lame briller dans la main de la prêtresse.

L’une des guerrières entra justement à cet instant pour annoncer l’arrivée de la grande prêtresse et Eylen sentit tout son corps se crisper.

— Faites-la entrer, dit Shaïa avant de jeter un discret regard à Eylen qui sentait l’angoisse l’envahir.

La princesse se releva et la jeune femme fit de même, déglutissant avec difficulté.

— Bienvenue grande prêtresse, fit Shaïa en s’avançant.

— Princesse, répondit cette dernière en inclinant la tête.

Elle était comme à son habitude vêtue de violet et une étrange odeur de fleur d’oranger et de cannelle se dégageait d’elle, embaumant toute la pièce. Eylen se retint de froncer le nez et s’inclina à son tour.

— Grande prêtresse, réussit-elle à dire dans leur langue.

— Eylen, ravie de voir que vous apprenez notre langue. C’est un grand honneur que vous nous faites, lui dit-elle en s’approchant.

Eylen recula instinctivement, gêné par cette soudaine proximité.

— Je suis désolée que notre précédente entrevue se soit si mal terminée, j’avoue avoir été surprise par la vision que nous avons partagée, s’excusa la prêtresse avec un air peiné. Habituellement, c’est moi qui dirige les visions... Vous êtes étonnement réceptive à la divination, dommage que vous ne puissiez rejoindre nos rangs...

— En effet, fit la princesse Shaïa en s’installant. Eylen est désormais l’épouse de l’empereur, elle ne peut malheureusement pas devenir prêtresse. Et je ne pense pas que ce soit ce qu’elle désire...

Eylen grimaça et remercia la princesse du regard avant de s’installer à son tour. La grande prêtresse s’assit alors à ses côtés.

— Oui, répondit-elle avec sérieux, ce n’était qu'une simple remarque. Je sais que son rôle est tout autre...

Elle sortit de sa poche une poignée de feuilles vertes et la posa devant Eylen sur le plateau.

— J’ai apporté des plantes qui vont vous aider à ouvrir votre esprit, expliqua-t-elle à Eylen. Pas d’infusion cette fois-ci, c’était peut-être un peu trop puissant pour vous. Il suffit de les mâcher.

Elle en prit quelques-unes, les fourra dans sa bouche et commença à les mastiquer.

Eylen l’observa et en prit trois avant de regarder Shaïa.

— La princesse n’en prendra pas, lui dit alors la prêtresse. Elle doit rester maître de ses moyens pour vous protéger.

Eylen acquiesça, rassurée, et mis les feuilles dans sa bouche. Lorsqu’elle commença à les mastiquer, un jus amer qui lui piqua la langue en sortit. L’effet ne se fit pas attendre et elle commença à avoir la sensation de tanguer sur place.

— Bien, tendez vos mains à présent, luit dit la grande prêtresse d’une voix lointaine. Vous pouvez fermer les yeux si vous le souhaitez...

Eylen s’exécuta et les mains froides de la femme se refermèrent sur les siennes. 

— Je vais me lier à votre esprit, vous devez me laisser entrer, continua-t-elle d’une voix douce et apaisante.

Elle sentit immédiatement la présence de la prêtresse s’infiltrer en elle, se dispersant dans tout son corps. C'était semblable à ce qu’avait fait Marwen la veille, elle sentait l’Energie puissante de la femme qui glissait dans son corps, s’insinuant librement dans tout son être. Mais elle ne ressentait aucun désir de s’approprier cette force qui lui paraissait plus sombre et étrangement froide, la faisant frissonner et lui donnant la nausée. Elle lutta contre son envie de la repousser et serrant les dents.

— Détendez-vous... Laissez-moi prendre le contrôle.

Des images commencèrent à défiler dans la tête d’Eylen, elle se revit dans la boutique de Marwen, puis chez Rose, en train de porter le petit Aaron sur ses genoux en riant. Un autre souvenir s’imposa, celui des flammes qui engloutissaient la ferme. Eylen sentit la peur l’envahir et tenta de se libérer des mains de la prêtresse, mais cette dernière la retint fermement.

— Calmez-vous...

Aussitôt, la vision changea et elle se retrouva dans les champs, regardant Mery cueillir de petits boutons d’or en souriant joyeusement. Elle se détendit aussitôt, profitant de cette vision. Elle sentit alors qu’on l’attirait, l’éloignant de la vision.

Non ! Attendez, pas tout de suite ! Elle s’accrocha à la vision, les yeux obstinément fixés sur la petite fille aux yeux bleus. Non ! Mery !

Les images défilèrent à toute allure sans qu’elle ne distingue quoi que ce soit.

Elle se trouvait dans le désert, il faisait froid et sombre. D’autres personnes se tenaient près d’elle. Elle reconnut alors des Dorogaïs qui fixaient un point devant eux.

Elle suivit leur regard, mais tout était plongé dans l’obscurité. Quelqu’un lui attrapa le bras et elle se baissa pour caresser la tête de la petite fille qui la fixait apeurée.

— J’ai peur, lui dit-elle dans la langue du désert.

C’était une enfant du désert à la peau et aux yeux sombre, elle ne devait pas avoir plus de six ans, deux garçons à peu près du même âge la suivaient.

— N’aie pas peur, ça va aller, lui répondit-elle d’une voix douce.

Elle prit la main de la petite fille et s’avança dans la nuit, dépassant les petites maisons de terres qui les entouraient. Une étrange sensation d’oppression l’envahie et d’étranges nuages lumineux les entourèrent alors.

Aussitôt, la vision s’effaça. Elle sentit la volonté de la prêtresse qui tentait de la maintenir, mais en vain. Plus rien n’apparaissait, tout était devenu entièrement noir.

Eylen rouvrit alors les yeux, étonnée de se retrouver en plein jour dans le salon de la princesse Shaïa.

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