Chapitre 54
À midi, les rues se vidèrent peu à peu tandis que les gens s’installaient en terrasse des nombreux petits restaurants présents le long de l’allée.
L’empereur la tira vers une petite échoppe d’où s’échappait une alléchante odeur de viande grillée et de friture. Il s’adressa rapidement au marchand, lui donna quelques pièces en échange de deux brochettes de viande fumantes et en tendit une à Eylen avant de se diriger vers une petite fontaine en pierre.
Il s’installa sur le rebord de pierre et elle s’assit à ses côtés avant de croquer à pleines dents dans la viande chaude, le jus coulant sur son menton. L’empereur attrapa aussitôt un mouchoir et essuya son visage précautionneusement, sous le regard étonné de la jeune femme, avant de se retourner l’air de rien.
Eylen finit sa brochette et lécha le jus qui restait sur ses doigts tout en observant les gens et la rue.
— Est-ce toujours ainsi ? Demanda-t-elle tout bas.
— Comment ?
— Si vivant.
— Non, fit l’empereur tout en fixant des enfants qui jouaient avec des petits morceaux de bois à même le sol. C’est le dernier jour de fête, demain tout redeviendra plus calme...
— Oh... Je vois.
— Il n’y avait pas de fêtes là où tu vivais ? Lui demanda-t-il en se tournant vers elle.
— Pas là où j’ai grandi, mais à Abies où j’ai vécu avec ma mentor Elie, il y avait une grande fête pour la nuit de Walpurgis. Des troupes d’artistes de tout le royaume se rendaient jusqu’au petit village pour célébrer cette fête et conter leurs histoires.
L’empereur la dévisagea en fronçant les sourcils.
— Je me souviens de cette fête, lui dit-il alors. À notre arrivée à Elaria, je m'était rendu dans un village à l’ouest de Toren. J’y avait vu une statuette, sculptée à la main et peinte en bleu.
Eylen écarquilla les yeux en se souvenant de la vision qu’elle avait eu cette nuit-là. Celle où elle avait senti qu’il s'approchait.
— C’était un...
— Un oiseau, le coupa la jeune femme en plongeant ses yeux dans les siens. Un geai bleu...
L’empereur la fixa avec intensité et Eylen retint sa respiration.
— Je t’ai vu cette nuit-là... souffla-t-il. Quand j’ai touché la sculpture, il m’a semblait te voir...
Eylen se mordit la lèvre et acquiesça silencieusement.
— C’est moi qui ai peint cette sculpture, avoua-t-elle en rougissant.
— Elle était magnifique, lui dit-il en souriant tendrement.
Eyen observa ses traits détendus et s’étonna de voir une expression aussi douce sur son visage d’habitude si sérieux. L’avait-il emmené en ville pour qu’elle en profite avant la fin des festivités ? Non ! Tu te fais des idées ! Songea-t-elle en secouant la tête.
L’empereur se releva et lui tendit la main.
— Viens, je vais te montrer autre chose.
Eylen regarda sa grande main tendue vers elle, sa peau devenue calleuse à force de tenir une arme lui rappela celles de son père qui travaillait à la ferme. L’empereur s'apprêtait à laisser retomber sa main quand elle la saisit avec empressement en se levant. La chaleur de sa peau contre la sienne lui procura un étrange sentiment de réconfort et de bien-être et elle se rendit compte que lui tenir la main lui semblait de plus en plus naturel et facile. Perdue dans ses pensées, elle le laissa la guider entre les passants et les étals.
Une fois arrivés au mur extérieur de la cité, l’empereur adressa un signe à l’un des Garandïs qui leur apporta un majestueux étalon noir, prêt à être monté. Il attrapa alors brusquement Eylen par la taille, qui poussa un petit cri de surprise tandis qu’il la posait sur l’avant du tapis, et s’installa d’un bond derrière elle.
Il fit ensuite avancer leur monture et lorsqu’ils traversèrent la grande porte,t la jeune femme admira le désert qui s’étendait à perte de vue devant à eux.
— Tiens-toi bien, lui souffla-t-il dans l’oreille avant de lancer le cheval au galop.
La jeune femme se retrouva propulsée en arrière contre l’empereur, se retenant tant bien que mal à la crinière de l’étalon, le souffle court.
L’empereur lâcha une des rênes pour poser sa main sur le ventre d’Eylen, la serrant plus fort contre lui, et cria un ordre au cheval qui accéléra encore. La jeune femme sentit alors son cœur s’accélérer tandis que le vent fouettait son visage. C’était une sensation extraordinaire comme elle n’en avait jamais vécu. Ils galopaient à toute allure, le paysage défilant à toute vitesse, lui donnant l’impression de voler au-dessus du sol.
Ils longèrent rapidement la cité pour atteindre un petit muret derrière lequel s’étendaient des champs de blé dorés à perte de vue.
L’empereur s’arrêta et descendit avant de se tourner vers elle en tendant les bras. Eylen se laissa tomber vers lui, encore euphorique de leur galop et il la posa doucement au sol. Il lui prit à nouveau la main et la tira vers l’ouverture du petit muret.
De jeunes enfants étaient occupés à ramasser les bottes de blé, transpirant sous le soleil. Un garde les salua d’un hochement de tête et l’un des enfants se releva pour les regarder. Son visage s’illumina soudainement lorsqu’il les aperçut.
— Mokthar ! s’écria-t-il avec un grand sourire en se tournant vers ses compagnons.
Tous les enfants lâchèrent alors ce qu’ils tenaient pour accourir vers eux en criant.
Ils s’accrochèrent aux habits de l’empereur en criant et en gesticulant, tout heureux. Il abaissa alors sa capuche et leur répondit avec un grand sourire, caressant le haut de leur tête sous le regard ahurie d’Eylen qui resta bouche bée. Il semblait tellement plus jeune, son sourire franc illuminant son visage habituellement si sombre et froid. Elle ne comprenait pas ce qu’ils disaient, mais les enfants semblaient ravis de le revoir et il leur répondait sur un ton doux et patient.
D’autres enfants arrivaient en courant et une petite fille trébucha sur une pierre au loin. Eylen lâcha la main de l’empereur et s’avança vers elle en entendant ses pleurs. Elle avait des cheveux bruns emmêlés, plein de poussière tout comme ses vêtements usés, et se tenait le genou en pleurant à chaudes larmes.
Eylen s’accroupit face à elle sans que la petite fille ne lui prête attention et examina alors son genou écorché. La petite plaie saignait légèrement et était couverte de terre. Elle posa alors sa main sur la blessure sous le regard étonné de l’enfant qui cessa aussitôt de pleurer pour l’observer.
La jeune femme lui adressa un petit sourire et retira sa main, dévoilant le genou totalement guéri, sous le regard étonné de la petite fille qui toucha sa peau pour vérifier qu’il n’y avait plus rien.
— Merci, lui dit-elle alors avec un grand sourire avant de se relever.
Elle se remit à courir vers l’empereur, se faufilant entre les autres enfants pour l’approcher. Eylen se remit debout, l’observa en souriant et remarqua que l’empereur la fixait avec inquiétude. Il adressa quelques mots aux enfants et la rejoignit rapidement l’air contrarié.
— Tu n’avais pas à faire ça, lui dit-il en attrappant son bras.
Eylen sentit aussitôt l’Energie de l’empereur circuler en elle et s’étonna de la rapidité avec laquelle elle arrivait désormais à la percevoir. C’était comme si leur lien s’était fortifié, comme si elle parvenait naturellement à puiser en lui, sans aucun effort. Déjà, la démangeaison dans son genou avait disparu, comme si elle n’avait pas pris la douleur de la petite fille.
— Où sommes-nous ? demanda-t-elle pour détourner son attention.
— Au nord de la cité. C’est ici que nous faisons pousser nos cultures, lui répondit-il en observant les champs. Les vergers se trouvent un peu plus à l’est.
— Vous avez même des vergers ? S'étonna la jeune femme.
— Nous avons su nous adapter pour survivre.
— C’est magnifique... souffla-t-elle en admirant les champs dorés à perte de vue.
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