Chapitre 55
Qahir admira silencieusement Eylen qui observait les champs avec un léger sourire sur les lèvres. Elle avait accidentellement laissé tomber sa capuche et le vent faisait flotter une des longues mèches de cheveux échappée de sa tresse. C’était la première fois depuis des jours qu’il la voyait si détendue et sereine. Si elle pouvait être ainsi tout le temps... se dit-il en repensant à son visage terrifié de la veille.
Il s’apprêtait à lui poser à nouveau la question concernant son cauchemar quand une petite main attrapa la sienne.
— Mokthar, lui dit un jeune garçon chétif au cheveu noir ondulés.
— Issa, comment vas-tu ?
— Bien ! Je mange à ma faim et le travail est facile !
— C’est bien, lui dit Qahir en ébouriffant sa tête. Tu prends bien soin de ta sœur ?
Issa et sa sœur faisaient partie des enfants des rues que Qahir avait sauvé, leur donnant un travail aux champs et un endroit où dormir dans la cité. Un endroit où ils étaient nourris, soignés, et surtout protégés par les Garidans.
— Oui, elle va beaucoup mieux depuis que nous sommes logés dans le bâtiment des ouvriers. Elle a repris du poids et elle arrive même à courir et à jouer avec nous maintenant. Les prêtresses viennent souvent nous voir pour la soigner.
— Tant mieux, je suis content qu’elle se rétablisse.
— Oui, surtout depuis que la grande prêtresse lui donne son nouveau traitement !
Qahir se figea et dévisagea l’enfant avec surprise.
— La grande prêtresse vient vous rendre visite ?
— Oui, elle vient souvent. Elle nous donne un remède pour être plus forts, répondit Issa en souriant de toutes ses dents. Depuis que j’en bois, je me sens plus fort, et je travaille plus vite !
L’empereur sentit un frisson lui parcourir l’échine et serra les dents.
— Quel genre de remède vous donne-t-elle Issa ? Demanda-t-il d'une voix plus forte qu’il ne l’aurait voulu.
Le sourire du garçon disparu aussitôt et il attrapa sa tunique abîmée d’une main, la serrant fort dans ses doigts.
— Je ne sais pas ce que c’est... c’est froid, ça a un goût un peu amer, mais après, je me sens en pleine forme...
— Et à qui elle en donne ? À tous les enfants ?
Issa hocha la tête en pinçant les lèvres.
Eylen s’approcha et posa une main sur le bras da Qahir qui sentit immédiatement sa tension s’apaiser.
— Que se passe-t-il ? Lui demanda-t-elle en Elarien.
— Rien, répondit Qahir en attrapant sa main pour se calmer.
Quelle potion peut-elle bien leur donner ? Ce sont les prêtresses de sang qui préparent des remèdes, pas celles de divinations. Il ne savait pas ce qu’elle avait bien pu donner aux enfants, mais il était certain que venant d’Aamal, ce n’était pas anodin.
Eylen se tourna vers Issa l’observant avec inquiétude et il remarqua alors que l’enfant tremblait et le fixait avec des yeux apeurés.
— Je vous ai contrarié ? Lui demanda-t-il d’une petite voix.
— Non Issa, tu n’as rien fait, lui dit Qahir en s’accroupissant pour être à sa hauteur. Mais je m'inquiète de ce que peux être la boisson que te donne la grande prêtresse. Tu en as encore ?
Le garçon fit non de la tête.
— Bien, je ne veux plus que tu en prennes, ni que tu en donnes à ta sœur.
— Pourquoi ? La grande prêtresse est gentille, elle vient souvent nous voir...
— Je sais, elle est gentille, mais la boisson qu’elle vous donne... Eh bien, elle n’est peut-être pas très bonne pour les enfants, hésita Qahir en cherchant ses mots pour ne pas affoler le garçon.
— Non ! S'exclama l’enfant en reculant. La grande prêtresse est gentille !
Il secouait la tête et parlait de plus en plus fort tout en reculant. Qahir remarqua alors que son teint était plus pâle et qu’il transpirait à grosse goutte.
— Issa, fit-il en s’approchant.
— Non ! Ne dites pas du mal de la grande prêtresse !
Eylen s’avança à son tour et se pencha vers Qahir.
— Il ne va pas bien, lui dit-elle d’une voix inquiète, il respire trop vite.
Qahir remarqua alors que la poitrine de l’enfant se soulevait de plus en plus rapidement et qu’il serrait sa tunique contre son torse, son corps semblant secoué de tremblements incontrôlables. Soudain, l’enfant grimaça et posa les mains sur ses tempes en, criant.
— Aaah ! Ne dites pas de mal de la grande prêtresse !
Les enfants derrière eux les fixaient apeurés, serrés les uns contre les autres, certains se tenant également la tête, les larmes aux yeux.
— Non, la grande prêtresse est gentille, marmonnaient-ils faiblement.
Qahir les fixait sans comprendre. Que se passait-il ici ? Il entendit alors un son sourd quand Issa tomba au sol, les yeux fermés et grimaçant de douleur. Aussitôt, Eylen s’avança, posa une main sur le front du garçon et ferma les yeux en se concentrant. Qahir s’approcha, et l’observa le cœur battant, désespéré de se sentir aussi inutile.
Quelques instants plus tard, la respiration d’Issa s’apaisa et son visage se détendit.
— C’est bon, il dort, lui dit Eylen en se tournant vers lui.
— Issa !! S'écrièrent les enfants en accourant.
— Tout va bien, leur dit Qahir en attrapant le corps du garçon.
Il se releva et se dirigea vers le bâtiment en terre qui longeait la muraille. Il allongea Issa dans la petite carriole garé contre le mur et fit signe au garde d’approcher.
— Ramène les enfants à la cité, leur travail est fini pour aujourd’hui.
Il rejoignit ensuite Eylen qui l’attendait, le visage pâle, avec les autres enfants.
— Les gardes vont vous ramener à la cité, leur dit-il de sa voix la plus douce. Ne vous inquiétez pas pour Issa, il dort tranquillement, il ira mieux demain.
Les enfants acquiescèrent et le saluèrent avant d’aller rejoindre leur ami. Il les regarda s’éloigner avant de se diriger vers sa monture. La jeune femme le suivit en silence et accepta sans broncher son aide pour monter sur le cheval.
Une fois en selle, il attrapa la main d’Eylen, espérant lui partager un peu d’Energie pour qu’elle soigne la douleur qu’elle avait dû prendre à Issa et lança sa monture au galop pour rentrer rapidement vers la cité.
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