Chapitre 56
Le trajet de retour se fit dans le silence le plus complet, l’empereur étant totalement accaparé par ce que lui avait raconté Issa. Ce fameux remède le tracassait, dotant plus au vu de la réaction des enfants lorsqu'il avait parlé de la grande prêtresse.
Qahir sentait depuis un moment que son ancienne amie trafiquait quelque chose dans son dos, sans pour autant réussir à savoir quoi. D’abord les Garandïs, maintenant les enfants des rues...
Il ne réalisa qu’ils étaient arrivés devant le mur extérieur du palais que lorsque le cheval s’arrêta face à la grande porte. Il descendit d’un bond et se tourna vers Eylen qui accepta son aide, le visage impassible.
Qahir ressentit une pointe de culpabilité en l’observant. Il avait finalement coupé court à leur sortie, écourtant le plaisir évident de la jeune femme. Son plan pour l’apaiser et lui faire apprécier une peu plus la cité semblait avoir malheureusement échoué.
Il prit délicatement la main de la jeune femme qui se laissa guider vers l’intérieur des murs, sans un mot.
Une fois devant les appartements de la jeune femme, il s’arrêta, la retenant doucement alors qu’elle s’apprêter à entrer.
Eylen se retourna vers lui, surprise, tandis qu'il poussait un profond soupir. Il abaissa la capuche de la jeune femme avant de défaire son bandeau.
J’aimerais pouvoir rester encore un peu avec elle... pensa-t-il en admirant ses magnifique yeux bleu azurin. Il effleura la joue de la jeune femme du bout des doigts en serrant les dents tandis qu’elle le fixait avec patience, comme si elle comprenait son tourment.
Faisant glisser une des mèches de cheveux de la jeune femme dans ses doigts, il la porta à ses lèvres et s'éloigna sans un mot. Une fois au bout du couloir, le bruit de la porte qui se refermait derrière elle résonna jusqu’à ses oreilles.
Il se dirigea vers le palais des prêtresses, bien décidé à régler cette affaire le plus rapidement possible quand Asha le rejoignit à l'angle du palais impérial.
— La première prêtresse vous attend dans votre bureau, lui annonça-t-elle en s’inclinant.
Qahir s’arrêta et fixa la guerrière qui gardait la tête baissée. Asha ne serait pas venue l’informer de cette visite si ce n’était pas important, et en quatre ans de règne en tant qu’empereur, c’était la première fois que la première prêtresse se présentait d’elle-même à lui.
Il se retourna vers le palais des prêtresses en hésitant. Il fallait qu’il ait le cœur net sur cette affaire de remède et sur ce manigançait Aamal, mais d’un autre côté, les informations que pourrait lui fournir la première prêtresse auraient certainement une grande importance et il commettrait une erreur s’il n’y prêtait pas suffisamment attention. Aamal peut attendre encore un peu, elle n’est pas encore au courant de ce que je sais...
Après avoir tranché, il se tourna donc vers le palais impérial et suivit Asha vers son bureau.
Qahir fut surpris de ne pas voir la vieille prêtresse l’attendre devant la porte de son bureau, mais n’en laissa rien paraître lorsque les Garandïs leur ouvrirent la porte. Il attendit d’être seul avec Asha pour l’interroger du regard, mais avant qu’il n’ouvre la bouche, la première prêtresse sortit de la pièce adjacente, accompagnée par Marwen, sans qu’il n’ait sentit leur présence.
Cette compétence commence à légèrement m’agacer, songea-t-il en serrant les dents. Peut-être devrait-il penser à fixer certaines limites à ce que pouvait faire ou non le mage Elarien. Il sentit soudainement une étrange pression dans l’air envelopper tout le bureau, les sons devenant étrangement étouffés, et reconnu la magie du mage à l’œuvre. Marwen adressa un signe de tête à la première prêtresse qui s’inclina devant l’empereur.
— Votre Excellence, le salua-t-elle.
— Première prêtresse, répondit Qahir en allant s’installer dans l’un des fauteuils. Je vous en prie.
Il lui désigna le fauteuil face à lui et la vieille femme s’y assit avant de le fixer avec un calme olympien, le silence s’installant dans la pèce, inconfortable.
— Allez en aux faits, lui dit-il en sentant l’agacement monter en lui. J’ai d’autres choses à faire.
— En effet je n’en doute pas votre Excellence, lui répondit-elle avec froideur. La lecture vous a-t-elle plu ?
Qahir la dévisagea, impassible.
— Je lis énormément de documents et de rapports, il vous faut être plus précise si vous souhaitez que je vous réponde.
— Allons, vous avez autre chose à faire que de tourner autour du pot, vous l’avez dit vous-même, lui dit-elle en ricanant. Croyez-vous que vos deux petits espions auraient pu trouver le carnet de dame Samara si je ne l’avais pas voulu ?
L’empereur serra les dents et jeta un discret regard à Asha dont la lèvre tressaillit imperceptiblement. Il ne l’aurait avoué pour rien au monde, mais la première prêtresse l’impressionnait grandement. Asha était la plus discrète des Suharïs, cela additionné au sort du mage Elarien, elle était quasiment indétectable.
— Ne me demandez pas comment j’ai su, je ne vous répondrais pas, continua la vieille femme qui n’avait rien raté du désarroi de l’empereur. Je dirigeais déjà les prêtresses de sang que vous tétiez encore les seins de votre mère et je n’ai pas gardé cette place en dévoilant mes secrets.
— Ni en vous assurant les bonnes grâces de votre empereur, on dirait.
— En effet, je n’ai pas besoin de votre protection pour garder mon poste. Peut-être pensez-vous être tout-puissant, mais il est temps que vous réalisiez que les prêtresses de sang n’obéissent à l’empereur que parce qu'elles le veulent bien.
Qahir serra les poings, contrôlant sa colère et maîtrisant son aura pour ne pas alerter les Garandïs qui gardaient la porte.
— Êtes-vous venue seulement pour tester ma patience, ou aviez-vous quelque chose en particulier à me dire ?
— Avez-vous lu le carnet en entier ?
— Non, seulement en partie. Il était question de l’adaptation des nouvelles prêtresses à leur statut ainsi qu’à la maîtrise de leur nouvelle force.
— J’espérais que vous porteriez plus d’attention aux écrits de dame Samara, mais ce n’est pas étonnant venant d’un simple guerrier.
— Je vous conseille d’arrêter votre petit jeu prêtresse, ma lame me démange de plus en plus...
La vieille prêtresse ne releva pasla pique de Qahir qui remarqua qu’elle serrait ses deux mains l’une contre l’autre nerveusement.
— Oui, et bien tant pis, nous n’avons finalement pas le temps que vous lisiez tout le carnet, donc j’ai dû prendre le risque de venir moi-même...
Il fronça les sourcils, étonné de la voir soudainement si inquiète. Elle n’était pourtant pas femme à se laisser facilement impressionner. Qu’est-ce qui pouvait effrayer une femme aussi puissante qu’elle ?
— Que se passe-t-il ?
— Les prêtresses, elles ont changé de loyauté... souffla la première prêtresse, la peur se reflétant dans ses yeux.
— Que voulez-vous dire ? Les prêtresses obéissent à la première et la grande prêtresse, vous venez de vous en vanter à l’instant.
— Non, les prêtresses de sang obéissent avant tout à la première prêtresse. La grande prêtresse fait office d’ambassadeur, de lien entre le palais impérial et l’ordre des prêtresses. Ça n’a toujours été qu’une façade, pour rassurer l’empereur quant à son pouvoir sur nous...
Qahir encaissa cette révélation en silence, soudainement conscient de son ignorance vis à vis de ces femmes. Il avait presque envie de rire, tellement cela était logique maintenant qu’elle le lui disait. Comment avait-il pu songer un instant que l’empereur, sans pouvoir particulier, ait pu décider seul qui devait diriger les prêtresses et nommer lui-même leur cheffe ?
— Votre amie a su bien jouer ses cartes et s’assurer une place de choix, mais cela n’a toujours été qu’une fausse carte, un écran de fumée. Enfin, jusqu’à présent...
— Et maintenant quoi ? Vous venez me voir parce que la grande prêtresse a gagné en pouvoir et en autorité et qu’elle vous vole votre place ? Lui demanda Qahir d’un ton narquois.
— Riez, ignorant que vous êtes, lui répondit la prêtresse froidement. Si les prêtresses de sang sont dirigées par une prêtresse du même ordre, ce n’est pas sans raison. De même que les prêtresses de divination ne suivent pas les mêmes enseignements que les prêtresses de sang. Jamais une prêtresse de divination ne pourrait diriger une prêtresse de sang, et l’inverse est tout aussi vrai. Pourtant depuis peu, les prêtresses de toute castes confondues, se sont mise à suivre une seule prêtresse et à lui obéir aveuglément, comme si elles étaient envoûtées.
Le sourire de Qahir s’effaça, cette description lui rappelant amèrement son propre comportement des années durant.
— Je vois que vous comprenez parfaitement de quel genre de loyauté je parle... lui dit la vieille femme en le dévisageant.
— En quoi cela a-t-il un rapport avec le carnet de dame Samara ?
— Dans ses écrits, dame Samara fait mention d’une pratique ancienne, que nous n’utilisons plus depuis des décennies. Il s’agissait de prélever un peu de sang de chaque prêtresse pour garder sur elles un certain contrôle. Je ne sais pas exactement comment les anciennes prêtresses procédaient, cette pratique a été exclue il y a des années lorsque nous avons trouvé une autre solution pour maîtriser les pouvoirs trop instables des prêtresses.
— Quelle est cette solution ?
— Nous mettons fin aux cycles menstruels de toutes les nouvelles prêtresses, énonça-t-elle d’une voix froide et dure.
Qahir senti son sang se glacer, il le savait déjà, Aamal le lui avait déjà soufflé, mais l’entendre ainsi de but en blanc lui parut d’autant plus cruel. Il se souvenait de l’expression douloureuse de cette dernière lorsqu’elle lui avait dit ne plus être une femme “à part entière”.
— Et donc cette histoire de sang prélevé ?
— Il semblerait que ce sang permettait de créer un lien entre les prêtresses, afin que chacune sache comment allait chacune d’entre elles, pour être sûre qu’elle se maîtrisaient et qu’elles ne perdaient pas le contrôle. Dame Samara explique ensite qu’il y a eu des dérives sur cette pratique, et qu’une certaine prêtresse s’était mise à contrôler certaines de ses compagnes, les endoctrinant. Un groupe de prêtresses s’était mis à lui obéir avec dévotion, certaines souffrant même lorsque l’on médisait de leur cheffe.
Qahir revit Issa, écroulé au sol, se tenant la tête en grimaçant de douleur.
— Vous voulez dire qu’Aamal...
La première prêtresse le fixa sans répondre.
— Mais c’est une prêtresse de divination, comment...
Il réalisa alors ce que cela impliquait. Aamal aurait appris la magie de sang ? Comment ? Quand ?
— Elle aurait caché ses pouvoirs toutes ces années ? Demanda-t-il pour lui-même à voix haute.
— Je suis moi-même fautive de ne pas avoir su voir son pouvoir, s’excusa la prêtresse en grimaçant. Mais si mes doutes sont fondés, et je crains que ce soit le cas, alors ce n’est pas seulement moi, ni vous, mais tout l’empire qui est en danger...
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