Chapitre 57
Qahir avançait à pas de loup, glissant sur le sol d’une ombre à l’autre, tout en suivant la première prêtresse dans les couloirs sombre du palais Grenat. Marwen et Asha le suivaient de près, le mage déployant son sort de camouflage autour d’eux trois.
La première prêtresse s’arrêta devant la porte de la grande prêtresse, prit une grande inspiration et frappa trois coups qui résonnèrent sinistrement sur les murs de pierre.
— Entrez, fit la voix suave d’Aamal.
La vieille prêtresse entra, prenant bien soin de laisser la porte ouverte derrière elle afin que ses trois compagnons puissent la suivre. Qahir fit un petit signe et ils se glissèrent dans l’ombre du coin de la pièce.
La grande prêtresse se tenait dos à l’entrée dans l’embrasure de la porte-fenêtre grande ouverte. La pleine lune brillait de mille éclats, éclairants de sa douce lumière la pièce plongée dans l’obscurité. Une dague brillait sur le bureau et Qahir remarqua les gouttes de sang qui coulaient de la main de la femme pour s’écraser au sol.
— Qu’est-ce qui vous amène première prêtresse ? Demanda-t-elle d’une voix douce, sans se retourner.
— Je viens vous ordonner de cesser vos machinations, répondit la prêtresse d’un ton ferme. Rendez-vous et je ne vous ferais aucun mal.
Qahir sentit la puissante aura de la grande prêtresse envahir tout l’espace, alourdissant toute l’atmosphère autour d’eux tandis qu’elle éclatait d’un rire froid.
— Seriez-vous en train de me menacer, Hadia ? Dit-elle en lui souriant par-dessus son épaule, ses dents brillantes dans la nuit.
— Je vous trouve bien sûre de vous, fit la première prêtresse avec froideur en la fixant.
Qahir fit signe à Asha et commença à contourner le bureau par la droite tandis qu’elle partait sur la gauche.
— Aaah, j’aurais préféré vous garder en vie encore un peu... soupira Aamal en se tournant pour lui faire face.
La première prêtresse sortit de sa manche une fiole ouverte qu’elle lança vers Aamal, le liquide s’enflammant au contact de l’air, mais la grande prêtresse s’écarta et lança sa main blessée vers la vieille femme qui se retrouva aspergée de son sang. Celui-ci se mit aussitôt à fumer et la vielle prêtresse poussa un cri de douleur en portant les mains à son visage sous le regard impassible d’Aamal.
Qahir profita de ce moment pour sauter hors de l’ombre derrière elle et attrapa la femme par les cheveux tout en serrant la lame de son poignard sur sa gorge. Aamal se laissa faire sans se débattre et sourit étrangement, son obscure aura disparaissant aussitôt.
— Qahir, souffla-t-elle tout bas.
— Aamal, fit-il en enfonçant légèrement le tranchant de son arme dans la peau de la jeune femme.
La grande prêtresse grimaça, mais resta immobile. Sans lui laisser le temps de réagir, il attrapa le fin collier doré qu’il avait attaché à sa ceinture et le glissa autour de son cou, puis, mordant le bout de son pouce, il l’appuya dessus, laissant le bijou se refermer dans un petit cliquetis métallique.
Il relâcha alors la grande prêtresse tandis qu’Asha allumait les lampes du bureau, s’attendant à percevoir les pensées de la femme, mais rien ne vint. Il dévisagea Aamal qui le fixait calmement en souriant. Il sentait le lien qui s’était forgé avec le collier, mais aucune émotion n’émanait de la prêtresse. Ni peine, ni colère, c'était comme s’il avait mis le collier sur une coquille vide.
— Assieds-toi, lui ordonna-t-il fermement en contournant le bureau.
La prêtresse s’assit docilement à son bureau sans un mot, se tournant vers la première prêtresse agenouillée au sol, les mains devant son visage.
— Vous devriez aller voir les prêtresses, qu’elles vous soignent, lui dit-elle d'une voix douce.
La vielle femme baissa les mains, dévoilant son visage brûlé à vif, sa peau rouge et enflée encore fumante, et fusilla Aamal du regard. La douleur devait être terrible, pourtant elle n'en laissa rien paraitre et l’empereur fut encore une fois impressionné par la force de caractère de première prêtresse.
— Allez-y, je m’occupe de la suite, lui dit-il d’un ton ferme.
La prêtresse se releva en serrant les lèvres et Qahir fit signe à Asha de l’accompagner.
— Va ! Fit-il à la guerrière qui hésitait et jetait des regards inquiets vers la grande prêtresse.
Il savait que rester seul avec Aamal n’était pas la meilleure solution, mais il espérait qu’elle se sentirait ainsi plus à l’aise pour lui avouer ses secrets. De plus, le mage Elarien se trouvait toujours dissimulé contre la bibliothèque et il espérait que ce dernier saurait intervenir en cas de besoin, même s’il s’agissait là d’un pari risqué.
Une fois les deux femmes sorties, il examina le bureau de la grande prêtresse sur lequel étaient éparpillés divers documents tachés de sang et une fine dague argentée.
— Tu as donc appris la magie de sang, commenta-t-il en attrapant la petite arme. Depuis quand ?
— Quelle importance ? répondit Aamal en souriant toujours. Si je te dis que ça ne fait que quelques jours, seras-tu plus clément envers moi ?
— Non. Dans tous les cas, je devrai te tuer...
— Alors abrégeons tout ça et vas-y. Met fin à mes jours.
Qahir la dévisagea en serrant les dents. Qui était cette femme face à lui ? Où était passée son amie d’enfance ? Cette jeune femme douce et souriante... La femme qui lui faisait face ne montrait aucune émotion, le toisant avec froideur et détachement, comme si la situation était on ne peut plus normale.
— Que t’est-il arrivé Aamal ? Pourquoi fais-tu cela ?
Le sourire de la femme disparut et il ressentit alors une vague de rage incandescente qui lui coupa presque le souffle, ses yeux brillants de haine.
— Tu ne sais rien de moi ! Ne crois pas pouvoir me comprendre, dit-elle d’une voix dure et cassante.
— Alors explique-moi, fit Qahir faisant le tour du bureau pour s’approcher. Peut-être que si tu me disais ce qui t’as poussé à commettre tout ça, si tu me disais quel était ton but...
— Alors quoi ? Tu me libérerais ? Tu m’aiderais à atteindre mon but ?
Elle lui adressa un sourire amer et il la dévisagea sans répondre.
— Non, bien sûr que non... continua-t-elle, son sourire s’effaçant. Après tout ce que j’ai fait pour toi... Il a suffi d’un regard, d’un rêve, et déjà tu n’étais plus à moi... Mais je le savais, je savais que tu me trahirais, c’est toujours comme ça...
— Qui as-tu envoûté ?
Aamal pinça les lèvres en baissant le regard.
— Réponds ! Ordonna-t-il en utilisant le pouvoir du collier pour l’inciter à obéir.
— Des prêtresses de sangs, et certains orphelins des plantations...
— Et les Garandï ?
— Tu as tué ceux que j’avais réussi à contrôler, lâcha-t-elle en grimaçant.
— Comment les désenvoûter ?
Amal grimaça et serra les dents, les yeux fixés sur son bureau. Il lui saisit le visage, la forçant à le regarder, resentant la colère qui habitait la prêtresse à travers le collier.
— Comment faire pour qu’ils ne te soient plus dévoués ? Demanda-t-il en la fixant.
— Ça s’estompe avec le temps, répondit-elle à contrecœur en détournant les yeux.
— Combien de temps ?
— Ça dépend de chacun, un mois ou plus...
Il lui lâcha le visage, hésitant à poser la question qui le taraudait. Il connaissait déjà la réponse, mais il avait besoin de l’entendre.
— As-tu utilisé ce sort sur moi ? Finit-il par demander la gorge serrée.
Il avait besoin de savoir. Avait-il aimé cette femme ou l’avait-elle contrôlé durant toutes ces années ? Était-ce son sort qui était responsable de l’aveugle obéissance dont il avait fait preuve à son égard ? Était-ce là la raison pour laquelle il avait commis tant d’actes atroces au fil des années ?
Le visage de la grande prêtresse s’adoucit soudainement et elle lui adressa son habituel sourire doux qu’il connaissait depuis tant d’années.
— Tu aimerais que je te dise oui...
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