Chapitre 58

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Eylen déambulait pensivement dans le jardin des concubines, observant oisivement sous les derniers rayons du soleil la magnifique végétation du palais. Plusieurs jours étaient passés depuis son escapade avec l’empereur, et même s’il rejoignait chaque soir tard dans la nuit pour s’adosser à la tête de lit avant de disparaître au matin, elle ne l’avait presque pas revu depuis .

M’évite-t-il ? Il s'était passé quelque chose d’important avec les enfants des champs. Bien qu’elle n’ ait pas compris la conversation qu’il avait eue avec le jeune garçon, l’empereur lui avait semblé très inquiet.

Des rires résonnèrent à l’autre bout du chemin qu’elle empruntait et la sortirent de ses pensées. Relevant les yeux elle aperçut un groupe de femmes, magnifiquement vêtues qui discutaient ensemble et fut surprise d’apercevoir des visages Elariens parmi elles. Elle se figea sur place, hésitante. 

— Bonjour, fit la voix de Shaïa dans son dos.

Eylen sursauta et se retourna pour la saluer.

— Princesse, dit-elle en s’inclinant.

Elle se tourna vers le petit groupe qui avait disparu derrière les feuillages.

— Qui sont ses femmes ? Demanda-t-elle en fronçant les sourcils. 

Serait-ce d’autres concubines ?

— Ce sont les anciennes concubines du précédent empereur, répondit la guerrière en s’avançant à sa hauteur.

Eylen la regarda étonnée.

— J’ai cru voir des Elariennes parmi elles...

— En effet. Le prédécesseur du Mokthar a épousé énormément de concubines, venues de très loin, même par-delà la frontière...

— Oh... Je ne savais pas que des Elariens avaient déjà franchi la frontière.

Pas si infranchissable que ça cette fameuse frontière...

— Elles ne sont pas venues d’elles-mêmes, continua la princesse avec un regard triste. L’ancien empereur a fait capturer ses pauvres filles et les a fait ramener de force ici. Il en est de même pour toutes ses autres concubines.

— Pourquoi faire cela ? Questionna Eylen perplexe. À quoi bon avoir autant d’épouses ?

— Je conçois que pour une Elarienne cela semble étrange, mais la polygamie est chose courante dans le désert. Cependant, il faut avouer que l’ancien empereur a eu énormément de femmes, plus que quiconque n’en avait jamais eu avant lui. Il a attaqué de nombreux peuples et clan pour avoir toutes ces concubines. Les Suharïs faisant entre autres partie de ceux-là.

La jeune femme se tourna vers la princesse qui affichait une expression peinée.

— Ma mère, la reine des Suharïs, a donné sa vie pour nous protéger, en vain...

— Je suis désolée... souffla Eylen, ne sachant que trop bien ce que la perte d’un être aussi cher signifiait.

— C’est du passé, fit la princesse en ballayant l’air d’un geste de la main. Et puis le Mokthar nous a libérées.

Eylen la fixa sans comprendre. 

— Les guerrières Suharïs et moi-même étions toutes des concubines de l’ancien empereur, comme les femmes que tu viens d’apercevoir.

— Alors... fit la jeune femme en regardant vers là où avaient disparu les femmes, sont-elles aussi les femmes de l’empereur.

— Non ! Il a déjà râlé pendant des jours après avoir dû épouser les Suharïs, il n’avait pas l’intention de s’encombrer d’autres femmes en plus. Il est de coutume de tuer les ancienne concubine d’un présedent empereur, mais il a décidé de leur laisser la vie sauve. Il a également permis à celles qui ne pouvaient pas retourner chez les leurs de continuer à vivre dans le palais des concubines.

— Oh... Donc, il vous a épousé, ainsi que les guerrières Suharïs et la princesse Nora ?

Shaïa acquiesça en souriant.

— La princesse Nora est la première épouse du Mokthar, ils se sont mariés avant qu’il ne devienne empereur.

Eylen sentit son cœur se serrer et agrippa le devant de sa robe, étrangement troublée. Il l’avait épousée avant d’être empereur. Quelle était leur relation dans ce cas ? Étaient-ils amants ? Toutes ces journées où elle ne le voyait pas, les passait-il avec sa première épouse ? Elle se mordit la lèvre, sa respiration se bloquant à cette idée pour une raison qui lui échappait.

La princesse se pencha pour cueillir un magnifique lys blanc et se redressa.

— L’empereur a épousé toutes ses femmes par contrainte ou par obligation, mais il n’y en a qu’une seule qu’il semble avoir réellement désirée, continua-t-elle en tendant la fleur à Eylen.

La jeune femme prit délicatement le lys, l’observa intriguée, et releva les yeux vers la princesse qui lui souriait avec douceur. Que devait-elle conclure de ses paroles ? La façon dont se comportait l’empereur envers elle semblait indiquer qu’il la considérait différemment des guerrières, mais elle ne savait pas quoi en déduire de plus.

— Vous n’êtes pas amoureuse de lui ? Osa-t-elle demander d’une voix gênée.

La princesse eut un petit rire avant de se remettre à marcher dans le jardin.

— Non, lui dit-elle finalement après un court silence. Je n’ai pas ce genre de sentiments à son égard. Enfin... disons que j’aurais pu s’il l’avait souhaité... Mais son cœur n’était déjà pas libre à l’époque, la place a toujours été destinée à une autre... Je ressens quelque chose de bien plus puissant que de l’amour pour lui.

— Qu’est-ce qui est plus puissant que l’amour ? Demanda Eylen de plus en plus perdue.

Shaïa s’arrêta et lui fit face, plantant ses yeux gris acier dans les siens avec intensité.

— La foi.

Eylen écarquilla les yeux de surprise. Elle connaissait des gens qui avaient la foi, plusieurs esprits et dieux étaient vénérés dans le royaume et alentours, les conteurs et les nomades chantaient leurs légendes lors des soirs de fête. Mais jamais elle n’avait entendu parler d’une telle foi envers un être vivant.

— La foi ? On a foi en des dieux ou des esprits, pas en un homme...

La princesse lui adressa un petit sourire énigmatique.

— Et vous ? Que ressentez-vous pour l’empereur ? Lui demanda-t-elle soudain.

Eylen grimaça. Elle était prise à son propre piège. La princesse avait répondu à sa question, elle se devait elle aussi de lui répondre en toute honnêteté, mais elle n’avait aucune idée de ses sentiments à l’égard de ce dernier.

Elle ressentait une attirance, c’était indéniable. Chaque fois qu’elle se trouvait en sa présence, elle sentait une étrange attraction qui la poussait à se rapprocher de lui, plus elle le côtoyait, plus elle en apprenait sur lui, et moins il ressemblait au monstre qu’elle s’était persuadé qu’il était... Elle ne pouvait cependant se résoudre à accepter ces sentiments, qui allaient en contradiction avec ses idées. Il la gardait prisonnière, elle n’était pas libre de ses choix et de ses actes...

Elle ouvrit la bouche pour répondre mais Shaïa la coupa. 

— N’essayez pas de me tromper en me sortant l’excuse d’être prisonnière. J’ai moi-même été prisonnière et concubine de force du précédent empereur, je sais ce que l’on ressent dès lors, lui dit-elle d’un ton tranchant. Croyez-moi, j’ai haï cet homme des années durant et je sais que ce n’est pas ce que vous ressentez pour le Mokthar.

Eylen referma la bouche silencieusement, ayant l’impression de ressembler grotesquement à un poisson hors de l’eau.

— Très bien ne me répondez pas de suite, vous le ferez quand vous saurez...

— Que signifie Mokthar ? demanda alors la jeune femme, à la fois pour changer de sujet et en même temps réellement curieuse.

— Il y a plusieurs légendes parmi les peuples du désert, l’une d’elles fait mention d’un héros, béni par le dieu Râï et secrètement aimé par la déesse Netïa. Il est dit qu’il possédera le courage de mille hommes et la force de cent démons, et qu’il nous libérera de la terreur. Cet homme est le Mokthar, notre empereur.

— Comment savez-vous qu’il s’agit de l’empereur ? 

— Il y a eu des prédictions. L’empereur en a déjà réalisé certaine d’entre elles, et il réalisera les prochaines... lui révéla la princesse.

Elle la fixait avec d'un étrange regard qui mit la jeune femme mal à l’aise.

— Que disaient ces prédictions ?

— Que le Mokthar tuerai le roi des démons, s’approprierai son Energie, et qu’il destituerai le tyran pour prendre sa place sur le trône et guider les peuples du désert. Il est aussi dit que le Mokthar accompagné par l’incarnation de Netïa, libèrera son peuple du courroux des démons et les mènera vers des temps plus sûrs.

Libérer son peuple du courroux des démons. Il est probablement question de la frontière. L’empereur lui avait dit qu’il comptait la détruire, même s’il ignorait toujours comment faire. Encore fallait-il que cela soit possible...

— Vous semblez certaine qu’il y arrivera...

— Je le suis, répondit la princesse catégorique. J’ai foi en Mokthar, tout comme son peuple.

La jeune femme vit dans les yeux de la princesse toute la dévotion qu’elle ressentait et en fut impressionnée. Elle donnerait sa vie pour lui, songea-t-elle. Aucun des sujets du roi Kendall qu’elle avait rencontré ne lui avait paru lui être aussi dévoué. 

Elle repensa à la façon dont les enfants des champs avaient regardé l’empereur, exprimant à la fois joie et admiration. Son peuple l’aime, et il les aime également. Peut-être est-ce pour cela qu’il est prêt à commettre des actes si cruels, et à menacer tant de gens. Il le fait par amour pour eux... Elle se sentit soudainement toute petite, consciente de la différence qui les séparait, elle qui avait passé ces dernières années à fuir, incapable de protéger aucun de ses proches.

— Peut-être qu’il s’est trompé... dit-elle alors tout haut pour elle-même. Je ne sais pas si je serai capable de faire traverser la frontière à son armée...

— Non, il ne s’est pas trompé, lui répondit Shaïa d’une voix douce. Vous n’êtes pas encore consciente de votre pouvoir, mais vous êtes bien celle qui ouvrira la voie au Mokthar.

Eylen la dévisagea, étonnée par l’étrange conviction qui résonnait dans les mots de la princesse. Aucun doute ne se reflétait dans ses yeux acier, et la jeune femme se surpris à envier son assurance.

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