Chapitre 59

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Cette nuit-là, adossée à la tête de lit, Eylen resta éveillée jusqu’à l’arrivée de l’empereur.

Lorsque ce dernier ouvrit discrètement la porte de la chambre, elle sursauta, se releva précipitamment et s’approcha de lui alors qu’il la dévisageait surpris.

 Il était certainement venu directement après la défense de la cité, car il était couvert de sang de démons. Eylen avait remarqué que les domestiques laissaient une bassine d’eau dans la salle de bain tous les soirs pour qu’il se nettoie.

— Bonsoir, fit-elle en s’inclinant.

— Tu ne dors pas ?

— J’ai pensé qu’une tisane vous aiderait à dormir, fit-elle en désignant la théière sur la petite table. Je vous laisse vous nettoyer, je vais faire chauffer l’eau.

Elle alla directement vers la petite table tandis qu'il restait immobile à l’entrée de la pièce et elle grimaça consciente de l’étrange changement d’attitude qu’elle opérait.

L’empereur finit par entrer dans la salle de bain, elle poussa un petit soupir avant d’attraper la pierre de chaleur que lui avaient laissée les domestiques et de la plonger dans la théière qui se mit immédiatement à chauffer. Elle s’installa ensuite dans la petite banquette en tissu, attendant patiemment que l’empereur revienne.

La discussion qu’elle avait eue avec la princesse Shaïa plus tôt l’avait grandement fait réfléchir et elle avait décidé d’arrêter de fuir.

L’empereur la rejoignit rapidement, encore humide de sa toilette, vêtu d’un long kimono en soir blanche serré autour de la taille. Il s’assit face à Eylen et l’observa lui verser le thé avant de prendre sa tasse et d’en humer la senteur.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Une infusion de plantes pour vous aider à dormir, répondit-elle tendue.

Elle avait puisé dans sa besace de guérisseuse pour concocter une infusion à base de plante aux vertus apaisantes. L’empereur en prit une gorgée et grimaça légèrement. Eylen lui tendit alors le pot de miel, elle n’avait pas osé lui en mettre directement, ne connaissant pas ses goûts. Il l’accepta et s’en servit une cuillerée.

— Je suppose que tu n’es pas restée éveillé toute la nuit seulement pour me faire boire du thé... dit-il finalement après avoir pris une autre gorgée.

La jeune femme serra le tissu de sa robe de nuit et le fixa avec détermination. C’était le moment, elle avait répété la scène suffisamment de fois, il n’était pas question de se décourager maintenant.

— Non. Je voulais vous proposer mon aide, finit-elle par dire d’une voix mal assurée.

— Ton aide ? N’est-ce pas la raison pour laquelle je te garde ici ? Fit-il en levant un sourcil.

— Certes, mais cette fois-ci, je vous propose de vous aider de mon plein gré, et de faire tout mon possible pour vous aider à libérer votre peuple de la frontière.

L’empereur la dévisagea en restant silencieux.

— Et que me vaut ce changement soudain de comportement ?

— J’ai eu matière à réfléchir, et j’ai décidé qu’il serait plus avantageux de vous aider rapidement à libérer votre peuple si je voulais retrouver ma liberté.

L’empereur croisa les jambes, s’accouda à son siège et posa sa joue sur son poing.

— Bien. Comment comptes-tu m’aider dans ce cas ? As-tu miraculeusement trouvé la solution pour me faire traverser la frontière ?

— Eh bien... Pas encore, avoua-t-elle en se sentant rougir. Mais je pense savoir comment la trouver !

Il la fixa, attendant la suite.

— Avec l’aide de la grande prêtresse, je pourrai chercher plus loin dans les souvenirs de mes ancêtres...

— Non, la coupa-t-il catégorique.

Eylen ouvrit les yeux de surprise.

— Mais... Vous aviez dit qu’elle pourrait m’aider à trouver comment faire...

— Il n’est plus question de lui demander son aide, fit-il d’un ton ferme, ne laissant aucune place à négociation.

— Dans ce cas, enchaîna la jeune femme en réfléchissant. Il me faudrait aller là où vivaient les autres Dorogaïs...

— Pourquoi ? Demanda-t-il perplexe.

— Eh bien, mes précédentes visions qui concernaient mes ancêtres se sont toutes déroulées au même endroit, certainement dans leur village...

Elle avait longuement réfléchi à ses visions, et le point commun entre nombres d’entre elle était cet étrange lieu, fait de maison en pierres dans le désert. Elle n’aurait pu en donner la raison, mais elle savait qu’elle devait s’y rendre, elle le sentait au fond d’elle : les réponses qu’elle cherchait se trouvaient là-bas.

Elle serra un peu plus fort le tissu de sa robe tandis que l’empereur semblait réfléchir à sa proposition. Il grimaça et se frotta le visage, visiblement épuisé. Eylen prit une inspiration et se releva pour se placer devant lui.

— Laissez-moi vous soulager, dit-elle en tendant la main.

L’empereur releva le visage et la fixa, surpris. Elle attendit la main tendue, sûre d’elle. Elle avait décidé de l’aider de son plein gré désormais et elle comptait bien le lui prouver.

Il avança finalement sa propre main et saisit la sienne, La jeune femme ferma les yeux et se concentra. Elle trouva rapidement ce qu’elle cherchait et aspira toute la fatigue de l’empereur, étonnée de la facilité avec laquelle elle y arrivait désormais. Le contact avec lui semblait maintenant plus naturel et plus fluide, comme s’il s'agissait d’une extension de son propre corps.

Elle rouvrit ensuite les yeux laissa sa main dans celle de l’empereur.

— J’ai cependant une demande, avoua-t-elle en sentant l’angoisse lui serrer la gorge.

— Je t’écoute.

— Une fois que je vous aurais fait traverser la frontière, promettez-moi de tout faire pour la détruire sans menacer les Elarien.

L’empereur lui lâcha la main et ricana.

— Je ne pense pas pouvoir faire une telle promesse, lui dit-il en se relevant. Le roi Elarien n’acceptera pas aussi facilement de détruire la frontière.

— Non, c’est certain. Mais vous n’êtes pas obligé de menacer son peuple pour cela.

— Et comment ferais-je pour obtenir son aide dans ce cas ? Lui demanda-t-il en se penchant vers elle, un petit sourire ironique sur les lèvres.

— Il y a quelque chose auquel le roi Kendall tient plus que ses sujets, affirma Eylen sans détourner les yeux.

— Quoi donc ? 

Il se pencha un peu plus vers elle, son souffle effleurant le visage de la jeune femme.

— Ses richesses.

Elle se mordilla la lèvre tandis qu’il la dévisageait avec intensité, ses yeux sombres plongés dans les siens.

— Si vous vous en prenez à ses richesses, il finira forcément par céder. Il se moque de ce qui peut arriver à son peuple, mais il porte une très grande importance à ses biens et à son or, continua-t-elle.

Il leva sa main vers elle, la posant délicatement sur la joue d’Eylen qui le laissa faire sans ciller.

— Je ne peux pas te promettre de ne pas menacer les Elariens, mais je peux tout de même essayer ta méthode, accéda-t-il finalement.

La jeune femme poussa un petit soupir de soulagement, se rendant compte qu’elle avait retenu sa respiration jusque-là.

— Dans ce cas, je vais faire tout mon possible pour vous aider.

Elle se sentait allégée d’un poids. Elle pouvait donc aider l’empereur tout en s’assurant que ses proches restent sains et saufs et en plus de ça, peut-être retrouver sa liberté.

— Qu’est-ce qui t’a fait changer ainsi d’avis ? Lui demanda-t-il soudain, intrigué.

Eylen détourna les yeux en rougissant.

— Rien de spécial... Je me suis simplement rendu compte de certaines choses, éluda-t-elle en tentant de reculer.

— Quelles choses ? Insista l’empereur en la suivant.

Elle recula et se cogna contre la banquette, retombant dessus.

— Eh bien... Je... J’ai compris que vous n’étiez pas le tyran que je pensais et... je ... J’ai vu à quel point vous étiez dévoué aux vôtres... bredouilla-t-elle de plus en plus gênée. 

L’empereur se pencha sur elle et s’appuyant au dossier en bois et à l’accoudoir, la bloquant sous lui.

— Donc je ne suis plus un monstre à tes yeux ? Lui demanda-t-il avec un étrange sourire satisfait. Quand as-tu changé de point de vue sur moi ? Durant notre sortie ? Devrais-je te faire visiter d’autres parties de la cité ?

Il lui attrapa la main, la portant à ses lèvres.

— Devrais-je organiser une autre fête ? Il me semble que la dernière t’a plu, continua-t-il avec un air amusé.

— Non ! S'écria-t-elle en dégageant sa main et se faufilant sous son bras pour s’échapper.

Elle s’écarta vers le lit, posant ses mains sur ses joues chaudes et l’entendit ricaner doucement.

— Je vais dormir ! Fit-elle énervée en plongeant dans le lit, se cachant sous les draps.

Elle se boucha les oreilles en l’entendant rire ouvertement et sentit le lit bouger tandis qu’il s’installait à ses côtés.

— Eylen, souffla-t-il alors en soulevant les draps.

Elle le dévisagea en grimaçant, troublée par le doux sourire qu’il affichait.

— Merci pour le thé.

Il reposa les draps sur l’épaule de la jeune femme, attrapa une de ses mèches de cheveux qu’il embrassa et s’appuya à la tête de lit en fermant les yeux, un petit sourire satisfait sur le visage. Eylen ramena le drap sur sa tête, trop gênée pour le regarder. Cependant, elle fut rapidement gagnée par le sommeil et s’endormit presque aussitôt, le cœur un peu plus léger maintenant qu’elle avait pris sa décision.

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