Chapitre 60

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À son réveil, Eylen constata avec une pointe de déception que l’empereur était déjà parti. Elle resta allongée un instant sous les draps et regarda la place vide où il s’installait la nuit.

Elle découvrit en se levant que le plateau du petit-déjeuner était déjà posé sur la petite table et mangea rapidement avant de prendre un petit pain qu’elle émietta sur le rebord extérieur de sa fenêtre. Elle procédait ainsi depuis plusieurs jours, laissant de quoi grignoter à l’étrange petit curieux qui venait l’observer toutes les nuits. Le temps qu’elle aille se préparer dans la salle de bain, les miettes auraient déjà disparu.

Après avoir enfilé sa tenue d’entraînement, elle s’apprêtait à sortir de sa chambre quand la porte s’ouvrit devant elle.

— Bonjour, la salua Inaya avec un petit sourire amusé.

— Bonjour ? Répondit la jeune femme, étonnée de voir la guerrière d’habitude si impassible la saluer avec tant d’entrain.

— Mets ça, fit-elle en lui tendant une cape blanche. L'empereur a décidé de nous emmener en balade.

Eylen attrapa la cape qu’elle enfila en évitant les regards curieux que la guerrière lui lançait.

— Qu’est-ce que tu as fait à l’empereur hier soir ? Lui demanda-t-elle finalement. Il semblait tout joyeux ce matin, quand il s’est levé. 

— Rien... répondit Eylen qui en la dépassant précipitamment.

Saki s’inclina lorsqu’elle passa devant elle et la suivit silencieusement. Eylen lui rendit son salut d’un geste de la tête, toujours gênée par le changement soudain d’attitude de la Suharï. Pour une raison qu’elle ignorait, cette dernière ne la regardait plus avec dédains depuis qu’elle avait vu la grande prêtresse, et elle n’allait pas s’en plaindre, même si cela l’intriguait secrètement.

Inaya et Saki la guidèrent vers le terrain des Garandïs où l’attendait l’empereur et plusieurs montures. En s’approchant, Eylen aperçut plusieurs guerrières ainsi que Rainir et Marwen, tous déjà en scelle et prêts au départ.

Elle adressa un sourire à son ancien mentor avant de s’avancer vers lui, mais l’empereur lui coupa la route l’air contrariée. Eylen le dévisagea étonnée et s’inclina.

— Bonjour Excellence, fit-elle, imitant le salut que lui réservaient les guerrières.

Il grimaça et lui prit la main avant de la tirer vers un cheval à la robe sombre.

— Ne m'appelle pas ainsi, lui dit-il en l’aidant à monter en selle. 

Il s’installa sur sa propre monture, se plaça à ses côtés et sorti le bandeau noir qu’il lui tendit

— Comment dois-je vous appeler dans ce cas ? Lui demanda-t-elle en finassait d’attacher le tissu derrière ses cheveux.

Il resta silencieux et elle se demanda s’il l’avait entendu.

— Qahir... dit-il en relevant la capuche de la jeune femme. Appelle-moi Qahir.

Il se retourna sans lui laisser le temps de répondre et fit avancer sa monture vers la grande porte qui menait à la cité. Eylen, qui avait gardé la bouche grande ouverte de stupeur, la referma tandis que son propre cheval se mettait lui aussi en marche.

Le cortège traversa la cité qui se réveillait à peine, les quelques passants présents dans les rues s'écartèrent précipitamment devant eux, s’inclinant avec respect sur leur passage. L’empereur menait la marche, suivit d’Eylen, Inaya et Saki.

La jeune femme fixa sa monture, évitant les regards moqueurs que lui jetait Inaya à sa droite. Au vu du petit sourire amusé que la guerrière affichait, il était fort probable qu’elle avait entendu la réponse de l’empereur, et Eylen n’avait absolument pas envie de lui donner la satisfaction de voir son visage sûrement rouge de honte.

Qahir... Elle secoua vivement la tête en se mordant la lèvre. Non, non, non ! Il était hors de question qu’elle l’appelle ainsi !

— Qu’est-ce que tu fais ? Tu veux tomber de cheval ? Lui demanda l’empereur.

Elle réalisa alors qu’ils étaient sortis de la cité et qu’ils avaient ralenti pour se mettre à ses côtés. 

— Non, désolée, fit-elle en se détournant vivement.

— Bien, tiens-toi fermement, nous allons accélérer.

Il talonna alors sa monture qui parti au trot pour filer de plus en plus vite et les autres chevaux suivirent la cadence, galopant à en rythme à travers le désert.

Ils galopèrent des heures durant au travers des dunes de sable chaud, ne faisant que de courte pause pour manger et se désaltérer.

En fin d’après-midi, ils atteignirent un petit campement fait de plusieurs tentes avaient montées à même le sable par des domestiques accompagnés de guerriers Garidans qui les avaient précédés.

— Nous allons camper ici pour la nuit et nous repartirons demain, lui expliqua l’empereur en l’aidant à descendre de sa monture.

Eylen acquiesça et grimaça de douleur en posant les pieds aux sols. Elle n’était toujours pas habituée à voyager à cheval et tout son corps était douloureux.

— Tu dois être épuisée, vas te reposer sous la tente, j'ai demandé qu’on te prépare un bain, lui dit-il en passant une main autour de sa taille pour la mener vers le campement.

Il souleva le pan de la plus grande tente et Eylen se tourna brièvement en arrière pour tenter d’apercevoir Marwen, mais ce dernier descendait à peine de monture à l’autre bout du campement.

Elle aurait aimé s’entretenir avec lui au moins un instant pour savoir comment il allait. Elle ne l’avait pas revu depuis la nuit où il lui avait rendu visite dans sa chambre et espérait que l’empereur n’avait pas été trop dur avec lui.

L’empereur la poussa alors doucement à l’intérieur de la tente et elle découvrit l’espace décoré de tapis et de coussins colorés. Un gigantesque lit trônait au milieu de la tente, un petit salon en coussins était installé à son pied et une large baignoire en bois avait été placé sur un côté.

Cette dernière était déjà remplie d’eau chaude et elle plongea ses doigts dedans en rêvassant.

— Repose-toi, lui dit l’empereur en retournant à l'entrée de la tente, Inaya va monter la garde.

Eylen le regarda sortir de la tente et se déshabilla rapidement avant de plonger dans l’eau chaude avec soulagement. Elle se laissa aller, complètement épuisée par leur longue chevauchée, et ne sortit de l’eau que lorsqu’elle fut devenue entièrement tiède.

Une fois changée, elle sortit de la tente elle découvrit un grand feu allumé au milieu du campement et des domestiques qui distribuaient leurs repas à ceux qui étaient déjà assis.

Eylen aperçut Marwen assit non loin du feu, discutant avec Rainir.

— Bonsoir, fit-elle en approchant.

Marwen se releva brusquement, son assiette à la main.

— Eylen ! Lui dit-il avec un air inquiet.

Le mage lui sembla avoir un peu maigri, les traits de son visage étaient tirés par la fatigue et un début de barbe pointait sur son menton.

— Vous semblez épuisé, lui dit-elle en posant sa main sur son bras.

— Ce n’est rien, fit-il en remettant machinalement en place des lunettes.

— Bonsoir, la salua alors Rainir avec un sourire poli.

— Bonsoir mage Rainir.

— Voulez-vous vous joindre à nous pour le repas ? Proposa-t-il en montrant les tapis colorés devant eux.

— Oui avec plaisir, répondit Eylen en s’installant à côté de Marwen avec Inaya.

Une domestique leur apporta rapidement leurs assiettes et des verres tandis qu’elle observait son ancien maître d’un œil discret.

— C’est agréable de pouvoir camper ainsi hors de la cité, commenta Rainir après un instant. Même à Toren, nous n’osions pas dormir hors des murs par craintes des démons.

Eylen le dévisagea étonnée. Elle ignorait que la ville proche de la frontière était si dangereuse. En pleine terre, comme à Esser ou à Abies, il n’y avait aucun risque à caper hors des villages la nuit. Peut-être parce que les démons n’aiment pas s’éloigner de la frontière ?

— Ne vous réjouissez pas trop vite, intervint Inaya soudainement. Les démons sentant notre présence, ils attaqueront avant le lever du jour.

— Je sais, c’est la raison pour laquelle nous sommes ici, répondit le mage en désignant Marwen.

— Pourquoi ? Demanda Eylen intriguée.

— Pour protéger le campement.

La jeune femme sentit aussitôt son sang se glacer.

— Vous allez combattre les démons ?

— Non, la rassura Marwen en lui souriant. Nous allons simplement créer une barrière pour vous protéger, toi et les domestiques, rien de plus.

— Oh... Oui, c’est plus sûr...

Elle observa les domestiques qui s’affairaient dans le campement en se demandant si l’empereur avait l’habitude d’emmener autant de serviteurs lors de ses déplacements hors de la cité. Non, il ne s’encombrerait certainement pas de tout ce monde... Dans ce cas, pourquoi avoir fait monter un tel campement difficile à protéger ? Il avait même dû faire venir Rainir et Marwen pour créer une barrière protectrice... Un vague sentiments de malaise s’installa en elle tandis qu’elle réalisait que peut être tout ceci était dû à sa présence. Non, c’est ridicule...

— Tu sembles aller bien, comment se passe la vie dans le palais des concubines ? Lui demanda Marwen en se tournant vers elle.

— Je suis très bien traitée, répondit-elle en culpabilisant devant l’air épuisé de son maître. Mais ça n’a pas l’air d’être votre cas...

— Ce n’est rien, je n’ai pas eu l’occasion de bien me reposer ces derniers temps, c’est tout.

La jeune femme aperçut le mage Rainir grimacer furtivement avant de reprendre une expression neutre. Était-il lui aussi inquiet pour Marwen ? Qu’est-ce qui pouvait autant épuiser son ancien maître ?

— Comment se passe la formation des apprentis mage ? demanda-t-elle pour changer de sujet.

— Ils sont très doués, répondit l’ancien guérisseur en souriant. Cela faisait longtemps que je n’avais pas pratiqué autant la magie et c’est étonnant de voir à quelle vitesse les jeunes peuvent progresser.

Eylen l’écouta attentivement raconter le déroulement des ses cours avec les jeunes Elariens, soulagée de le voir s’enthousiasmer ainsi. Peut-être que la magie lui manquait un peu lorsqu’il était guérisseur. Après tout, elle avait entendu plusieurs fois le prince Aodren vanter ses mérites, affirmant qu’il était l’un des plus grands mages que l’académie ait connu. Je me demande comment va Maria. Plusieurs semaines s’étaient écoulées depuis leur départ. Les patients de maître Marwen devaient se retrouver démunis et la vielle femme bien seule.

— À quoi penses-tu ? Lui demanda Marwen tandis qu’Inaya et Rainir échangeaient sur les différents monstres qu’ils avaient eus l’occasion de rencontrer.

— Je me demande comment va Maria et votre boutique...

— Ne t’inquiète pas pour elle, je sais qu’elle saura s’occuper des patients et de la maison. Même si elle doit certainement se faire un sang d’encre pour nous.

— Oui, fit Eylen en lui souriant. Si elle vous voyait elle vous réprimanderait pour ne pas assez manger et s’occuperait de raser votre barbe.

Marwen se frotta le menton avec un petit rire.

— En effet, il est temps que je me rase. Je me rends compte aujourd’hui que je me reposais un peu trop sur elle. Quand nous rentrerons, il faudra que je la remercie...

Son sourire se figea et Eylen comprit tout de suite qu’il se demandait s’ils rentreraient un jour.

— Oui, moi aussi je compte bien la remercier et la serrer fort dans mes bras, lui dit-elle avec assurance. Peut-être même que j’irai voir la vieille Elie.

— Je vois que vous faites de beaux projets, intervint la voix froide de l’empereur au-dessus d’eux.

Eylen releva les yeux et les découvrit debout derrière eux, la mine sombre. Il soupira et se passa la main dans les cheveux, l’air agacé.

— Il va faire nuit, rentre t’allonger en sécurité dans la tente, lui dit-il en lui prenant le bras pour la relever.

Il la tira derrière lui et l’entraîna vers la tente sans même lui laisser le temps de dire au revoir à Marwen.

— Excellence ! L’appela-t-elle en essayant en vain de libérer.

Mais il ne l’écoutait pas continuant d’avancer à grandes enjambées à travers le campement. Il souleva ensuite le pan de la tente avant de la tirer à l’intérieur.

— Excellence ! S'écria-t-elle avec plus de force tandis qu’il la menait vers le lit.

Il l’assit de force sur le lit et se pencha vers elle, ses yeux brillants de colère.

— Je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler ainsi, dit-il d’une voix froide avant de se retourner vers la sortie de la tente. Et ne t’avise pas de sortir d’ici sans mon accord.

Il referma la tente derrière lui et Eylen l’entendit donner ses ordres à Inaya et Saki avant de s’éloigner. Elle resta figée un moment sur le lit avant de réaliser ce qu’il venait de se passer, l’empereur ne lui ayant même pas laissé le temps de réagir. Aussitôt, l'énervement monta en elle et elle serra les poings de colère, fulminant intérieurement.

Elle se redressa vivement et se précipita hors de la tente, bien décidée à lui exprimer ce qu’elle pensait de son comportement, mais Inaya et Saki lui bloquèrent immédiatement le passage, le visage impassible.

— Laissez-moi passer, leur dit-elle entre ses dents serrées.

Mais les deux guerrières ne bougèrent pas, Inaya se contentant de secouer la tête. La jeune femme jura tout bas, regardant le dos de l’empereur s’éloigner au loin et sentit brusquement la douleur sourde habituelle des migraines revenir.

Tout en grimaçant, elle rentra dans la tente et alla s’allonger dans le lit, se roulant en boule sous les couvertures.

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