Chapitre 61
Le bruit des combats ne se firent pas attendre bien longtemps, et elle fut réveillée par d’horribles rires stridents de monstres qui passaient non loin de sa tente. Se relevant en sursaut, elle se recroquevilla au milieu du lit, serrant les draps contre elle, le cœur battant. Elle entendait résonner les cris des guerriers et le bruit sourd des monstres qui frappaient sur la barrière magique qu’avaient dû créer Marwen et Rainir tout autour des tentes.
Les combats durèrent moins d’une heure avant de se calmer. Une heure durant laquelle elle resta immobile sur le lit, pressant les mains contre ses oreilles pour ne plus entendre le tumulte qui résonnait au dehors. C’était la première fois qu’elle vivait une telle expérience. Les images, de l’attaque des gardes de Frozir sur sa famille défilaient dans sa tête, les sons du combat se mélangeant avec ceux de ses souvenirs.
Elle ne réalisa que l’empereur était entré dans la tente que lorsqu’il posa une main sur son épaule et elle poussa un petit cri de surprise en se débattant nerveusement.
— Là... Eylen, tout va bien, lui dit-il d’une voix douce tout en attrapant ses épaules avec force.
Eylen secoua la tête affolée tandis que son cœur battait à toute allure dans sa poitrine. Il prit alors son visage entre ses mains et la forca à le regarder, la fixant avec inquiétude.
— Calme-toi, c’est fini, souffla-t-il.
Elle plongea ses yeux dans ceux de l’empereur et reprit avec lenteur sa respiration, rassurée par le contact chaud de ses mains sur sa peau.
Puis elle se souvint de son comportement plus tôt et se détourna vivement en écartant ses mains d’un geste. Elle croisa les bras sur ses jambes repliées et regarda de l’autre côté de la tente avec colère.
L'empereur soupira et laissa retomber sa main avant de se redresser. Il s’avança vers la baignoire et commença à retirer ses habits salis de sang. Eylen le regarda faire, la lumière chaude des lampes à huile se reflétant sur sa peau halée sous laquelle ses muscles parfaitement dessinés roulaient à chacun de ses gestes. Lorsqu’il se tourna pour entrer dans la baignoire, elle s’allongea aussitôt, se cachant sous les draps, le visage en feu.
Elle commençait à s’assoupir quand il vint s’asseoir de l’autre côté du lit. Elle savait qu’il l'observait, sentant son regard posé sur elle, mais elle était encore trop contrariée de ce qu’il s’était passé plus tôt et il n’était pas question de se montrer aimable avec lui. Tant pis si elle devait encore souffrir de ces saletés de migraine.
— Tu es en colère, affirma-t-il d’une voix calme.
Elle ne répondit pas, se contentant de lui tourner le dos ostensiblement.
— Aaah... Moi aussi, je suis énervé, tu sais.
La jeune femme se retourna et lui lança un regard mauvais.
— Pour quelle raison, dites-moi ?fit-elle en se redressant. Qu’ai-je fait qui vous a énervé ?
— Tu n’es pas censée parler avec le mage Elarien sans mon accord.
Elle le dévisagea, surprise.
— Et pourquoi donc ?
Il la fixait, semblant à la fois énervé et agacé.
— Je sais que ce n’était pas totalement de ta volonté, mais nous nous sommes unis devant Netïa, tu es désormais ma femme et tu dois te comporter comme telle.
Elle le regarda sans comprendre.
— Je ne vois pas bien en quoi cela concerne maître Marwen...
— Tu n’es pas censée entretenir le genre de relation que vous aviez autrefois, lui dit-il d’une voix ferme en la fixant.
— C’est ridicule ! S'emporta-t-elle. Pourquoi n’aurais-je pas le droit de lui parler ? Êtes-vous en train de dire que je n’ai plus le droit de parler à quiconque désormais ?
— Mais bien sûr que si ! Tu peux parler à qui tu le souhaites, je n’ai rien dit de tel !
Il commençait lui aussi à perdre patience se penchant un peu plus vers elle.
— Dans ce cas, je ne comprends pas... J’ai dit que je vous aiderai, que je ferais mon possible pour vous faire traverser la frontière... Pourquoi ne puis-je pas parler à Marwen ?
Elle avait dit ces derniers mots d’une voix faible, incapable de cacher la tristesse qu’elle ressentait à l’idée de ne plus pouvoir parler à son ancien maître. Il ne lui restait plus que lui ici, tous les autres étaient des étrangers.
— Il est donc si important pour toi ?
— Oui, il est mon ami...
L’empereur la dévisagea silencieusement avant de soupirer.
— Très bien, tu pourras lui parler, mais à condition que je sois présent, dit-il finalement.
Eylen lui sourit, soulagée.
— Mais vous ne pourrez plus être amants, continua-t-il d’un ton ferme.
Eylen écarquilla les yeux, abasourdie, avant de réaliser ce qu’il venait de dire.
— Amants... ? Moi et... Marwen ? Bredouilla-t-elle choquée. Mais je ... Nous, nous n’avons jamais eu de telle... Relation !
Elle posa une main devant sa bouche, tant elle était gênée par cette idée saugrenue. L’empereur la regarda surprit avant de comprendre.
— Vous n’êtes pas...
— Non ! Bien sûr que non ! Il s’agit de mon maître ! Il est comme ma famille ! Jamais...
Elle grimaça et ne finit pas sa phrase, incapable de continuer. Elle ne pouvait même pas imaginer une telle chose.
— Ah...
Elle vit la colère de l’empereur disparaître totalement, son visage s’illuminant tandis qu’il souriait bêtement et fut étonné de lui voir une expression si enfantine. Il lui paraissait moins intimidant, plus jeune et elle réalisa soudainement qu’il n’était pas beaucoup plus vieux qu’elle. Quel âge a-t-il ? Elle n’avait jamais pensé à lui demander. Il ne devait pas avoir plus de la vingtaine, vingt-cinq ans tout au plus. Il est encore jeune et pourtant il dirige déjà tout un pays...
— À quoi penses-tu ?
— Je me demandais quel âge vous aviez...
— J’ai vingt-deux ans.
Elle le dévisagea étonnée. Il fait plus vieux...
— Et toi ?
— J’ai fêté mes dix-huit ans au printemps...
— Tu es encore jeune.
Eylen pouffa.
— Pourquoi ris-tu ? Lui demanda-t-il troublé.
— Eh bien, vous n’êtes pas beaucoup plus vieux que moi. C’est assez étrange venant de quelqu’un qui a presque mon âge !
Il tendit la main et remit une des mèches de cheveux de la jeune femme derrière son oreille, qui rougit aussitôt.
— Peut-être, mais c’est vrai...
Eylen pencha la tête inconsciemment, voulant prolonger le contact de ses doigts sur sa joue. Il lui sourit et fit courir le bout de ses doigts sur sa peau, provoquant d’agréables picotements sous son passage. Lorsqu’il retira sa main, elle se pencha un peu plus vers lui, étrangement déçue.
— Vous parliez d’amants...
— Mmmm ?
Elle se mordilla les lèvres hésitant à continuer. La princesse Shaïa lui avait laissé entendre que l’empereur n’entretenait pas de relation amoureuse avec les guerrières Suharïs, ni avec la princesse. Mais, elle se questionnait toujours sur sa relation avec la princesse Nora.
— Vous et la première concubine...commença-t-elle le cœur battant. Est-ce que vous...
Il la regarda en levant un sourcil, certainement surpris par l’audace qu’elle avait de le questionner ainsi, mais n’ouvrit pas la bouche pour répondre.
Eylen se sentit soudainement toute petite. Avait-elle le droit de questionner un empereur sur la relation qu’il entretenait avec l’une de ses concubines ? Sa gorge se serra et elle se retourna, trop gênée pour le regarder. Peu importe, de toute façon, elle n’était pas certaine de vouloir entendre la réponse à sa question.
— Nous ne sommes pas amants... lui dit-il finalement tout bas. Enfin, si c’est ce que tu voulais savoir...
Eylen se retourna et sentit son cœur rater un battement lorsqu’elle croisa le regard sérieux de l’empereur. Il avança sa main et attrapa une de ses longues mèches de cheveux, jouant avec et la faisant rouler entre ses doigts.
— Ne te détrompe pas, cela ne veut pas dire que je n’ai pas eu de relations intimes avec elle ou certaines de mes épouses...
La jeune femme serra les dents et se crispa avant de laisser échapper un petit rire gêné. Oui, c’était évident... Pourtant, elle ressentait comme un pincement au cœur en l’imaginant avec l’une d’elles.
— Cela te contrarie ? Lui demanda-t-il après un long silence.
Eylen se mordit la lèvre un peu plus fort, incapable de répondre. Elle n’avait aucun droit d’être jalouse, ni aucune envie de l’être. Elle ne savait même pas pourquoi cela lui importait tant.
— Dors maintenant, lui dit-il en s’allongeant sur le flanc.
Eylen resta assise un instant avant de s’allonger à son tour face à lui. Il avait fermé les yeux et elle en profita pour l’observer en détail. Plus elle le regardait et plus elle réalisait qu’elle aimait l'observer ainsi, lorsqu’il était totalement détendu et que ses traits étaient enfin apaisés, lui donnant un air moins sévère.
Soudainement, ses lèvres s’étirèrent en un petit sourire amusé et il rouvrit les paupières, la fixant de ses grands yeux sombres.
Eylen ferma vivement les yeux et remonta le drap sur son visage tandis qu’il riait doucement.
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