Chapitre 1

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Le feu passe au rouge, tant pis pas le choix, j’accélère.

Je ferme les yeux.

Crissements de pneus, klaxons, insultes concernant un probable métier qu’effectuerait ma mère.

C’est passé.

- Alors ça y est ?! Maintenant tu bouffes les gens ? je demande à Garret en le fixant dans le rétroviseur.

Il ne répond pas. Il sait qu’il a encore merdé, ce con.

- Et toi ? Tu dis rien ?! je gueule sur Lucy, assise sur la banquette arrière à côté de son neveu.

- Ben, je pensais que prendre l’air ça lui ferait du bien, elle me répond avec sa voix de crécelle.

Je n’arrive pas à m’habituer à sa nouvelle voix. Ni à son nouveau corps en fait.

Je ne peux pas lui en vouloir, c’est un peu ma faute si elle est piégée dans quatre-vingt-cinq kilos de graisses dégoulinantes.

- Mais putain, il est interné ! Tu comprends ça ?! In-ter-né ! Justement parce qu’on ne peut pas se permettre de lui faire prendre l’air ! Il est malade ton putain de neveu.

- Désolé, je pouvais pas savoir qu’un tour chez le coiffeur l’affecterait autant.

Je pile.

Ed, installé confortablement sur le siège passager se mange le front contre la boîte à gants.

Je me retourne furieux.

- L’affecterait autant ? C’est comme ça que tu vois un gars qui bouffe entièrement le bras d’un pauvre coiffeur ? Il a été affecté ?!

Elle souffle et mate par la fenêtre.

- Pff, tu joues sur les mots, qu’elle murmure.

- Et vous ! Vous jouez avec mes nerfs ! Putain ! Je mets des violents petits coups de tête sur le volant.

Je passe la première et repars aussi vite.

- Voilà et maintenant faut qu’on se débarrasse du corps. Je suis agacé.

Je regarde Garret dans le rétro, il a les cheveux courts d’un côté et longs de l’autre, il ressemble à rien.

C’est bien fait pour sa gueule.

- Il te reste un truc là, je lui fais signe.

Le regard vide, il lève sa main et enlève un morceau de chair resté collé sur le coin de sa bouche.

Une sirène de police retentit. Je me retourne.

-Merde, une patrouille de flics ! C’est pas possible, comment ils ont su ?

- T'inquiète, ça ne doit pas être pour nous, il n'y avait personne dans le salon, me rassure Lucy.

La caisse s'arrête à notre hauteur, le gars au volant s'empare du micro de son mégaphone.

-Hey le lapin, rangez-vous sur le côté !

- Qui ? Moi ? je lui demande, genre je ne vois pas de qui vous parlez.

Le gars sourit, pointe son index en direction du trottoir.

- Merde, on est foutu, Lapin on ne peut pas les laisser embarquer Garret, s'affole Lucy.

- Ouais et surtout, qu'il ne sera pas le seul à se faire embarquer avec ce qu'on traine dans le coffre, surenchérit Ed.

Fait chier.

Je regarde Lucy, elle connaît ce regard, attache sa ceinture et celle de Garret.

Je file un coup de volant sur la droite, ma voiture percute celle des flics.

Il perd son sourire, essaie de reprendre le contrôle du véhicule, chose qu'il fait magnifiquement bien et nous prend en filature.

J’enfonce la pédale d'accélérateur, arrive à un rond-point. Pas le temps pour la priorité.

D’ailleurs, pas le temps non plus de faire le tour, je le prends à l'envers et file à gauche.

Une voiture me fait face, j'envoie appel de phare, klaxonne et lui fais signe de se pousser. Je ne supporte pas les connards dans mon genre qui se croient seuls sur la route mais bon, la courtoisie au volant, ce sera pour un autre jour.

Les flics font hurler leur sirène, le deuxième agent, assit côté passager, reste de marbre tandis que le conducteur est en mode " Putain, je vais lui défoncer le cul à cet enculé de lapin ! "

C'est pas un langage pour un fonctionnaire de police, ça !

Ligne droite, j'en profite pour prendre le large.

Tiens, je reconnais cette rue, j'aperçois Rita et ses copines, petit coup de klaxon, elles m'ont vu.

- Oouhh ouhh Lapin ! Rita me fait signe de la main et relève sa jupe.

Ses copines font de même et secouent leurs nibards. Ok ils sont un peu défraichis mais niveau qualité-prix, y’a pas mieux en ville.

Je passe trop vite pour mater, les flics ont rattrapé leur retard. Ils sont coriaces.

- Ça va, derrière ? je leur demande.

Lucy est blanche et se cramponne à la portière.

Je tire le frein à main et tourne le volant à fond pour effectuer un motherfucker-demi-tour. Je laisse la moitié des pneus sur le bitume, ça fume, ça crisse.

Tout en effectuant ma manœuvre, j'aperçois un Jean-Clone sur le trottoir

- Hey Jean-Clonard ! Je reviens ! Je lui hurle tout en secouant ma batte carotte par la fenêtre.

Il me voit, se décompose et dégage aussi vite.

Putain, j'adore cette ville, ça m'avait manqué toute cette faune urbaine. C’est sûr que c'est autre chose que la cambrousse et ses pouilleux.

- Alors, ça te plaît ? je demande à Ed

- Oh putain...

Tu m'étonnes, il en prend plein les yeux, la tête d'os.

- Oh putain... qu'il répète.

- Ça va, j'ai compris.

- Oh putain ! Devant !

La voiture des flics fonce droit sur nous, j’ai juste le temps d'esquiver et d'y laisser mon rétro.

- Ils sont chauds les gars ! Garret, je crois finalement qu'on va te déposer ici.

Lucy me file une claque derrière la nuque, qui fait remuer mes deux oreilles ce qui fait marrer le petit.

La caisse, a fait elle aussi demi-tour et reprend sa course. J’arriverai jamais à les semer.

Ils accélèrent et arrivent bientôt à notre hauteur.

- Lapin regarde, qu'est-ce qu'il fout le type ?

Je mate sur ma droite, le flic côté passager, s'est assis sur le bord de la fenêtre et s'appuie sur le toit.

Drôle de dégaine pour un agent.

Il a le visage à moitié peint en blanc, les yeux et les lèvres maquillées de noir.

Peut-être qu'il sort de soirée après tout.

Il pose sa main droite sur son avant-bras gauche et imite un flingue avec ses doigts.

J’observe son petit manège tout en gardant un œil sur la route.

- Il fait quoi là ? je demande.

- Ben, il fait un flingue avec ses doigts et fait style de le charger.

Bizarre.

- Et là, il appuie sur la détente.

- ???

La vitre passagère explose.

Ed, pris de panique se met à hurler, suivi de Lucy.

- C'est quoi ce bordel ?! Il a tiré avec ses doigts ? Hein ?! Lucy, il a fait quoi ?

- Il a tiré avec ses doigts ! Et là, il recharge, me répond Lucy, épatée devant ce spectacle.

Je freine, m'engouffre dans une ruelle.

Je connais cette ville par cœur.

Je passe devant le primeur, tourne à gauche, je tombe sur l'arrière-cuisine de l'italien, je ralentis, c'est super étroit, je prends à droite, envoie les gaz, pile, me faufile à gauche et là, je devrais tomber sur ... une impasse !

- Mais ça y était ça ?

- J'en sais rien, je ne sais même pas où on est.

Je sens un peu de déception dans la voix de Lucy.

- Mais oui, on est... euh...

- Dans la merde, me répond Ed.

La sirène retentit juste une fois pour dire "c'est mort les gars"

Ils nous ont rattrapés et bloquent la seule issue.

Je joue de l'accélérateur.

- On va pas leur foncer dessus ? me demande Lucy

Je réponds pas et tapote toujours ma pédale.

- Tu vas leur foncer dessus ? me répète Lucy timidement.

J’en sais rien.

Je ne sais absolument pas comment on va s'en tirer.

Tiens, y’a du mouvement.

Le gars à moitié peint sort de la caisse et se pointe devant nous. Il ouvre grand ses yeux et esquisse un sourire.

- Il fait quoi, là ? demande Lucy

Le flic joint ses deux mains puis les écartent doucement.

- On dirait qu'il mime un truc.

- Je vois rien, s'impatiente Ed

Je le pose sur le tableau de bord.

- Qu'est-ce qu'il mime ? Un tuyau ?

- Non, c'est bizarre on dirait une bûche...

- Une bûche ça n'a pas de sens, qu'est-ce qu'il va foutre avec une bûche.

- Regardez, il met le truc qu'il a mimé sur son épaule, dit Lucy.

- Mmm, qu'est-ce que c'est ? Une caméra ? je dis, pas convaincu.

Lucy s'accoude entre les deux sièges avant, pour mieux y voir.

- Euh... un transistor ? Une poutre ?

Le mime fait style de relever un cliquet sur sa "buche", ferme sa main gauche comme s'il tenait un objet qu’il fourre dans son "truc" imaginaire.

J’observe attentivement.

- Tiens c'est marrant, ça me fait penser à un lance...

- Un lance-roquette ! Ed me coupe la parole.

- Oui ! s'écrit Lucy c'est un lance-roquette ! T’es trop fort Eddy !

Elle est toute contente.

Le mime fait un pouce.

Je réalise et m'affole.

- Merde, un lance-roquette !

J’enclenche la marche arrière, enlève le frein à main et enfonce de nouveau la pédale d'accélérateur.

Je recule à toute vitesse, le mime appuie sur la détente et fait exploser le mur où l'on se trouvait y’a deux secondes. L’impact est énorme, je me prends Ed dans la gueule, soufflé par l’explosion, une nuée de gravats s'engouffrent dans la caisse.

Je me retourne.

- C’est bon ? Tout le monde va bien ?

Lucy tousse et se passe la main sur le visage pour enlever la couche de poussière. Une épaisse fumée envahit la ruelle. C’est le moment d'agir.

C’est quoi encore ces gars ?! Le type mime des objets qui deviennent réels !

Pourquoi pas.

Après tout ce qui nous est arrivé, je ne suis plus étonné.

Je sors de la caisse, muni de ma batte. Je distingue sa silhouette malgré l'épaisse fumée et fonce vers lui en espérant profiter de l'effet de surprise.

Je lève ma batte, c'est bon, tu vas bouffer de l'alu ! L’abats en direction de sa gueule d'artiste de rue...

Je heurte un mur, rebondis et finis le cul par terre.

Je lève les yeux, la fumée se dissipe.

Le type tient ses mains à plat devant une surface invisible. Le coup du mur, ben ouais, un classique.

Il dessine une porte avec ses doigts, baisse une poignée et s'avance vers moi.

- Une porte ! C’est une porte ! gueule Ed

- Ça va, j'ai vu ! Il croit qu'on se fait une partie de Time's-up ou quoi ?!

Il passe sa main dans son dos comme pour simuler un sabre qu'il sortirait de son fourreau.

Il l'attrape à deux mains et s'avance vers moi. Toujours à terre, je recule comme je peux.

Ah ben je peux plus, je suis arrivé au bout et me cogne le dos contre une poubelle.

Il fout la trouille le type, il n’a toujours pas lâché un mot. Je lève ma batte pour me protéger, il fend l'air avec ses poignets et sa "lame" coupe le bout de ma carotte.

Putain le choc, ma virilité en prend un coup quand je vois rouler ma petite touffe verte que j'avais accrochée.

- Cyrus, c'est bon calme toi, je te rappelle que le chef le veut vivant.

Le conducteur de la caisse retient le bras du mime "Marceau" et le tire en arrière.

Je comprends rien à ce qu'il dit, ce que je comprends c'est que je dois me démerder seul car "y’ en a pas un qui bougerait son cul de la caisse et viendrait m'aider alors que j'en prends plein la gueule !".

Pendant qu'il sermonne son partenaire, j'en profite pour me lever et lui filer une droite.

Pris de court, il recule et encaisse le choc.

J'enchaine, je lui envoie un crochet du gauche, il s’écarte et mon poing percute un canard qui s'écrase par terre.

Je le regarde convulser sur le trottoir, tandis qu'une dizaine de plumes atterrissent tranquillement.

Merde, d'où il sort ce canard ?

Le gars se marre devant mon incompréhension.

Je chercherai une explication plus tard, je remets le couvert, droite, gauche, crochet, feinte de l'épaule, je lance un bon coup de genou, le type positionne ses mains devant lui et pare chacun de mes coups en faisant apparaître un canard.

Je suis épuisé, je tombe à genoux sur une dizaine de canards agonisants. Le bruit est assourdissant, ils caquettent tout en secouant leurs ailes, puis crèvent dans un dernier coin-coin.

Je tousse, je crache une plume, je le regarde, impuissant.

- Tu fais apparaître des canards ? Ma voix est inaudible.

Il s'accroupit, place la paume de sa main sous mon nez, un petit caneton apparaît.

- Oh le petit caneton...

Il referme brutalement sa main, l’écrase, mon visage est aspergé.

Je me relève péniblement, m'essuie la gueule.

- Allez, assez joué Lapinou, tu vas venir avec nous, le chef veut te voir.

- Hein ? Qui ? Mais le petit, vous l'embarquez pas ? je lui demande un peu surpris.

- Quel petit ? De quoi tu parles ? me demande « Coin-coin ».

- Euh ... non rien, je suis crevé, vous permettez deux secondes ? Je lui montre Lucy dans ma voiture.

Il me fait signe de la tête et s'assoit contre le capot. « Marceau » fait de même tout en s'épluchant une banane invisible.

J’ouvre ma portière, je récupère Ed et le fourre dans mon sac avec ma demi-batte.

- Bon, je vais les suivre au poste de police, leur chef veut me parler.

- Leur chef ? Mais qu'est-ce qu'il te veut ? s'interroge Lucy.

- Je sais pas, on s'en fout, l'essentiel est qu’ils n’aient rien contre le petit, alors tu files illico le ramener chez les barges, ni vu ni connu, tu te débarrasses du cadavre du coiffeur et garde ton portable près de toi, on s'appelle dès que j'en sais plus.

- Ok, ils sont pas un peu bizarre les deux flics ?

Je bloque un instant, je la regarde, elle se demande vraiment si y’a un truc qui cloche et attend une réponse.

- Tu veux dire bizarre dans le sens où je viens de me friter avec un flic maquillé qui mime des objets de destructions massives et un autre qui projette des canards de ses mains ?

Je lui envoie les clés de la caisse, enfile mon sac à dos et rejoins la voiture des flics.

« Marceau » me propose de partager sa "banane".

- Non merci, je suis un peu barbouillé.

Il mime un sachet, la fout dedans et le jette dans une poubelle.

"Bing".

Celle-ci se renverse sous l'impact et laisse échapper un canard l'aile défoncée qui n'a pas l'air content d'avoir été déniché de sa cachette.

Je rentre dans la caisse et fais signe à Lucy.

" Tout va bien..."

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