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La boule au ventre, j’avançais le plus vite possible tout en ralentissant pour ne pas y arriver. Une fois installé, mes parents allaient repartir et je serai seul, tout seul dans cette nouvelle vie. Arrivés au dortoir, ma mère fit mon lit, rangea mes affaires dans le petit placard. Je regardais dans le vide, tétanisé par cet instant qui se rapprochait, craignant de ne pouvoir retenir mes larmes devant mes futurs camarades.
Pourtant, il ne s’agissait que d’une semaine. J’étais déjà parti plus longtemps. Avec papa, nous la regardions faire. Toutes les cinq minutes, papa m’ébouriffait les cheveux. C’était son geste de tendresse habituel, quand j’étais assis, avant d’y déposer un baiser. J’aimais sentir cette main sur ma tête. Aujourd’hui, devant ces inconnus, cela devenait gênant par sa répétition. Il devait être ému d’abandonner son fils ainé chéri, sans oser le dire. Moi aussi, j’étais ému, terrorisé et excité. Le principal de ma vie allait maintenant se dérouler ici, dans ce nouveau monde. Au collège, j’avais tous mes potes, on se voyait sans arrêt. Je ne connaissais personne dans ce lycée. Je n’étais pas timide et je me faisais facilement des copains. Je savais que ce serait pareil ici. Mais je n’aurais pas ma famille le soir, un ami au coin de la rue. J’avais à peine quatorze ans, mais je me sentais un petit garçon abandonné.
Autour de nous, les mères s’agitaient, les rares pères regardaient, les mains dans les poches, sans oser de gestes vers leur garçon. On ne va pas réconforter son fils chéri en lui mettant la honte devant les autres ! On ne va pas non plus montrer son désarroi de voir son fils commencer une vie nouvelle loin de soi. J’aurais tellement voulu qu’il me prenne dans ses bras.
Le lit à côté du mien était en cours d’installation. Seule sa mère accompagnait mon futur compagnon de dortoir. De dos, je voyais une crinière énorme sur un corps tout frêle. Il se retourna et je pus voir son visage. Il était métis et ne semblait pas plus âgé que moi. Au moins, nous serions deux minus dans ce monde de jeunes adolescents, d’après ce que je voyais ailleurs.
***
Voilà, ils étaient partis. Un tout petit baiser de chacun, à cause du public. Je n’avais jamais été aussi perdu, prêt à laisser couler mon malheur. J’avais été d’accord pour entrer dans ce lycée. Celui de ma petite ville souffrait d’une mauvaise réputation. Mes parents, soucieux de mon avenir, dont je ne me préoccupais absolument pas, avaient décidé de m’envoyer dans ce grand lycée de la grande ville. Nous en avions discuté, je connaissais les conditions, j’avais accepté. Je me demandais maintenant si je n’avais pas eu tort. Trop tard.
La contrepartie obligée était l’internat. J’avais beaucoup hésité. Quitter ma famille m’angoissait. Je reviendrais chaque semaine, malgré les deux heures de transports. D’un autre côté, être avec des jeunes de mon âge m’attirait beaucoup. D’autant plus que, chose extraordinaire, c’était un lycée mixte, avec deux internats séparés.
Je me tenais dans un coin de la cour, au dernier soleil qui chauffait encore. Ma tête était vide. Je ne le vis pas arriver et je sursautais à son salut. Mes yeux trouvèrent une bouille ronde, des yeux souriants maladroitement sous des cheveux roux coupés court. Il avait dû aller chez le coiffeur la veille, car la bordure blanche de sa chevelure tranchait sur sa peau bronzée. C’était moche. Thibault se présenta. Poliment, je lui répondis. Son air sympathique, ses taches de rousseur, m’aidèrent à retrouver mes habitudes dans les contacts. Bientôt, nous discutions comme si on se connaissait depuis toujours. J’avais oublié mon mal de ventre.
Il habitait la ville, mais avait voulu être pensionnaire. Il me raconta l’histoire de ce lycée, construit récemment en périphérie, en remplacement de l’ancien lycée, en centre-ville, qui avait brulé quelques années auparavant, emportant trois pensionnaires dans ce désastre. Son frère était en terminale et il avait assez entendu parler du lycée pour le connaitre.
Il m’apprit tout sur mon nouveau lieu de vie. Ce lycée comportait quatre classes par niveau, avec un dortoir d’une cinquantaine de places par niveau et par sexe. Le bâtiment d’habitation formait une équerre, avec une branche pour les filles et une branche pour les garçons. Les entrées des escaliers menant au dortoir étaient bien sûr situées à chaque extrémité. Le rez-de-chaussée comprenait deux réfectoires avec la cuisine au centre de l’équerre. L’accès aux dortoirs du sexe opposé était strictement interdit et, chaque année, il y avait une ou deux exclusions pour des incursions aventureuses.
Thibault m’expliquait tout ça gentiment, jouant au vieil habitué. Le personnel à l’accueil nous l’avait dit, mais je n’avais rien entendu. Les dortoirs étaient fermés dans la journée. Nous avions un casier, comme tous les élèves, pour ranger nos affaires. Les affaires scolaires, dans le bureau, en classe. Je compris alors que je n’aurai un petit endroit, pour me réfugier, le nez dans un livre. Toujours en commun, toujours avec les autres. La boule revint dans mon ventre. Thibault dut sentir mon désarroi, car il me dit que son frère trouvait l’internat formidable. C’est pour cela qu’il l’avait suivi.
Nous sommes rentrés pour le diner. Le soir, un seul réfectoire était ouvert. Là encore, il m’expliqua : les tables bruyantes près des cuisines, c’étaient les terminales (il me désigna son frère, un des plus excités), puis les tables des premières. Au bout, donc servies en dernier, les tables des secondes. Il n’avait pas besoin de me le préciser, car ces dernières tables étaient calmes et silencieuses, avec des convives aux têtes baissées. Les garçons d’un côté, les filles d’un autre, contrairement aux tables bruyantes de retrouvailles. Les échanges avec ces têtes inconnues furent succincts. Heureusement que Thibault était là, toujours aussi bavard sur son « expérience ».
Hormis une poignée, personne ne se connaissait et nous étions très intimidés par tous ces nouveaux visages. Parmi eux, certains attiraient d’emblée, d’autres laissaient indifférent. Tout un travail de connaissance était à faire. Nous avancions avec précautions, échangeant de petites phrases, retenant une affinité possible, un sentiment marqué. Rapidement cependant, de petits groupes se formaient et j’avais la chance d’y participer. Des élèves restaient à l’écart, mais personne ne s’en préoccupait, tout à l’exploration de ces nouveaux liens. Je trouvais les filles superbes, les garçons sympathiques. Très vite, je fus à l’aise et confiant sur les trois années à passer dans ce lycée.
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